Eco

109 milliards pour l’IA : pari sur l’innovation ou mirage financier ?

Par Thierry Derouet, publié le 10 février 2025

Un plan de 109 milliards d’euros annoncé par Emmanuel Macron pour faire de la France un acteur incontournable de l’intelligence artificielle. Derrière ces chiffres, une stratégie qui interroge, notamment sur le rôle de l’open source et l’équilibre entre régulation et innovation. Éclairage avec Stéphane Roder, serial-entrepreneur et PDG d’AI Builders.

Lors du « 20 Heures » de France 2, Emmanuel Macron a réitéré son ambition de faire de la France un leader mondial de l’intelligence artificielle, annonçant un plan d’investissement massif de 109 milliards d’euros. « Il faut être dans la course. On veut en être, on veut innover. Sinon, on va dépendre des autres », a-t-il déclaré. Mais ces investissements, largement portés par des capitaux étrangers, interrogent sur la souveraineté française dans le domaine.

Un plan ambitieux, mais quels objectifs concrets ?

« C’est une très bonne chose que l’on mette de l’argent sur le territoire, cela va permettre de créer de l’emploi, d’avoir de la puissance de calcul disponible. Et qui dit puissance de calcul disponible dit capacité à faire tourner de l’IA », analyse Stéphane Roder. « Demain, il sera impératif pour les entreprises d’avoir de l’IA, tout comme elles ont besoin d’un système d’information ou de bureautique aujourd’hui. C’est le carburant de l’entreprise moderne. »

Des investissements étrangers massifs

Le plan d’Emmanuel Macron repose en grande partie sur des fonds venus de l’international. Les Émirats arabes unis injecteraient entre 30 et 50 milliards d’euros, tandis que le fonds canadien Brookfield mettrait 20 milliards sur la table. « Ce n’est pas comme si c’était BlackRock ou Blackstone. Ce sont des investisseurs qui placent du cash, point. »

Emmanuel Macron a aussi souligné la nécessité d’accélérer l’ouverture de data centers en France. Il a cité notamment le projet « Eclairion », porté par Mistral AI. Ce centre de données ultra-sécurisé, prévu sur le plateau de Saclay, doit permettre de renforcer l’indépendance technologique du pays.

L’attribut alt de cette image est vide, son nom de fichier est MISTRAL-1024x682.png.
Stéphane Roder : « Mistral est un game changer (Arthur Mensch son CEO ci-dessus au Grand-Palais). Il a permis à tout le monde de prendre conscience qu’on pouvait faire de l’IA en France, avec des solutions open source et commerciales » (Photo : Philemon Henry/MEAE))
Stéphane Roder : « Mistral est un game changer (Arthur Mensch son CEO ci-dessus au Grand-Palais). Il a permis à tout le monde de prendre conscience qu’on pouvait faire de l’IA en France, avec des solutions open source et commerciales » (Photo : Philemon Henry/MEAE))

L’innovation avant la régulation ?

Selon Stéphane Roder, la position de Macron est claire : « Il a mis fin au débat : il faut d’abord innover, ensuite réguler. » Ce pragmatisme contraste avec la stratégie européenne, souvent perçue comme trop réglementariste.

« Réglementer est coûteux. Les entreprises dépensent des millions pour la conformité. Cet argent devrait être utilisé pour le développement technologique. Il faut simplifier les règles. »

Toutefois, il reconnaît que certaines restrictions sont nécessaires. « Il y a des interdits rationnels, comme l’utilisation abusive de la reconnaissance faciale. Mais on ne doit pas tout bloquer sous prétexte de précaution. »

Le rôle clé de l’open source

Stéphane Roder insiste également sur l’importance de l’open source dans l’accélération de l’IA. « L’open source est essentiel pour la R&D mondiale. C’est un accélérateur formidable. Mais en production, c’est autre chose : il n’y a pas de support, pas de garantie. C’est pour ça que les grands acteurs proposent une version open source et une version payante. »

Une dynamique qui se retrouve avec des acteurs comme Mistral AI, la pépite française qui ambitionne de développer une alternative européenne aux géants américains. « Mistral est un game changer. Il a permis à tout le monde de prendre conscience qu’on pouvait faire de l’IA en France, avec des solutions open source et commerciales », affirme Stéphane Roder.

L’agentification : effet de mode ou révolution ?

Le développement des agents autonomes suscite également de nombreuses interrogations. Pour certains, ces agents pourraient remplacer les applications SaaS traditionnelles. Mais Stéphane Roder tempère : « Les Américains en font toujours des tonnes sur le marketing. Quand Microsoft ou Salesforce annoncent la fin du modèle SaaS au profit des agents, c’est d’abord pour figer le marché et faire converger les investissements vers leur propre écosystème. »

Il reconnaît cependant que des progrès réels sont en cours. « Aujourd’hui, on arrive à utiliser des agents qui décomposent et attribuent des tâches de manière efficace, mais ils fonctionnent encore avec du Python. Le passage à une automatisation complète prendra du temps. Nous sommes actuellement dans une période transitoire où les annonces se font plus rapidement que la technologie. »

Un écosystème en pleine mutation

Alors que les investissements se multiplient, le marché français semble prendre une nouvelle dynamique. « Avant, les débats étaient dominés par les Américains. Aujourd’hui, avec des acteurs comme Mistral, on a enfin une alternative française et européenne », se réjouit-il.

Avec ces annonces, la France cherche à s’affirmer comme un poids lourd de l’IA. Il est encore trop tôt pour dire si ces fonds colossaux seront utilisés de manière avisée pour propulser véritablement l’écosystème technologique français. Stéphane Roder, lui, y croit : « C’est de l’informatique. Rien d’autre. Et en informatique, il faut avancer vite. »


À LIRE AUSSI :

Dans l'actualité

Verified by MonsterInsights