Opinions
Gilles Babinet : « Une Cnil réformée pourrait remplir un rôle utile »
Par La rédaction, publié le 26 février 2013
« Digital champion » de la France, Gilles Babinet revient pour 01 sur la polémique qui a suivi l’intention qu’on lui prête de vouloir fermer la Cnil, allant jusqu’à être traité d’« ennemi de la Nation ».
A l’occasion de la publication du rapport que j’ai signé auprès de l’Institut Montaigne, il est exact que, dans une interview à l’Usine Nouvelle, j’ai évoqué le fait qu’il serait souhaitable de supprimer la Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil).
Je comprends l’émoi qu’a provoqué cette déclaration. « Défenseur excessif des entreprises », « ennemi des libertés individuelles », « libertarien effréné » sont quelques-unes des réactions que j’ai pu noter de-ci, de-là.
Entendons-nous bien : même si j’assume totalement ses propos lors de cet interview, l’idée de la fermeture de la Cnil que j’exprimais a été grossie au point d’être sortie de son contexte.
Bien entendu, je chéris la notion de liberté individuelle. Non, je ne suis pas libertarien, dans la mesure où le rapport Montaigne, dont il était au départ question, ne cesse de parler du rôle fondamental de l’Etat dans le développement d’un écosystème numérique.
Le point que je soulève concerne le fait qu’à force de brandir le principe de précaution, notre société se sclérose et en oublie d’innover. Oui, il y a eu des abus, au premier titre desquels l’utilisation de fichiers d’Etat pour commettre les crimes que l’on sait lors de la dernière guerre mondiale.
« La France est l’un des rares pays d’Europe sans DMP »
Il n’en est pas moins vrai qu’à force de brandir le risque d’abus systémiques, on se retrouve dans la situation paradoxale d’être l’un des rares pays d’Europe qui n’a ni dossier médical personnel (DMP), ni carte d’identité électronique en projet.
Pourtant, ces outils sont des moyens fantastiques d’améliorer la qualité de services rendus aux citoyens : augmenter massivement la qualité des soins, éviter d’avoir à saisir mille fois son nom, son adresse, sa date de naissance lors des démarches administratives…
Et qu’on cesse de me brandir le risque d’une compagnie d’assurances qui viendrait modérer ses tarifs en fonction de la qualité du dossier médical de ses adhérents. La loi est l’outil qui permet d’éviter cela, et si elle l’interdit, je ne vois pas ce qui permettrait de la contourner.
L’enjeu est clairement de faire de la modernité un atout et non l’origine de craintes fantasmagoriques. J’observe que la France est aussi un pays où l’on a interdit la recherche sur les gaz de schiste et de nombreuses formes de recherches – pourtant cruciales – sur les OGM.
Sans présumer aucunement de la nocivité ou de l’innocuité éventuelle de l’un ou de l’autre, il me tient à cœur de rappeler que seule la recherche et la science peuvent nous permettre de savoir si ces techniques sont dangereuses ou pas. De même, seule la volonté résolue de créer une nation moderne et innovante pourra nous sortir de cette situation de crise maintenant chronique dans laquelle se trouve notre pays.
Il y a d’ailleurs peu de temps encore, j’appelais, dans La Tribune, à un bouleversement du fonctionnement de la Cnil, preuve que mon propos n’est pas nécessairement manichéen. Une Commission réformée pourrait remplir un rôle utile. Parfois, le fait de mettre les pieds dans le plat permet aussi d’initier le débat.
Il serait dommage que cette polémique naissante cache le véritable enjeu du moment : la publication par l’Institut Montaigne du rapport que j’ai signé, intitulé « Pour un New Deal numérique », qui précède le sommet intergouvemental consacré au numérique (qui se tiendra jeudi 28 février – NDLR).
Nous y proposons beaucoup de mesures qui me semblent être originales et ce, bien au-delà de l’enjeu concernant la Cnil, qui n’est citée dans le rapport que dans la liste des institutions que nous avons auditionnées.