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L’action en contrefaçon recevable en cas de non-respect d’une licence de logiciel
Par Pierre-Randolf Dufau, publié le 10 janvier 2023
Par un arrêt en date du 5 octobre 2022, la 1ère chambre civile de la Cour de cassation consacre le principe selon lequel le non-respect d’une licence de programme d’ordinateur peut faire l’objet d’une action en contrefaçon. À ce titre, les cocontractants des titulaires de droits doivent veiller aux limites posées par les licences de logiciel, et ce, même en présence d’une licence libre.
Par Me Pierre-Randolph Dufau, Avocat à la cour, fondateur de la SELAS PRD avocats,
et Fanny Vigier, Avocate à la cour, PRD avocats
En l’espèce, la société Entr’Ouvert est titulaire d’un logiciel permettant la mise en place d’un système d’authentification unique qu’elle diffuse notamment sous licence libre. Ce logiciel a été repris et intégré à une solution informatique fournie par la société Orange afin de répondre à un appel d’offres de l’État pour la réalisation du portail « Mon service public ». Estimant que cette utilisation n’était pas conforme aux clauses de la licence libre, le titulaire a assigné la société Orange notamment en contrefaçon de droits d’auteur.
La Cour d’appel de Paris avait rendu un arrêt le 19 mars 2021, vivement critiqué par la doctrine en ce qu’il s’inscrivait à contre-courant de la jurisprudence de l’Union européenne. En effet, les juges du fond ont considéré que le non-respect des conditions d’utilisation d’un contrat de licence de logiciel ne pouvait pas être sanctionné par une action délictuelle en contrefaçon, mais exclusivement sur le fondement de la responsabilité contractuelle de droit commun.
Or, la Cour de justice de l’Union européenne avait, par un arrêt en date du 18 décembre 2019, jugé qu’il s’agissait bien d’une atteinte aux droits de propriété intellectuelle, au sens de la directive européenne n°2004/48, et que le titulaire d’un droit d’auteur sur un logiciel devait légitimement pouvoir bénéficier des garanties offertes par ce texte « indépendamment du régime de responsabilité applicable selon le droit national ».
La Cour de cassation a clarifié la situation des titulaires de droits
La Cour de cassation, en cassant et annulant l’arrêt de la Cour d’appel, a clarifié la situation juridique des titulaires de droits en leur permettant de recourir à l’action en contrefaçon, leur étant plus favorable, notamment concernant la réparation du préjudice subi.
Comme le rappelle à juste titre la Haute juridiction, en cas d’inexécution contractuelle, les dommages et intérêts dus au créancier sont, en principe, limités à ceux qui ont été prévus ou qui pouvaient être prévus lors de la conclusion du contrat. Or, le Code de la propriété intellectuelle permet de prendre en compte, d’une part, le manque à gagner et la perte subis par le titulaire de droit, les bénéfices réalisés par le contrefacteur, y compris les économies d’investissements d’ordre intellectuel, matériel et promotionnel, et d’autre part, le préjudice moral causé à cette dernière. Enfin, une action en responsabilité contractuelle ne permet pas au créancier de recourir à une procédure semblable à celle de la saisie-contrefaçon.
Cet arrêt offre également l’occasion de rappeler aux licenciés de logiciels de bien appréhender en amont les limites posées par les conditions d’utilisation des contrats de licence de logiciel, notamment en cas de distribution à des tiers. Toute licence libre ne permet pas de modifier l’œuvre originale ou de la partager à des fins commerciales, et il convient à ce titre de se référer aux obligations contractuelles. Prudence est donc de mise afin de ne pas risquer d’être qualifié de contrefacteur.
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