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Des cockpits dynamiques, personnalisables et automatisés
Par Marie Varandat, publié le 13 décembre 2023
Bien que saluée par la majorité des collaborateurs, l’adoption massive du télétravail a impacté la déjà fragile frontière entre vie professionnelle et vie privée. De nouvelles plateformes collaboratives tentent d’apporter des réponses à la surcharge mentale qui en résulte.
Pendant la pandémie, les entreprises ont réagi dans l’urgence. Aujourd’hui, on entre dans une nouvelle phase dans laquelle elles sont confrontées à la pénurie des talents, au désamour des collaborateurs, à la difficulté de faire revenir les employés au bureau, aux grandes vagues de démissions, etc. « Dans ce contexte, le poste de travail joue un rôle essentiel pour attirer et conserver les talents », estime Marguerite Nguyen, directrice chez Capgemini Invent.
Gagner en attractivité et combattre la surcharge mentale au travail
À l’ère post-Covid, la notion de digital workplace évolue pour devenir un enjeu essentiel de la marque employeur. La question n’est plus de savoir si on doit mettre un baby-foot dans une salle de repos truffée de canapés et poufs confortables, mais de répondre à des attentes fortes des collaborateurs en termes de mobilité, de pratiques managériales, de modes de collaboration plus riches et efficaces, d’équipements adaptés au travail hybride et surtout de prise en compte de la « surcharge mentale ».
Définie comme « l’ensemble des sollicitations du cerveau pendant l’exécution du travail » par les Éditions Tissot, spécialistes du droit du travail, « la charge mentale résulte d’une interaction complexe de facteurs individuels, techniques, organisationnels et sociaux. » Ce n’est pas vraiment un phénomène nouveau. Mais, la pression et le stress engendrés par le contexte pandémique ainsi que la mise en place du télétravail ont clairement fait des ravages parmi les salariés français. Selon le dernier baromètre annuel de Malakoff Humanis, 56 % des salariés de moins de 30 ans se disent fatigués/épuisés contre 49 % en 2019 et 43 % en 2018. La dépression, l’anxiété, le stress, l’épuisement professionnel sont autant de facteurs qui altèrent la santé mentale des jeunes actifs, estime l’étude.
Malgré la fin des confinements, l’indice de pression sur les employés n’est pas redescendu en 2022, selon le dernier baromètre annuel de l’Ifop réalisé pour la fintech Mooncard. « Nous avons été surpris de voir l’indice de charge mentale presque inchangé par rapport à 2021. Le télétravail, désormais entré dans les mœurs, est plébiscité par les cadres pour des raisons pratiques, mais il ne les protège pas du stress, bien au contraire. La confusion qu’il provoque entre vie pro et vie perso est source de nouvelles tensions et nous devons trouver de nouvelles solutions pour y remédier », souligne Tristan Leteurtre, président et cofondateur de Mooncard. Près de trois cadres sur quatre interrogés (73 %) indiquent avoir « trop de tâches à gérer ». Et plus globalement, de nombreuses études soulignent à quel point les outils numériques, perçus autrefois comme des facilitateurs, se transforment en adversaires contre lesquels il faut se battre. Pour certains collaborateurs, ils sont même devenus synonymes d’intrusion : « Trop de mails “urgents” à traiter, trop de réunions en visio, trop de données, trop d’hyperconnexion… »
De nouvelles plateformes de travail pour de nouveaux paradigmes
Permettant d’améliorer la communication, de favoriser l’engagement des collaborateurs et d’augmenter la productivité, une nouvelle génération de plateformes collaboratives prend en compte ce phénomène de surcharge mentale en filtrant les outils et les informations. « On passe du paradigme “un poste de travail standardisé pour tous” à celui du “poste de travail personnalisé en fonction des besoins de chacun”, explique Marguerite Nguyen. En termes de mise en œuvre, cela signifie que le poste de travail devient une sorte de hub avec un catalogue d’applications et de services permettant aux collaborateurs de se constituer une interface sur mesure. »
Trop d’apps engendre une « fatigue » et tue l’efficacité, révèle une étude Okta de 2022. En 2015, les employés manipulaient jusqu’à 58 applications et services web différents. En 2021, ils en manipulaient jusqu’à 89. Et le chiffre continue d’augmenter. Ainsi, une étude FreshWork de 2022 révèle que 89 % des responsables IT estiment que cette surcharge technologique se traduit chaque semaine par des pertes de temps significatives.
Afin de remédier à cette perte de productivité et à la surcharge mentale, les nouvelles plateformes collaboratives proposent un « lieu digital » pour se rencontrer, interagir et travailler en équipe tout en filtrant l’information. Elles placent l’expérience collaborateur et son bien-être au centre de la digital workplace. Globales, elles embarquent la sécurité et l’intégration avec l’écosystème existant d’applications dans une solution complète.
En France, des acteurs comme Interstis et Jamespot surfent sur cette vague. Des plateformes comme CXapp essayent de consolider services et applications au sein d’une super app. D’autres comme Nextiva combattent cette fatigue engendrée par la multiplication des apps par une forte intégration.
Dans une certaine mesure, des solutions collaboratives comme Teams, Slack, Google Spaces, voire le français Wimi, ont contribué à initier la tendance par leur faculté à jouer les hubs vers d’autres applications, voire à intégrer services et applications au cœur des échanges. La plupart des solutions de digital workplace s’appuient d’ailleurs sur ces dernières, ou tout du moins s’y intègrent.
Parallèlement, d’autres éditeurs ont exploré des pistes invitant les collaborateurs à se retrouver au sein d’un espace virtuel faisant office de bureau. Dénommées KumoSpace, Gather, Kosy, Teemyco, SpatialChat ou WorkInSync, ces solutions naviguent entre le métavers et la gestion d’équipe façon Asana ou Monday.
« Pendant la crise, les entreprises ont multiplié les outils pour permettre à leurs collaborateurs de travailler à distance, précise Gad Amar, directeur commercial France et Benelux de Monday. Aujourd’hui, nous entrons dans une période de rationalisation et de consolidation. D’où l’essor des plateformes collaboratives qui permettent au collaborateur de gagner en autonomie et en visibilité tout en réduisant le “bruit”, pour qu’il puisse se concentrer sur ce qui lui est réellement utile. » Pour Marguerite Nguyen, la tendance va au-delà : « Ces plateformes filtrent et digèrent les flux pour n’afficher que les informations utiles. Il faut les concevoir comme une sorte de cockpit collaborateur qui réunit l’ensemble des éléments dont il a besoin pour travailler, dont il n’a pas besoin de sortir lorsque, par exemple, il reçoit une alerte pour signer un document. Ce doit être une sorte de mosaïque d’encarts qui affichent des informations utiles provenant de la messagerie, de l’ERP, etc. »
Une approche vers laquelle Microsoft semble tendre avec sa plateforme « expérience employé » Viva qui, au fil des nouveautés, s’affirme de plus en plus comme un outil d’orchestration ayant comme principale interface Outlook ou Teams. « Il y a désormais beaucoup trop d’applications et services dans le quotidien des collaborateurs. Les entreprises ont besoin d’un outil d’orchestration de la productivité comme Microsoft Viva pour donner de la cohérence à l’ensemble », souligne Josh Bersin, célèbre analyste de l’univers des RH (voir encadré).
Un poste de travail automatisé
« La promesse du poste de travail moderne est de permettre à tout un chacun de se focaliser sur ce qui compte réellement et d’éliminer toute potentielle tâche à faible valeur ajoutée et/ou répétitive », ajoute Marguerite Nguyen. Pour retrouver de la productivité et éliminer la charge mentale, le poste de travail adopte ainsi deux technologies, qui se révèleront vite complémentaires et interconnectées : l’IA générative et l’automatisation par le low-code / no-code.
Transcrire automatiquement les réunions pour éviter la prise de notes, convertir les notes en actions, rédiger des comptes rendus, filtrer des mails et générer automatiquement un brouillon de réponse à personnaliser, résumer en français et en un clin d’œil le dernier rapport PDF de 120 pages reçu en anglais… Les IA génératives comme Microsoft 365 Copilot et Google Duet AI for Workspaces s’apprêtent à envahir le quotidien des collaborateurs.
L’IA, UN LEVIER DE PRODUCTIVITÉ À NE PAS RATER
OSH BERSIN, FONDATEUR DE BERSIN BY DELOITTE ET DE LA JOHN BERSIN ACADEMY
Dans un article consacré à l’arrivée de Copilot dans Microsoft 365, Josh Bersin revient sur les nombreuses angoisses associées à l’essor de l’IA, mettant en évidence l’avantage compétitif qu’elle peut procurer aux collaborateurs et, par conséquent, à leur entreprise :
« Ces IA génératives rendront-elles le travail si facile que la semaine de quatre jours sera généralisée ? Des emplois comme celui de “rédacteur” deviendront-ils obsolètes ? En 45 ans d’activité, j’ai noté que tous les grands outils de productivité tendent à “améliorer le travail” des personnes. Lorsque la messagerie vocale et le courrier électronique ont fait leur apparition, nous nous sommes demandé si les secrétaires allaient disparaître – et d’ailleurs ce fut le cas. Lorsque Zoom et Teams sont apparus, nous avons réaménagé nos bureaux.
Dans le cas présent, je doute que nous manquions de choses à faire, mais nous pouvons le faire plus vite et mieux qu’avant. Par conséquent, si vous ignorez cette tendance et choisissez de ne pas apprendre ces outils, vous serez tout simplement à la traîne. »
Parallèlement, et de plus en plus appuyées sur ces IA génératives, l’automatisation des tâches par des outils sans codage commence à se démocratiser. « L’idée est d’aller tacler l’ensemble des grains de sable qui se mettent sur le chemin des employés avec des fonctionnalités d’intelligence artificielle et des workflows à la main des utilisateurs. C’est là que les outils low-code / no-code ont un rôle à jouer. Il s’agit d’un levier non négligeable et des acteurs comme Microsoft et Google les proposent d’ailleurs comme une extension à leur plateforme collaborative », souligne Marguerite Nguyen. Déjà très accessibles, Google AppSheet et Microsoft Power Apps / Power Automate vont le devenir encore plus avec l’intégration de l’IA générative via Duet AI for AppSheet et Power Apps Copilot. Même Windows va se doter dès juin (en bêta-test) d’un Copilot capable d’automatiser certaines tâches du système.
Chez Monday, le low-code est aussi une composante essentielle de la plateforme. « Il répond au besoin d’utilisateurs qui ne sont pas forcément technophiles en leur offrant la possibilité d’intégrer n’importe quel service ou application à leur interface et d’optimiser leurs processus. Cette approche favorise un très haut niveau de personnalisation de l’environnement de travail, ainsi qu’un degré d’automatisation très élevé. Il permet d’éviter les tâches répétitives, sans valeur ajoutée », précise Gad Amar.
Reste que toutes ces plateformes, toutes ces IA, toutes ces automatisations ne sont qu’une facette du processus de « soulagement mental » que les entreprises vont devoir mettre en place. Faire évoluer les processus, analyser la situation pour consolider l’univers applicatif et repenser les pratiques managériales sont des impératifs prérequis que DSI, DRH et autres responsables d’entreprise vont devoir rapidement prendre à bras le corps…
Des collaborateurs en quête du bon outil de travail
Impact de la dispersion des applications
En moyenne, 66 % des personnes interrogées par Gartner dans son Digital Worker Survey reconnaissent qu’une plus grande efficacité business pourrait être obtenue si l’IT fournissait des applications et des appareils universellement acceptés pour effectuer le travail. Lorsque l’on tente de résoudre chaque problème avec une nouvelle application, il en résulte des travailleurs numériques peinant à trouver des informations, prenant de mauvaises décisions par manque de connaissance, recevant des notifications non pertinentes et, inversement, ratant des informations importantes perdues au milieu du « bruit ».
Microsoft met au travail un copilote dans Windows
À l’occasion de sa grande conférence Microsoft Build 2023, l’éditeur a annoncé l’arrivée en juin (en preview) de Windows Copilot, dernière déclinaison en date des IA « Copilot » nées du rapprochement avec OpenAI et des fulgurants progrès des LLM comme GPT-4. Objectif : permettre aux utilisateurs de converser avec une IA au cœur de Windows, une IA qui connaît tous les recoins du système, les documents locaux ou stockés sur OneDrive, ainsi que les applications installées. « Cette IA fait de chaque utilisateur un utilisateur avancé, en l’aidant à agir, à personnaliser ses paramètres et à se connecter de manière transparente à ses applications préférées », explique Panos Panay, le patron des divisions Windows et Surface chez Microsoft. L’un des aspects fondamentaux de Windows Copilot est sa vocation à démocratiser et démystifier les fonctionnalités avancées du système. « C’est un moyen de commander à votre appareil de faire ce qu’il aurait toujours dû faire », explique ainsi Shilpa Ranganathan, vice-président de la division Windows de Microsoft.
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