Gouvernance
Pas de transformation numérique sans turnover à la tête de la DSI ?
Par Laurent Delattre, publié le 17 janvier 2024
Une étude récente du cabinet Spencer Stuart a évoqué un turnover des DSI à un niveau de 4 % (sur les six derniers mois) et une ancienneté dans le poste de 4,7 années. Ceci me paraît élevé en France, où l’ancienneté des DSI est souvent plus proche des trois ans. Mais pourquoi ce poste, devenu stratégique, est-il à ce niveau de rotation ?
Parole de DSI / Par Thomas Chejfec, Directeur des systèmes d’information
Il ne faut pas se le cacher, la première raison est que les entreprises ont, depuis les années 2015 je dirais, intégré le fait que le développement de leur structure passe obligatoirement par une transformation par et avec le digital. Qu’il soit représenté par la DSI ou tout autre département – éventuellement plusieurs, même –, c’est un levier d’innovation et de performance indéniable. C’est un poste évidemment sensible et les entreprises s’arrachent les bons profils. Les sollicitations opérées par les cabinets de chasse sont, de fait, assez nombreuses, et même si l’on n’est pas à l’écoute du marché, un appel d’un cabinet déclenche nécessairement une réaction de self-estime non négligeable. Et parfois, on se prend à rêver d’un destin similaire à celui d’un joueur de foot en période de mercato…
Cela dit, la transformation digitale de notre société implique la transformation digitale de nos entreprises, et un DSI des années 2000 n’est plus vraiment tout à fait le même que celui de 2024. Nativement, le poste est passé de gestionnaire d’infrastructures et de développement à façon à celui de leader stratégique essentiel à la croissance et à l’innovation de l’entreprise. Dans le giron des DSI actuels, combien d’activités phares n’y figuraient pas il y a encore cinq ans ? Cybersécurité, innovation, gestion des données, culture de l’agilité, numérique responsable, low-code provider et, beaucoup plus récemment, l’IA.
La qualité d’un DSI moderne réside en fait dans sa capacité à encadrer et favoriser l’utilisation des technologies sans en être la source exclusive, ni forcément l’instigateur. Ce rôle-là, recherché par les dirigeants, n’est pas accessible à tous les DSI : il faut avoir la capacité d’accepter que le changement vienne par les utilisateurs et non plus de façon régalienne par soi-même. Fort de cela, combien de DSI se sentent en difficulté, voire en opposition avec leur entreprise, quand l’innovation déferle sur leur département ? Cela constitue aussi une raison forte de changement, soit par démission soit par départ provoqué : c’est la fin d’un cycle…
L’étude de Spencer Stuart fournit un autre enseignement, même s’il faut noter qu’on parle ici d’entreprises américaines : près de 60 % des entreprises recrutent leur DSI à l’extérieur de leur structure. Cela démontre une volonté d’aller chercher de l’expertise et de la nouveauté qu’un profil interne n’aura pas. Idem pour le secteur d’activité : près de 50 % des DSI qui intègrent une entreprise en changent au passage. Combinez les deux et vous constatez que, dans le métier de DSI, la polyvalence de l’expérience prime finalement sur la maîtrise de l’activité native. Le fait d’appliquer des méthodes d’autres secteurs permet d’ouvrir le champ des possibles, de penser en dehors du cadre et de construire le système d’information dont a besoin l’entreprise pour supporter ses défis.
Enfin, côté DSI, l’un des vecteurs de changement est inhérent à la tension et à la complexité du poste. Une cybersécurité mal gérée et l’entreprise s’arrête ; des données mal structurées et ce sont de mauvaises décisions, de mauvais choix stratégiques qui sont opérés ; des projets stratégiques en plan et ce sont les outils informatiques qui sont souvent désignés comme les bouc-émissaires de ces dysfonctionnements.
Enfin, pour moi, le domaine le plus difficile à appréhender en tant que DSI est la nécessité d’être crédible auprès de toutes les autres directions : il est impensable de ne pas pouvoir discuter avec un autre directeur de son activité sans en être soi-même un tant soit peu spécialiste.
En conclusion, le taux de turnover constaté chez les DSI reflète la transformation profonde de leur rôle. Passant de gestionnaires d’infrastructures à leaders stratégiques, ils sont désormais au cœur de la transformation numérique des entreprises. Cette évolution a accru la complexité de leurs missions, nécessitant non seulement une expertise technique pointue, mais aussi une capacité à innover, à gérer le changement et à collaborer étroitement avec d’autres départements.
La demande croissante des entreprises pour ces compétences diversifiées et pour une expérience protéiforme capable d’apporter de nouvelles perspectives accroît de fait la valeur des DSI sur le marché du travail. Dès lors, il n’apparaît pas surprenant qu’ils soient plus sollicités, contribuant ainsi à un taux de rotation plus important.
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