Gouvernance
DMA : Quand l’Europe améliore les pratiques des géants américains
Par Laurent Delattre, publié le 06 mars 2024
Peu à peu, le monde est en train de prendre conscience que les règlementations DSA et DMA permettent aux Européens de bénéficier de systèmes et services plus sains et finalement meilleurs. Sous la contrainte de ces règlementations, Microsoft, Google et Apple améliorent leurs systèmes mais seuls les Européens en bénéficient…
Alors que les deadlines de mise en conformité au DMA (Digital Market Act) sont tombées en ce début mars, les grands éditeurs américains modifient leurs systèmes d’exploitation, leurs licences, leurs services pour les conformer aux exigences européennes. Et l’on découvre, par la même occasion, qu’avec de telles contraintes imposées et les modifications qui en découlent, les utilisateurs européens ne sont pas pénalisés mais bénéficient au contraire d’outils plus ouverts et parfois même plus agréables à utiliser. Si tout le monde joue le jeu.
Nous avons déjà eu l’occasion d’évoquer les nombreuses modifications – qui sont autant d’améliorations – annoncées par Microsoft pour mettre Windows en conformité avec le DMA.
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Ces derniers jours, Google et Apple en ont fait de même.
Google présente les modifications opérées à Android et Chrome
« Les changements que nous avons apportés sont le résultat d’un travail intensif mené pendant de nombreux mois par des ingénieurs, des chercheurs, des chefs Produit et des concepteurs de produits de l’ensemble de l’entreprise » affirme Oliver Bethell, directeur Compétition chez Google. « Tout au long de ce processus, nous nous sommes largement engagés auprès de la Commission européenne, des parties prenantes de l’industrie et des associations de consommateurs, notamment par le biais de dizaines d’ateliers, d’événements et de discussions directes ».
Google annonce ainsi plus d’une vingtaine de changements dans le comportement de Google Search notamment pour permettre aux internautes européens d’accéder directement à davantage de sites de comparaison (mais Google a du coup supprimé l’accès à Google Flights).
L’éditeur a également implémenté dans Android mais aussi dans ChromeOS et Chrome, de nouveaux écrans de choix pour simplifier la sélection du moteur de recherche ou du navigateur utilisé par défaut. Ces écrans apparaîtront dès la phase d’installation.
L’éditeur rappelle déjà que l’univers Android est très ouvert avec la possibilité d’installer des stores alternatifs et la possibilité pour les développeurs de communiquer librement et directement avec leurs clients (contrairement à l’univers iOS). Mais Google va aller plus loin en permettant aux développeurs qui diffusent leurs applications via Google Play Store de rediriger leurs utilisateurs européens hors de l’application « Play Store » pour promouvoir des offres spéciales sans Google.
Enfin Google veut simplifier la portabilité des données et lance pour les développeurs une nouvelle API « Data Portability API » pour permettre aux développeurs de plus aisément transférer vers leurs applications les données des apps et services Google.
Bien sûr, histoire d’expliquer pourquoi ces bonnes pratiques ne sont pas appliquées au reste du monde, Google se garde bien de rappeler que certaines des pratiques interdites par le DMA sont au cœur de son Business et préfère expliquer « qu’un certain nombre de nouvelles règles impliquent des compromis difficiles qui auront un impact sur les personnes et les entreprises qui utilisent nos produits en Europe ». Ainsi Oliver Bethell déplore « les changements apportés à nos résultats de recherche qui peuvent désormais envoyer plus de trafic aux grands intermédiaires et agrégateurs, et moins de trafic aux fournisseurs directs comme les hôtels, les compagnies aériennes, les commerçants et les restaurants » et des changements qui interdisent désormais à Google de proposer des recommandations bien utiles.
Apple grogne mais s’exécute
Bien des aspects du DMA ciblent spécifiquement les pratiques d’Apple sur iOS et son App Store. Le ton de la communication de la firme est beaucoup moins coopératif et plaisant. En janvier dernier, Apple affirmait que le DMA ouvrait « de nouveaux boulevards aux malwares, fraudes et escroqueries, aux contenus illicites et nuisibles, et aux autres menaces sur la vie privée et la sécurité ». Le problème, c’est que le DMA veut surtout ouvrir de nouveaux boulevards à la concurrence. Depuis la publication du règlement DMA, la firme tente tout ce qui est possible pour tenter de s’y aligner sans jouer le jeu. Apple a même menacé un temps de ne plus supporter les PWA (apps Web) en Europe sous de prétextes. Face au tollé généré, la firme a fait marche arrière. Mais elle continue autant que possible de faire preuve d’une évidente mauvaise volonté. Pas étonnant, quand il s’agit d’ouverture, Apple fait toujours grise mine. Chez Apple, une ouverture ne conduit que dans un sens : entrer dans l’écosystème de la marque. Jamais dans l’autre sens.
Cependant, même en faisant preuve de mauvaise volonté, Apple n’a d’autres alternatives que d’avoir l’air de se conformer. Ainsi les mises à jour « 17.4 » d’iOS, iPadOS, tvOS et « 14.4 » de macOS embarquent quelques premières modifications « DMA » comme l’apparition d’un écran permettant de choisir le navigateur par défaut utilisé par le système (de façon ironique, Apple indique qu’un bug connu peut empêcher cet écran d’apparaître sur certaines configurations).
Et la liste des modifications fait référence aux « marketplaces alternatives » laissant penser que l’OS embarque désormais la possibilité d’utiliser d’autres « apps store » de façon officielle. Même si l’information n’est pas encore documentée.
En apparence, Apple essaye de se conformer au DMA. Mais la controversée taxe « Core Technology Fee » introduite pour limiter l’impact économique des concessions faites à l’Europe continue d’attirer les foudres des éditeurs comme Spotify, Epic Games, Meta, Mozilla et Microsoft pour qui Apple cherche à contourner les règles plutôt que de se conformer à leur esprit.
Rappelons d’ailleurs qu’Apple s’est pris, cette semaine, une coquette amende de 1,8 milliard d’euros par la Commission européenne pour abus de position dominante dans l’univers de la musique en streaming. Dans un interminable communiqué pour expliquer que la firme est formidable, ne pense qu’à ses clients et qu’à les défendre, et que l’App Store est merveilleux et permet aux développeurs du monde entier de faire fortune, Apple s’estime injustement condamnée et annonce faire appel de la décision européenne tout en remettant une nouvelle fois en cause le DMA : « Ce qui est clair, c’est que cette décision ne repose pas sur le droit de la concurrence existant. Elle témoigne de la volonté de la Commission de faire appliquer la DMA avant même son entrée en vigueur » écrivent les représentants de la marque. Autant de signes qui montrent à quel point la firme est vent debout contre le DMA et donc quelque part contre l’affirmation d’une souveraineté européenne et de la nécessité d’une concurrence plus ouverte.
Pourtant, de plus en plus de voix s’élèvent aux USA constatant que les changements apportés à Android ou à Windows pour les aligner au DMA sont finalement des améliorations. Que les systèmes d’exploitation n’en sont que plus ouverts.
Mais l’Europe va aussi devoir veiller à ce que la mise en pratique des obligations DMA ne se traduisent pas au final par un risque accru pour les utilisateurs et surtout par un amoncellement de nouveaux messages ou blocages nuisant à l’expérience utilisateur. Car on voit bien les géants américains – pour préserver leurs pratiques ailleurs qu’en Europe – chercher à complexifier les choses et à faire preuve de toute la mauvaise volonté possible afin de pouvoir ensuite expliquer au reste du monde “regardez ce que les européens nous imposent et à quel point c’est une mauvaise idée“.
À l’Europe désormais de prouver sa détermination et de ne pas se montrer souple avec les géants américains. Apparemment, ça n’est pas si facile. L’Europe a déjà cédé à Apple pour que sa messagerie iMessage échappe au DMA et à l’ouverture… Simple concession de bonne volonté ou nouvelle preuve de la puissance du lobbying des GAFAM sur la Commission européenne ?
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