Un ordinateur à base d'organoïdes

Newtech

Des organoïdes pour des traitements informatiques moins énergivores

Par Charlotte Mauger, publié le 02 août 2024

Réaliser un ordinateur à partir d’amas de cellules cérébrales, c’est l’idée poursuivie par certains chercheurs et ingénieurs. Ce hardware « vivant » permettrait de bénéficier des atouts du cerveau, à commencer par sa faible consommation d’énergie.

Pour fonctionner, notre cerveau – avec ses 100 milliards de neurones – n’utilise qu’une vingtaine de watts. Par comparaison, un réseau artificiel d’autant de neurones demande environ dix millions de watts, soit 500 000 fois plus. « On s’est rendu à l’évidence qu’on ne s’emparait pas du bon outil : si on veut simuler des neurones, il est dommage de prendre des neurones artificiels alors qu’ils existent déjà à l’état naturel », expose Fred Jordan, cofondateur de FinalSpark. Cette start-up suisse fait partie des acteurs qui souhaitent construire un ordinateur biologique, basé sur des cellules cérébrales.

Comme n’importe quel ordinateur, celui-ci aura pour vocation d’encoder, de traiter et de stocker de l’information. La différence se situe dans la partie traitement, réalisée grâce à des organoïdes. Ces agrégats cellulaires d’environ un demi-millimètre de diamètre, sont constitués de cellules souches pluripotentes, capables de reproduire des cellules, afin d’imiter une partie de la structure et des fonctions du cerveau.

Comment fonctionne ce système ? L’information en entrée est transformée en une série de pulsations électriques et délivrée à l’organoïde par un réseau de microélectrodes. Une fois traitée par les neurones, elle est recaptée en enregistrant leur activité électrique. Ne reste plus qu’à décoder le signal spatiotemporel de sortie grâce à des algorithmes d’apprentissage automatique, comme des classifieurs. Pour que l’organoïde réussisse la tâche demandée, un neuromodulateur peut être utilisé pour « récompenser » une bonne réponse.

« Ce qui est intéressant ici, c’est de voir le neurone comme une petite machine », note Fred Jordan. Une machine qui a déjà réussi de premiers tests encourageants, par exemple en reconnaissance vocale. Fin 2023, des chercheurs américains ont montré que leur ordinateur biologique, après entraînement, était capable de reconnaître dans 78 % des cas le locuteur parmi huit personnes présentes.

Ces travaux s’inscrivent dans le domaine de l’informatique neuromorphique, dont l’idée est de créer des algorithmes et du matériel qui imitent la structure et le fonctionnement du cerveau. Avec les organoïdes, les chercheurs et ingénieurs espèrent concevoir des machines adaptées aux applications d’IA : celles-ci bénéficieraient ainsi de la plasticité cérébrale (neuroplasticité) ou de l’apprentissage progressif tout en consommant moins d’énergie, notamment grâce à une architecture où les composantes de stockage et de mémoire ne sont pas séparées. FinalSpark envisage ainsi de proposer à terme des services de cloud computing utilisables comme n’importe quel autre centre de calcul.

Mais avant de pouvoir utiliser ces ordinateurs à base d’organoïdes, il reste de nombreux défis à relever. À commencer par améliorer l’apprentissage : « C’est vraiment notre priorité chez FinalSpark », insiste Fred Jordan. Pour que les organoïdes constituent une solution attrayante, il faut réussir à modifier les réseaux neuronaux de manière durable, afin qu’ils renvoient des réponses fiables, cohérentes dans le temps. Pour l’heure, les organoïdes montrent seulement leurs premiers signes de plasticité.

Quand cette capacité sera atteinte, plusieurs autres challenges devront être surmontés. Il faudra faire grossir les amas cellulaires et les maintenir en vie plus longtemps. Pour l’heure, les organoïdes survivent au mieux quelques mois et les plus gros nécrosent au centre. Mais il faudra aussi travailler sur la standardisation de ces amas cellulaires et sur la fiabilisation de l’interprétation des signaux en sortie. Un passage à l’échelle et une exploitation de ce matériel informatique pour des cas d’usage concrets seront alors possibles. Ensuite, des questions éthiques autour de la douleur ou de la conscience s’inviteront peut-être dans cette quête de l’ordinateur basé sur des cellules vivantes…


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