Cloud
À qui profite le cloud ?
Par Mathieu Flecher, publié le 29 mars 2019
La messagerie, ok. La suite bureautique, ok. Mais l’ERP, est-ce vraiment nécessaire de le passer dans le cloud ? Bien sûr, nous disent nos chers – très chers, trop chers – éditeurs. Mais cette fois, la pilule a vraiment du mal à passer…
Par Mathieu Flecher (*)
Le business classique des ERP ne serait pas le plus rentable : c’est ce que m’a dit le commercial d’un éditeur d’ERP … entre deux verres de whisky consommés avec modération au lounge de la Lufthansa. Il venait d’avoir un entretien avec son patron, qui lui expliquait qu’il devait réorienter son métier vers la vente d’ERP en mode cloud. Je ne lui ai pas dit que j’étais DSI, j’avoue. Il s’est confié. Il n’aurait pas dû.
Traditionnellement, le cycle des ERP dans les entreprises va et vient depuis quelques décennies. SAP, Oracle, Microsoft et tant d’autres nous vendent majoritairement des licences. Bien sûr, derrière, ils nous assurent des montées de version moyennant maintenance. Voire, de façon que j’estime abusive, des montées de version où vous devez racheter vos licences, parce que les catégories d’utilisateurs ont changé. Voire, plus cyniques encore, ils nous vendent de nouvelles licences en nous proposant d’abandonner les actuelles, pour avoir des coûts de maintenance moins élevés, ce qui, de l’aveu de mon commercial assis au comptoir, est « moche »… Il me parle de guerre fratricide, chez lui, entre les départements « maintenance » et les départements « produits neufs ». Comme si les gars de Peugeot se tiraient la bourre pour vendre des voitures neuves moins chères pour vous éviter d’avoir trop de frais d’entretien sur votre voiture actuelle… J’adhère… Ce genre de deal ne devrait pas exister et pourtant c’est le cas. Pas spécialement pour notre grand plaisir à nous, DSI, qui n’obtenons finalement de cela qu’une justification auprès de nos directions pour pouvoir coller aux versions successives de nos ERP. Bref, revenons sur mon commercial au whisky…
Sa nouvelle mission est de vendre de l’ERP en cloud. Mais pourquoi ? Déjà, pour en finir avec le modèle traditionnel de l’utilisation classique d’une licence, avec sa durée de vie, ses aléas administratifs, et surtout sa « non-récurrence de génération de revenus significatifs » ! Forcément, quand vous vendiez pour 1 M€ de licences, vous étiez le King du plateau, mais ça ne rapportait « que » 200 k€ chaque année. Ce qu’il faut aussi imaginer, c’est que celui qui tire les marrons du feu sur le long terme ce n’est pas l’éditeur lui-même, mais bien les intégrateurs qui, tout au long du cycle de vie de l’ERP, vous vendent des milliers de jours d’intégration ! C’est là que la manne financière se fait. Le deuxième point, c’est que c’est comme le garage Peugeot. Le jour où vous avez utilisé votre voiture jusqu’aux ongles, que vous estimez qu’il faut en changer, vient un moment risqué pour notre garagiste ou notre éditeur, celui que vous changiez de partenaire ! Fini les coûts récurrents de maintenance, fini les licences additionnelles… Par contre, l’intégrateur, lui, continuera de fournir ses services… En tant qu’éditeur, vous devrez attendre de nouveau un cycle de 10 à 15 ans pour concourir à l’appel d’offre ERP de votre – désormais ancien – client. Que vous ne serez de plus pas sûr de gagner… On en revient à cette maxime célèbre : « ça coûte dix fois plus cher de gagner un nouveau client que d’en entretenir un déjà existant ». Mais je m’égare, revenons aux modèles de ventes, à ce fameux ERP dans le cloud.
L’ERP dans le cloud c’est tout bénéf’ pour notre éditeur. Il y a le gain financier, bien sûr, mais surtout deux autres avantages énormes : les ERP en mode cloud sont captifs comme le sont les suites de type Google ou Microsoft sur la partie bureautique. Je ne connais que très peu de variations chez les DSI sur ce domaine. Avec le cloud, une fois ferré, vous augmentez la captivité et rendez difficile la réversibilité. L’ERP en cloud assure également à notre éditeur la régularité des revenus et, surtout, leur montant sans commune mesure avec les 20 % de maintenance que nous connaissons sur les licences traditionnelles. Et comme il est très difficile pour nous de mettre en regard le service rendu avec le coût, contrairement avec les méthodes traditionnelles de facturation des licences, il nous est presque impossible de challenger l’éditeur. Et si jamais vous tentez de comparer les coûts on premise et cloud, les éditeurs ont tous des explications fumeuses pour vous expliquer que « ce n’est pas la même chose ».
Mais revenons-en au fond, en tant que DSI ai-je intérêt à passer sur un mode cloud ? D’un côté, le mode cloud a la cote auprès de nos directions générales, et vous pouvez très bien vous retrouver face à ce type de croyance de la part de vos patrons, car pour eux le mode d’abonnement ne mobilise pas les ressources financières de la même façon… De l’autre, mais ce n’est qu’un avis personnel, je ne trouve pas le marché aussi mûr qu’il peut l’être sur la partie bureautique. Et pour cause : si je force le trait, pour un DSI d’une société industrielle, avoir un ERP dans le cloud, c’est comme pour un particulier d’avoir un frigo en mode cloud…
En fait, vous en avez tellement besoin et vous l’utilisez tellement fréquemment que vous vous devez, pour moi, de l’avoir à demeure.
Je dois vous avouer que lorsque j’ai sorti ce dernier argument à mon commercial d’aéroport, il s’est levé en maugréant et est reparti se servir … un Perrier.
Fini le whisky, il faut aller vendre des ERP… en mode cloud bien sûr !
(*) Mathieu Flecher est le pseudonyme d’un DSI bien réel.
mathieu.flecher at gmail.com