Green IT
L’ADEME et l’Arcep dressent la carte de nos options pour un numérique durable
Par Marie Varandat, publié le 13 mars 2023
Troisième volet du rapport commandé par le gouvernement à l’ADEME et à l’Arcep sur l’impact environnemental du numérique, l’étude prospective à horizon 2030 et 2050 interpelle nos usages numériques à travers différents scénarios et choix de modèles de société.
En 2020, le gouvernement confiait à l’ADEME et à l’Arcep la périlleuse mission de mesurer l’empreinte environnementale du numérique en France, leur demandant au passage d’essayer d’identifier les leviers d’action et les bonnes pratiques pour réduire son impact.
Deux premiers rapports ont été remis en 2022 : ils portaient sur la mesure. Le premier instaurait l’ACV (analyse de cycle de vie) comme méthode la mieux adaptée pour procéder à une évaluation globale. Le second dressait un état des lieux de l’empreinte en France en 2020.
Le troisième volet, paru début mars, propose une analyse prospective à horizon 2030 et 2050, avec quatre scénarios possibles selon les modèles de société adoptés.
2030 : les terminaux restent le principal levier d’action
Dans leur analyse de la situation à horizon 2030, l’ADEME et l’Arcep ont retenu 4 scénarios : tendanciel (poursuite des tendances actuelles), eco-conception modérée (améliorations incrémentales des fabricants), éco-conception généralisée (améliorations significatives des fabricants) et enfin le scénario « sobriété » qui mise sur le comportement vertueux des utilisateurs.
Quels que soient les options envisagées et les critères d’analyse (CO2, ressources abiotiques, etc.), les terminaux représentent toujours la majorité de l’impact environnemental.
Quel que soit le scénario envisagé, les terminaux représentent la majorité de l’empreinte et tout particulièrement la principale cause de consommation de ressources abiotiques (métaux et minéraux).
Résultat, à l’horizon 2030, si rien n’est fait pour réduire l’empreinte environnementale du numérique et que les usages continuent de progresser au rythme actuel, le trafic de données sera multiplié par six et le nombre d’équipements sera supérieur de près de 65 % par rapport à 2020, notamment du fait de l’essor des objets connectés. L’empreinte carbone du numérique en France augmenterait ainsi d’environ 45%, la consommation des ressources abiotiques (métaux et minéraux) d’environ 14% et la consommation énergétique (en phase d’usage) de 5%.
Au rythme actuel, les terminaux représenteraient entre 63% et 90% de l’empreinte environnementale du numérique en 2030.
Fort logiquement, les trois premiers leviers pour infléchir cette croissance de l’empreinte environnementale du numérique identifiés par le rapport portent sur la gestion des terminaux : stabilisation du parc, augmentation de la durée de vie des équipements et eco-conception du matériel pour qu’il soit plus efficace et moins consommateur. Le quatrième levier mise sur les bonnes pratiques en conception et consommation des services numériques, autrement dit l’éco-conception avec des utilisateurs plus responsables et des développeurs plus « frugaux ».
2050 : un scénario de réduction difficilement envisageable
Encore plus prospectifs, les quatre scénarios imaginés pour 2050 envisagent des modèles de société distincts.
Comme pour 2030, le rapport envisage une France où les usages se développent. Baptisé « pari réparateur », ce modèle est bien entendu le plus alarmant : l’empreinte carbone pourrait quasiment tripler par rapport à 2020.
Le scénario « Coopérations territoriales », mixte de collaboration entre organisations non gouvernementales, institutions publiques, secteur privé et société civile, avec un maillage territorial des équipements pour diminuer les temps d’accès et l’énergie nécessaire aux transferts de données, permettrait de réduire la consommation électrique (36%) et des ressources abiotiques (24%). Mais l’empreinte carbone augmenterait de 32%.
Proche du modèle « pari réparateur », le troisième scénario dit « Technologie Verte » met la technologie au service des défis environnementaux, mais son empreinte carbone explose à 183%.
Enfin, scénario « idéal », mais difficilement envisageable, la « Génération frugale » est le seul modèle qui permettrait de réduire l’empreinte environnementale globale du numérique. Pour y parvenir, le parc d’équipements devrait diminuer sensiblement. Dans son exemple, le rapport indique qu’il faudrait diviser par trois du nombre d’ordinateurs par foyer, réduire le nombre de téléphones de 20% par rapport à 2020 et rester sur un nombre d’objets connectés identique à celui d’aujourd’hui. De plus, dans ce modèle, le trafic de données n’augmenterait que de 10% par an (contre 20% pour le scénario tendanciel) et les fabricants adopteraient massivement l’éco-conception avec une consommation électrique unitaire divisée par trois par rapport à 2020 sur l’ensemble des segments terminaux, réseaux et centres de données. La durée de vie des équipements serait prolongée de deux ans, etc.
Autrement dit, aussi vertueux soit-il, ce dernier modèle semble difficilement réalisable. Typiquement, la tendance actuelle est plutôt à la multiplication du nombre de capteurs, et à moins d’une réduction drastique du nombre de naissances en France et d’une modification tout aussi draconienne des comportements, on voit mal comment le parc de smartphones pourrait diminuer…
Un rapport qui a le mérite d’interpeler sur nos usages
Dans leur rapport, l’ADEME et l’Arcep reconnaissent la limite de ces projections, « notamment au sujet de l‘incertitude sur le nombre d’équipements, leurs caractéristiques, leurs impacts hors phase d’usage, leurs durées de vie et leurs consommations d’énergie ». Et l’exercice est d’autant plus difficile que nombre d’innovations et de technologies pourraient complètement bouleverser les calculs dans les années à venir, à commencer l’informatique quantique et l’IA.
De plus, et c’est précisément tout le problème soulevé actuellement par les mesures publiées de part et d’autre, le rapport reconnait que l’étude « vise à mesurer l’impact environnemental du numérique sans évaluer les impacts évités par le développement du numérique (déplacements évités par exemple) ».
Or, plus elles s’emparent du sujet, plus les entreprises réalisent à quel point la problématique environnementale du numérique n’est pas un sujet isolé, mais une question globale qui impacte les usages, les comportements et les modèles économiques et sociétaux en place et à venir.
Quel que soit le scénario, les sources des impacts de carbone seront surtout concentrées autour des terminaux.
Dit autrement, si le numérique pèse sur l’empreinte environnementale, il contribue aussi à la décarbonation d’autres activités : réduction des déplacements, de la consommation énergétique des bâtiments, etc. Et, bien heureux celui qui peut/sait aujourd’hui faire la balance.
Clairement, même l’Arcep et l’ADEME n’ont pas osé se prêter à l’exercice. Les deux organisations reconnaissent même à quel point le développement du numérique est un sujet complexe qui ne se résume pas à la seule réduction de l’empreinte : « Le numérique constitue un puissant facteur d’évolution de la société, tant au plan économique et social que dans la vie quotidienne de nos concitoyens et dans l’évolution des services publics. Tout l’enjeu est de combiner le développement du numérique selon les besoins de la société et de l’économie avec une nouvelle exigence environnementale ».
Multicritère (11 indicateurs environnementaux), multi-étapes (prise en compte de toutes les étapes du cycle de vie des équipements), multi-composants (périmètre couvrant les terminaux, les réseaux et les centres de données), cette étude à la fois très sérieuse et complète présente tout de même l’avantage d’interpeler sur nos usages numériques.
Dommage cependant que tout ce travail ne serve finalement qu’à nous apprendre ce que l’on savait globalement déjà : pour un numérique soutenable, quel que soit le scénario, il faut commencer par réduire le nombre d’écrans et de téléphones…
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