Newtech
Arteria, cette discrète filiale de RTE qui exploite la fibre du réseau électrique français
Par Thierry Derouet, publié le 09 janvier 2025
Filiale de RTE, Arteria exploite les 25 000 km de fibre optique installée sur les pylônes à haute tension du réseau électrique français. Avec seulement 17 salariés, cette petite structure diversifie ses activités : fibre noire, bande passante, hébergement de data centers et bientôt un câble sous-marin reliant la France à l’Irlande. Portrait d’un acteur télécom atypique en pleine ascension.
Les pylônes électriques qui sillonnent la France ne se contentent pas de transporter de l’énergie. Initialement déployée pour la télésurveillance du réseau RTE*, la fibre optique qui les équipe ouvre des perspectives inédites. « RTE, c’est 100 000 km de câbles électriques à haute tension, dont 25 000 sont équipés de fibres. C’est colossal. Mais beaucoup ignorent encore que ces fibres existent », explique Gilles Calligaro, CEO d’Arteria.
À l’image de la SNCF et de sa filiale Terralpha, qui valorise 20 000 km de fibre optique le long de ses voies ferrées, RTE, à travers Arteria, démontre qu’un actif d’infrastructure conçu pour un usage interne peut devenir un atout stratégique dans le secteur des télécommunications.
Créée en 2002 pour valoriser ce patrimoine, Arteria transforme ces capacités inutilisées en solutions de connectivité. Le réseau suit les tracés électriques, souvent en dehors des itinéraires classiques empruntés par les opérateurs télécom traditionnels, offrant une alternative robuste et résiliente. Arteria exploite cette position stratégique, souvent parallèle aux axes routiers traditionnels, pour proposer des services différenciants.
Un catalogue de services en expansion constante
Malgré sa taille modeste – 17 salariés pour un chiffre d’affaires de 14 millions d’euros – Arteria déploie un éventail d’activités impressionnant. La fibre noire constitue son cœur de métier historique. « Nous proposons aussi des constructions spécifiques pour relier des sites ou répondre à des besoins particuliers », précise Gilles Calligaro. L’entreprise mise également sur la location des pylônes : sur les 270 000 structures de RTE, 60 000 à 70 000 sont prêtes à accueillir des équipements télécoms. « J’explique souvent qu’il vaut mieux louer un pylône déjà construit plutôt que d’en ériger un nouveau. Mais on construit aussi, quand cela est nécessaire », souligne le CEO.
Dans le domaine de la bande passante, Arteria innove avec un backbone WDM unique en son genre. « Nous avons finalisé un backbone qui relie par exemple Lyon à Toulouse à 1 Tbit/s. Nous sommes les seuls à faire du switching optique automatique : le trafic est instantanément rerouté en cas d’incident », explique Gilles Calligaro. Pour rappel, un backbone WDM (Wavelength Division Multiplexing) est une infrastructure de réseau optique qui utilise la technologie de multiplexage en longueur d’onde pour transmettre plusieurs signaux de données simultanément sur une seule fibre optique.
L’avenir en ligne de mire
L’hébergement représente un nouvel axe de développement prometteur. « Nous avons un petit data center à Nantes, issu d’un local RTE réhabilité. Je souhaite développer cette activité, notamment à Marseille », révèle le dirigeant.
Plus ambitieux encore, un projet de câble sous-marin vers l’Irlande se dessine. « En 2027 ou 2028, RTE et son homologue irlandais mettront en service une liaison courant-fort. Qui dit câble électrique dit forcément fibre, et on va la commercialiser », annonce Gilles Calligaro.
Une résilience à toute épreuve
L’infrastructure d’Arteria bénéficie d’un avantage majeur : la robustesse des pylônes haute tension. Avec une incidentologie sept fois inférieure aux réseaux terrestres classiques, elle offre une sécurité incomparable. « Les grands mâts de RTE, c’est ceinture et bretelles. Et honnêtement, qui s’amuserait à saboter un pylône à 400 kV ? » fait remarquer justement le CEO.
Cette position unique sur le marché semble promise à un bel avenir. « On m’a dit : “La fibre, c’est fini, tu n’en vendras plus.” Pourtant, regardez l’explosion des data centers et des besoins en bande passante. La demande ne fait que croître », conclut Gilles Calligaro.
* RTE est détenue à 50,1% par EDF, 29,9% par la Caisse des Dépots et 20% par CNP assurances
Les concurrents d’Arteria : entre Tower Co et opérateurs télécom
Arteria évolue dans un écosystème où plusieurs acteurs se disputent le marché des télécommunications. Parmi ses principaux concurrents figurent les grandes Tower Co, spécialistes de la location de pylônes pour les antennes mobiles. Ces sociétés bénéficient de contrats solides avec les opérateurs mobiles, qui apprécient leur capacité à fournir des avances de trésorerie et des solutions éprouvées. Cette situation limite parfois les opportunités pour Arteria, malgré l’atout de ses pylônes déjà existants et stratégiquement situés sur les grandes lignes électriques. Une histoire à suivre.
Les grands opérateurs télécoms comme Orange, SFR ou Bouygues, ainsi que les acteurs régionaux et les Délégations de Service Public (DSP), représentent également une concurrence indirecte. Arteria se positionne néanmoins comme une solution complémentaire, misant sur la résilience et l’unicité de son réseau électrique aérien. « Je milite toujours pour que les clients diversifient leurs fournisseurs : un chemin avec un opérateur traditionnel et un autre complètement différent, comme nous », souligne Gilles Calligaro, CEO d’Arteria.