Gouvernance
Audrey Brayer : « Le digital a pris toute sa place dans la réinvention du groupe »
Par François Jeanne, publié le 20 décembre 2024
Face aux défis post-Covid, le groupe de tourisme s’est réinventé avec son plan Réinvention 2025, structuré autour de la performance, de l’expérience client et des enjeux RSE. Porté par le digital et les données, il mise sur l’innovation pour se positionner dans un secteur bouleversé par l’IA générative.
Entretien avec Audrey Brayer, Directrice de l’innovation opérationnelle et des SI, Groupe Pierre & Vacances – Center Parcs
Fondé en 1967, le Groupe Pierre & Vacances – Center Parcs emploie 12 600 collaborateurs (fin 2023) en France et en Europe et a réalisé un chiffre d’affaires de 1,915 Md€. Au travers de ses quatre marques principales – Pierre & Vacances, Center Parcs, Maeva et Adagio –, il exploite environ 300 résidences touristiques ou hôtelières.
Nommé directeur général début 2021 alors que le groupe vivait une période difficile à la suite de la pandémie de la Covid 19, Franck Gervais a rapidement présenté le plan stratégique « Réinvention 2025 ».
Arrivée début 2021 également en provenance du groupe Accor, Audrey Brayer a pris la direction des systèmes d’information et de l’innovation opérationnelle (180 personnes) avec pour objectif principal de réaliser ce plan, en améliorant l’expérience client, la digitalisation, les données et l’efficacité des processus.
Vous avez rejoint le Groupe Pierre & Vacances – Center Parcs en 2021. Dure époque…
C’était en effet juste après la fin de la crise Covid et peu de temps après le lancement du plan Réinvention 2025. J’ai pris en charge la DSI à un moment où le groupe traversait de grandes difficultés, avec une direction technologique qui avait souffert de la période de pandémie.
Avec quelles conséquences ?
Cette dernière a surtout exacerbé un problème de sous-investissement. Il faut rappeler que nos résidences étant vides, il était compliqué de continuer à investir en général et forcément aussi sur l’informatique. Nous avons dû geler certaines dépenses alors que dans notre secteur, le digital évolue à une vitesse incroyable. Ne pas investir pendant deux ou trois ans, c’est accumuler un retard important.
« Dans notre secteur, le digital évolue à une vitesse incroyable. Ne pas investir pendant deux ou trois ans, c’est accumuler un retard important. »
Votre feuille de route, c’était donc de le rattraper ?
Oui. Même si le groupe avait un positionnement digital solide, notamment en matière de distribution directe, il fallait agir sur les infrastructures, les systèmes backend, les applications de gestion et notre plateforme data. La feuille de route a été construite en tenant compte des trois piliers du plan Réinvention : améliorer la performance, mettre l’expérience client au coeur de nos priorités, et intégrer les enjeux RSE dans tout ce que nous faisons.
Pour quel périmètre d’intervention ?
Mon périmètre de responsabilité couvre l’IT au sens large : tech, digital, data. Avec mon équipe, nous gérons les opérations IT, les infrastructures réseau, la cybersécurité, les workplaces, les systèmes de gestion, la distribution, la gestion des campagnes marketing, la relation client… La partie distribution est particulièrement cruciale avec les systèmes de réservation, les sites web, les applications mobiles, la gestion du revenue management, tout ce qui permet aussi aux équipes de bien travailler sur les sites, à bien accueillir les clients. Ce sont les fameux PMS et LMS, (properties management system et leisure management system) dans notre domaine du tourisme. Enfin, nous gérons les outils destinés à nos propriétaires, comme la gestion des baux, en copropriété et en multipropriété.
Quels sont les domaines d’innovation digitale qui vous mobilisent le plus ?
Nous investissons beaucoup dans notre écosystème client, à la fois sur le Web et sur les applications mobiles. Notre roadmap est très riche, et nous avons gagné sept points de net promoter score (NPS) entre 2022 et 2024 sur l’expérience de réservation en ligne. L’objectif est d’améliorer continuellement le parcours du client sur nos plateformes, afin de proposer une expérience toujours plus immersive, qui mette en valeur la singularité de nos produits, notamment pour Center Parcs. Cela nous permet de fidéliser nos clients et de conserver une forte part de distribution en direct
Quelles sont les dernières fonctionnalités que vous avez mises en place ?
Sur Center Parcs, par exemple, notre promesse repose sur la reconnexion en famille ou entre amis dans un environnement préservé. Nous avons donc développé une fonctionnalité permettant de réserver plusieurs cottages côte à côte, pour renforcer cette possibilité. Nous avons également lancé une option de surclassement automatique pour les meilleurs clients lorsque leur demande initiale ne peut être satisfaite.
Cela fait partie de notre démarche de personnalisation. Nous avons mis en place une segmentation très fine de nos clients avec plus de 180 dimensions, ce qui nous permet d’offrir des propositions sur mesure, tant dans nos communications que dans les services proposés sur notre site.
« Pierre & Vacances comme Center Parcs ont surtout su prendre le virage du digital assez tôt, en comprenant l’importance de la vente directe et en misant massivement sur le digital pour sécuriser leur position. »
Et si les clients, venus se reconnecter en famille, veulent en parallèle se déconnecter du digital ?
Nous avons développé une plateforme qui leur permet de choisir comment ils souhaitent interagir avec nous. Ils peuvent utiliser leur mobile pour réserver des services additionnels comme la livraison du petit-déjeuner ou des activités sur place. Mais s’ils préfèrent déconnecter totalement, ils peuvent passer par des bornes interactives, ou simplement s’adresser à nos équipes sur site. C’est pour cela que nous avons équipé ces dernières, nos « happy family makers », de tablettes qui leur permettent de vendre des activités en « walking », c’est-à-dire directement en discutant avec les clients sur place. Tout est relié au bracelet sans contact que le client reçoit à son arrivée, pour pouvoir tout régler sans avoir à sortir son portefeuille.
Il faut avoir en tête que vendre une activité additionnelle sur une résidence de tourisme, nécessite de pouvoir vérifier des disponibilités d’espaces ou de personnes, d’anticiper sur les flux de personnes, etc. Faciliter la vie de nos opérateurs sur site, c’est essentiel et c’est une logistique complexe.
Une solution produite en interne ?
Oui, elle a été conçue et réalisée par nos équipes.Nous sommes très fiers des résultats. Aujourd’hui, 70 % de nos ventes d’activités sur site sont réalisées via cette plateforme, et nous gérons aussi environ deux millions de check-in avec.
Cette solution a ensuite donné lieu à la création d’une start-up, Guest up, dans laquelle le groupe a pris une participation minoritaire, permettant à notre équipe d’intrapreneurs de se lancer réellement dans l’aventure entrepreneuriale.
La solution est donc aujourd’hui disponible pour d’autres acteurs du secteur. C’est l’aboutissement d’un travail de près de dix ans. Elle combine plusieurs briques, mais surtout un PMS et un LMS. Sa force réside dans sa modularité : elle permet à chaque type d’acteur de construire un parcours client unique en fonction de ses besoins. Et elle s’intègre aux systèmes déjà en place chez nos clients. Par exemple, si un hôtel dispose déjà d’un PMS mais pas d’un système de gestion des activités, nous pouvons ajouter notre module.
« Nous sommes très attentifs à ce que l’IA peut apporter comme nouvelles pratiques dans notre secteur. Je pense par exemple aux agents conversationnels. »
Comment des groupes historiques comme Pierre & Vacances – Center Parcs ont pu résister aux pure-players dans le secteur du tourisme ?
Plusieurs facteurs ont joué. Mais Pierre & Vacances comme Center Parcs ont surtout su prendre le virage du digital assez tôt, en comprenant l’importance de la vente directe et en misant massivement sur le digital pour sécuriser leur position. Aujourd’hui, plus de 80 % de nos ventes sont réalisées en direct et c’est un atout majeur. Le chiffre augmente notamment grâce à notre stratégie de renforcement du web, avec une croissance de 9 % du chiffre d’affaires en ligne entre 2022 et 2024.
C’est pourquoi nous investissons toujours fortement dans la technologie et la data. Nous avons mis en place une customer data platform (CDP) qui évolue constamment. Elle regroupe toutes nos données clients pour permettre une meilleure personnalisation de nos offres et de nos communications. Cela renforce l’expérience utilisateur en l’adaptant à la spécificité de nos produits. Nous avons des offres assez uniques, compliquées à vendre sur des plateformes, même si nous avons des partenariats avec Booking.com par exemple, notamment sur Pierre et Vacances.
Une data pertinente, c’est aussi vital pour tirer parti de l’IA ?
Oui, absolument. Nous sommes en train de déployer l’IA générative dans plusieurs domaines : pour répondre plus rapidement aux demandes des clients via nos centres de contact, notamment écrites ; pour améliorer la qualité de nos données ; pour créer des contenus – textes, images, vidéos – de manière plus rapide et plus efficace. Cela nous aide à personnaliser davantage l’expérience client.
Mais même si le fait d’avoir des data bien rangées est évidemment un point fondamental, le plus important reste de partir des used cases, des besoins du métier en termes de relation client par exemple. La technologie vient ensuite.
Cela ne nous empêche pas d’être très attentifs à ce qu’elle peut apporter comme nouvelles pratiques dans notre secteur. Je pense par exemple aux agents conversationnels.
Aujourd’hui, pour vous informer sur un séjour, vous visitez plusieurs sites pour faire votre choix. Demain, vous pourrez via ces agents poser une question au niveau du moteur de recherche en langage naturel, par exemple : « Je voudrais un week-end de déconnexion complète avec ma famille, pendant quatre jours en forêt, qu’est-ce que tu peux me proposer ? ». Nous devons nous préparer parce que cela va changer complètement la donne en matière d’achats. Nous devons être prêts à intégrer ces solutions et à maintenir notre visibilité dans ce nouvel écosystème.
« La stratégie full cloud, avec aujourd’hui 90 % de notre SI migré, participe à l’optimisation de la performance financière de la DSI »
Après trois ans du plan Réinvention, où en êtes-vous aujourd’hui, notamment en matière d’IT ?
L’ensemble du groupe est en avance sur sa réalisation, d’environ un an. C’est aussi vrai pour l’IT. Le plan débouchait sur trois axes majeurs de travail pour nous.
D’abord, la modernisation de nos systèmes d’information. Nous y avons beaucoup travaillé avec la migration vers le Cloud, l’adoption des méthodes agiles, DevOps, et FinOps. Aujourd’hui, 60 % de nos projets sont réalisés en agile, contre 20 à 30 % il y a deux ans. Cela nous permet d’assurer un meilleur retour sur investissement, grâce à des équipes pluridisciplinaires qui construisent ensemble les systèmes qui auront l’impact positif maximal sur la croissance du chiffre d’affaires, l’expérience client, la connaissance du client…
Le deuxième axe est d’accroître la contribution de l’IT à la croissance de nos marques. Elles ont des besoins différents, et nous adaptons nos systèmes pour en tenir compte. Center Parcs avec ses 29 sites en Europe et en moyenne 600 cottages par site a besoin de solutions robustes et de processus industrialisés, tandis que Pierre & Vacances, avec ses 186 résidences, nécessite des systèmes plus agiles, adaptés à des sites plus petits et des services « à la carte ».
Le troisième axe est l’optimisation de la performance financière de la DSI, en rationalisant nos technologies et en maîtrisant les coûts. La stratégie full cloud, avec aujourd’hui 90 % de notre SI migré, y participe évidemment. Cela nous offre aussi une grande flexibilité pour ajouter des fonctionnalités spécifiques à certaines marques, sans alourdir le système dans son ensemble.
Et que va-t-il se passer après ce premier plan ?
Déjà, il faut noter que depuis que je suis arrivée, les enveloppes d’investissement IT dans le groupe ont été doublées. Cela traduit une vraie confiance dans ce que peut apporter la technologie au groupe, et dans le savoir-faire des équipes IT pour délivrer des projets porteurs de valeur.
La suite est déjà pensée, avec un nouveau plan stratégique baptisé « Beyond Réinvention », qui nous emmènera jusqu’en 2028. Il affirme notre volonté d’agir en tant que leader du tourisme local à impact positif, en renforçant notre engagement RSE et en poursuivant nos efforts en matière d’expérience immersive pour nos clients.
L’IA générative est au coeur de notre roadmap évidemment. Nous allons aussi explorer des modèles « asset light », c’est-à-dire moins centrés sur la propriété des infrastructures et plus sur la gestion des opérations.
Pour la DSI, ce sera un changement majeur, car nos solutions de distribution, nos expertises sur la data ou notre gestion de l’expérience client sur site, vont devenir autant de services commercialisables auprès de futurs franchisés.
PARCOURS DE
AUDREY BRAYER
Depuis 2021 :
Directrice de l’innovation opérationnelle et des systèmes d’information du Groupe Pierre & Vacances ‒ Center Parcs.
Membre du Comex
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2020 – 2021 :
Senior vice-présidente IT et performance chez Accor
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2017 – 2020 :
Vice-présidente strategie IT & transformation digitale chez Nexans
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2005 – 2017 :
Chez Accenture, successivement consultante fonctionnelle (IDTGV, Disneyland Paris),
puis manager de projet (pour STIP et First Group),
et enfin manager senior (Accorhotels)
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FORMATION
Master de l’EDHEC Business School (2004)
Membre du club IVY (Lieu d’échange et de réflexion pour les dirigeants du secteur de la tech)
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