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Newtech
AWS dévoile Ocelot et c’est une mauvaise nouvelle pour Alice & Bob
Par Laurent Delattre, publié le 03 mars 2025
AWS annonce son premier processeur quantique, Ocelot, à base de Qubits de chat, une technologie qui promet de réduire les coûts de correction d’erreurs de 90% et dont le pionnier n’est autre que la startup française Alice & Bob. Pour cette dernière, voir ainsi un géant américain marcher sur ses platebandes n’est pas franchement une bonne nouvelle.
Quelques jours après l’annonce très (trop ?) marketing de Microsoft et de son processeur Majorana-1 mais aussi après les annonces de records quantiques de Google avec son processeur Willow, AWS se devait de rappeler sa présence dans la course aux ordinateurs quantiques.
Le cloud d’Amazon vient ainsi de dévoiler sa toute première puce d’ordinateur quantique : Ocelot.
« Avec les récentes avancées dans la recherche quantique, ce n’est plus une question de si, mais de quand des ordinateurs quantiques pratiques et tolérants aux pannes seront disponibles pour des applications concrètes. Ocelot représente une étape importante sur ce chemin, » explique Oskar Painter, directeur du matériel quantique chez AWS. « À l’avenir, les puces quantiques construites selon l’architecture Ocelot pourraient coûter aussi peu qu’un cinquième des approches actuelles, en raison du nombre considérablement réduit de ressources nécessaires à la correction d’erreurs. Concrètement, nous pensons que cela accélérera notre calendrier vers un ordinateur quantique pratique jusqu’à cinq ans. »
Développé par l’équipe du Centre de recherche AWS pour l’informatique quantique à l’Institut de Technologie de Californie (Caltech), ce processeur s’appuie sur une technologie qui, jusqu’ici, était surtout explorée et défrichée par la startup française Alice & Bob : les qubits de chat, ou Cat Qubits.
À propos des Cat Qubits
Les Cat Qubits sont un des grands axes de recherche de l’informatique quantique qui visent à intégrer la résistance aux erreurs directement dans la conception des qubits. Inspirés par l’expérience de pensée du chat de Schrödinger, ils cherchent à pallier les problèmes liés au bruit ambiant (vibrations, chaleur, interférences électromagnétiques, etc.) qui perturbent les calculs quantiques.
La particularité des Cat Qubits est qu’ils sont par nature résistants aux erreurs de type « bit-flip ». Pour rappel, deux types d’erreurs liés aux perturbations environnementales affectent les ordinateurs quantiques et leurs qubits. L’erreur « bit-flip » résulte d’un changement d’état d’un qubit et donc de l’information qui y est stockée. L’erreur « phase-flip » affecte la phase de superposition et donc le résultat des calculs quantiques.
« Nous avons examiné les approches existantes et décidé d’emprunter une voie différente, » explique Oskar Painter, en oubliant de rappeler les travaux dans ce domaine d’Alice & Bob. « Nous n’avons pas pris une architecture existante pour y incorporer la correction d’erreurs par la suite. Nous avons sélectionné notre qubit et notre architecture en faisant de la correction d’erreurs quantiques l’exigence principale. »
Selon Amazon, cette approche pourrait réduire jusqu’à 90% les ressources nécessaires pour la correction d’erreurs par rapport aux méthodes conventionnelles, diminuant drastiquement les coûts associés.
La composition technique d’Ocelot
Le prototype Ocelot se compose de deux micropuces en silicium superposées et connectées électriquement.
Chaque puce présente une superficie d’environ 1 cm² et intègre 14 composants essentiels :
* Cinq qubits de données (cat qubits)
* Cinq circuits tampons stabilisant les qubits de données
* Quatre qubits supplémentaires (transmons) dédiés à la détection d’erreurs
Et AWS annonce déjà des chiffres assez spectaculaires avec des temps de cohérence sans bit-flip d’une seconde (c’est 1000 fois plus que certaines machines quantiques à qubits supraconducteurs) et des temps sans phase-flip de 20 microsecondes.
Un dangereux et puissant concurrent pour Alice & Bob ?
Avec Ocelot, AWS démontre qu’elle a ainsi rattrapé une grande partie de son retard sur la concurrence, même si son processeur Ocelot n’est en réalité pour l’instant qu’un prototype de 5 qubits. Et cela ne peut qu’inquiéter les plus petits concurrents que sont toutes les startups de l’univers quantique, telles que Quandela, Pasqal, IonQ, Rigetti, Quantinuum, etc.
Sur le papier toutefois, la menace semble plus forte encore pour la jeune pousse « Alice & Bob », pionnier des Cat Qubits.
Alice & Bob – qui a levé 100 millions d’euros en début d’année – a certes une approche différente de celle d’AWS. La jeune pousse française rappelle que son approche utilise des « cat qubits » purs, alors qu’AWS utilise une approche hybride où les qubits de chat sont associés à des qubits supraconducteurs traditionnels (appelés Transmons). Une approche hybride qu’Alice & Bob avait déjà exploré en 2020 avec son chip Boson 1 avant de se focaliser sur une approche purement « cat qubits ». Selon les chercheurs de la startup, « les cat qubits résistent naturellement aux erreurs bit-flip par l’injection de photons, mais en les accouplant avec des transmons cela affaiblit leur protection ».
L’avantage de l’approche hybride d’AWS, c’est qu’en s’appuyant sur la technologie déjà bien maîtrisée des transmons, ses chercheurs peuvent fabriquer des puces contenant plus de qubits plus rapidement. D’ailleurs, Ocelot affiche 5 qubits, là où le Boson 4 (dernier processeur en date d’Alice & Bob) n’en propose qu’un (pour info, les systèmes d’Alice & Bob sont disponibles via Google Cloud).
Reste que là où AWS avec Ocelot affiche un temps de stabilité avant une erreur bit-flip d’une seconde, le chip Boson 4 dépasse, lui, les 120 secondes ! Alice & Bob a même réussi à atteindre 7 minutes de stabilité !
Ce qui veut dire aussi que l’approche hybride d’AWS impose de mettre en place des mécanismes d’erreur à la fois pour les bit-flips et les phase-flips, alors qu’Alice & Bob vise désormais à ne plus avoir d’erreurs bit-flips pour se concentrer sur la seule correction des erreurs phase-flips. Dit autrement, Alice & Bob estime que son approche permettra de créer des ordinateurs qui nécessiteront 10 fois moins de qubits physiques qu’AWS pour exécuter de façon fiable des algorithmes quantiques utiles.
On rappellera au passage qu’Alice & Bob travaille désormais sur une nouvelle génération de chips quantiques à cat qubits, dénommés Helium, avec un qubit logique ultra fiable. Sa roadmap comprend ensuite l’arrivée de puces Lithium dotées de multiples qubits logiques avant l’arrivée de ses premières puces à portes universelles (les Beryllium Chips) et de machines quantiques vraiment utiles en 2030.
Alice & Bob reconnaît néanmoins dans un message sur X que « l’annonce d’AWS est impressionnante. Ils ont démontré la correction d’erreurs sur des qubits de chat. La dernière puce Willow de Google avait un taux d’erreur 10 fois inférieur, mais AWS a utilisé 5 fois moins de qubits, ce qui représente une étape majeure vers l’informatique quantique évolutive ».
Avec Ocelot, AWS estime avoir fait un pas décisif vers des ordinateurs quantiques FTQC (tolérants aux erreurs) essentiels pour réaliser des calculs fiables à grande échelle. « Il ne s’agit plus de savoir si, mais quand des ordinateurs quantiques tolérants aux pannes seront disponibles pour des applications concrètes, » affirme ainsi Oskar Painter.
Bien qu’Ocelot ne soit encore qu’un prototype, cette innovation marque l’entrée réelle d’AWS dans l’univers des ordinateurs quantiques, même si AWS offre depuis plusieurs années un service QaaS avec Amazon Braket basé sur les machines de IonQ, Rigetti, IQM, QuEra. Elle marque aussi une avancée apparemment significative dans cette quête qui consiste à franchir le gouffre entre les ordinateurs quantiques expérimentaux actuels NISQ et des machines FTQC capables de résoudre des problèmes concrets dans des domaines aussi variés que la découverte de médicaments, la cryptographie ou l’intelligence artificielle.
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