Gouvernance

«Mettre la performance individuelle au service de la performance collective»

Par Thierry Derouet, publié le 07 juin 2024

C’est dans ses starting-blocks que nous a reçu, Bruno Marie-Rose, celui qui pilote l’IT des Jeux Olympiques et Paralympiques de Paris 2024. Un événement où la technologie est pratiquée comme un sport de haut niveau et où il s’agit de faire la course en tête.


Entretien avec Bruno Marie-Rose, Chief information and technology officer (CITO) du Comité d’organisation des Jeux Olympiques et Paralympiques de Paris 2024.


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Bruno Marie-Rose interrogé par IT for Business

Après une carrière sportive remarquable où vous avez brillé sur les pistes d’athlétisme et établi des records mémorables, vous avez entamé un virage professionnel significatif. Aujourd’hui, vous êtes au cœur de l’innovation technologique en tant que chief information and technology officer pour le Comité d’organisation des Jeux Olympiques et Paralympiques (COJOP) de Paris 2024. Pouvez-vous nous définir votre mission ?

Bruno Marie-Rose : Tout d’abord, nous avons besoin de moyens informatiques et de communication pour le Comité d’organisation, qui est essentiellement une entreprise. Cela inclut le système d’information, la téléphonie, l’équipement informatique, etc. Lorsque je suis arrivé en 2018, le Comité comprenait une trentaine de personnes. À terme, au moment des Jeux, nous serons 5 000 ! Nous devons donc mettre en place des moyens informatiques « corporate » qui s’adaptent à la croissance du Comité, qui passe de la dimension d’une start-up à celle d’un grand compte.

Le deuxième pilier, probablement le plus essentiel, concerne la technologie autour de l’événement en lui-même. La partie la plus visible, ce sera l’affichage dans les stades, les écrans géants, tout comme la transmission des images dans le monde entier avec des moyens de communication et des équipements éthiques, et le chronométrage, un aspect bien évidemment crucial pour le classement des athlètes et l’attribution des médailles.

Mais la technologie est également nécessaire pour gérer tous les aspects de l’événement, similaires à ceux d’une petite ville, avec ses transports, ses logements, la restauration, etc. Chaque domaine d’activité du Comité d’organisation a besoin d’un système d’information dédié.

Le troisième pilier transversal est la sécurité, en particulier la cybersécurité, car les Jeux Olympiques sont l’un des événements les plus ciblés au monde. Nous devons donc prendre les mesures adéquates pour le sécuriser.

Paris 2024 a également des ambitions fortes en termes de réduction de l’empreinte carbone. La technologie doit donc être au service de cette ambition, ce qui signifie utiliser des matériaux recyclés et veiller à donner une deuxième vie aux équipements. La technologie doit aussi servir l’héritage de ces Jeux, en permettant au mouvement sportif dans son ensemble d’en bénéficier.

Enfin, l’innovation en est un aspect clé, avec une utilisation pertinente de la technologie pour servir la réalisation de l’événement et le spectacle. Tout ceci représente une mission engageante et passionnante.

Votre mission perdure-t-elle au-delà des Jeux Paralympiques ?

Bruno Marie-Rose : Oui. Tout ne s’arrête pas après la cérémonie de clôture des Jeux Paralympiques. Une fois celle-ci terminée, il y a encore beaucoup de travail à faire. Nous devons faire en sorte que tous les contrats soient soldés et que tout soit remis en ordre.

"SÉCURITÉ ET CYBERSÉCURITÉ SONT DES PILIERS ESSENTIELS DE LA DÉMARCHE, CAR LES JO SONT L’UN DES ÉVÉNEMENTS LES PLUS CIBLÉS AU MONDE"

SÉCURITÉ ET CYBERSÉCURITÉ SONT DES PILIERS ESSENTIELS DE LA DÉMARCHE, CAR LES JO SONT L’UN DES ÉVÉNEMENTS LES PLUS CIBLÉS AU MONDE

Mais surtout, nous devons nous assurer que l’héritage des Jeux soit géré de manière appropriée, ce que nous appelons chez nous la phase de dissolution. La technologie jouera encore un rôle important dans ce contexte, en accompagnant la dissolution du Comité d’organisation et en veillant à ce que tout soit fait de manière propre et efficace. Cela inclut la gestion des données, la désactivation des systèmes informatiques et la préservation des archives numériques pour les générations futures. Je suis d’ailleurs particulièrement fier de contribuer à l’héritage durable de cet événement historique.

Qu’est-ce qui vous a poussé à postuler pour un tel rôle ? Votre passé de sprinteur de classe mondiale est sans doute un atout.

Bruno Marie-Rose : Ma fonction en tant que chief information and technology officer repose sur mon parcours professionnel dans le domaine de l’héritage. Mon expérience sur ce point est donc essentielle pour mener à bien ma mission.

En ce qui concerne mon passé de sprinteur, je considère que c’est un avantage complémentaire. Le fait d’avoir été moi-même un athlète de haut niveau me permet de mieux comprendre le produit de l’événementiel sportif et d’agir plus rapidement dans les processus de décision.

Je pense que mes parcours professionnel et sportif m’aident aussi dans l’aspect préparation comme dans le domaine managérial. J’ai eu l’opportunité de détenir un record du monde à la fois dans une épreuve individuelle et dans une épreuve collective, ce qui m’a permis de comprendre comment mettre la performance individuelle au service de la performance collective. C’est cette notion de préparation sportive que j’essaie d’appliquer au quotidien en tant que manager.

Quelles sont les premières mesures que vous avez prises après votre nomination ? Pouvez-vous nous détailler comment vous avez structuré vos 100 premiers jours dans ce rôle crucial ?

Bruno Marie-Rose : Pendant mes 100 premiers jours, j’ai dû m’immerger dans le projet et me familiariser avec la technologie relative à cet événement. J’ai passé beaucoup de temps en échange avec le CEO et j’ai lu de nombreux guides et documents pour mieux comprendre les enjeux de mon rôle.

En parallèle, j’ai également accompagné le Comité d’organisation dans son développement, en fournissant le support informatique attendu et en aidant à résoudre les problèmes techniques. C’était une expérience intéressante et enrichissante pour moi en tant que directeur.

Mais l’un de mes défis majeurs, pendant cette période, a été de recruter les membres de mon équipe, en veillant à ce que chacun possède les compétences et les qualités nécessaires pour rejoindre l’aventure et contribuer à la réussite globale du projet. À mon arrivée, je n’étais que le second membre du département technologique, avec le responsable de support informatique. À terme, nous serons près de 5 000 personnes à travailler dans le périmètre technologique.

Sur quelle expérience avez-vous pu compter ?

Bruno Marie-Rose : Dès le début de mon aventure, j’ai pris contact avec mon homologue de Tokyo afin de comprendre son cheminement et de capitaliser sur ses expériences. Cependant, ce qui est intéressant dans cette aventure, c’est que la technologie évolue si rapidement que chaque édition des Jeux est différente et qu’une adaptation constante est nécessaire. J’ai rapidement compris que je devais prendre mes marques et me faire ma propre opinion pour dessiner mon propre projet. Faire en sorte que Paris 2024 soit l’édition de Paris et pas une copie d’une précédente édition.

En plus de la communauté des DSI, nous avons également une vraie communauté des Olympiens de l’IT, composée de professionnels et d’experts ayant participé à une édition précédente. Ils apportent leur savoir-faire et leur diversité d’expérience et de culture. Avoir plus de 30 nationalités différentes dans cette communauté aujourd’hui est vraiment une expérience enrichissante.

Combien de collaborateurs sont impliqués dans ce projet et de quel budget disposez-vous ?

Bruno Marie-Rose : Pour ce qui est des collaborateurs internes, nous serons autour de 170 au moment des Jeux. Mais nous nous appuyons également sur nos fournisseurs et partenaires, ce qui porte le nombre total de personnes travaillant sur le domaine de l’IT à environ 5 000. Il est important de noter que notre modèle d’organisation commence par une activité centrale, mais est ensuite complètement décentralisé sur nos filiales IT que sont les sites de compétition, où nous recréons des organisations complètement autonomes. En ce qui concerne le budget, nous sommes à environ 12 % du budget total du Comité d’organisation, ce qui est en alignement avec les précédentes éditions des Jeux Olympiques.

En matière d’architecture technique et opérationnelle, quels ont été les choix stratégiques et quelles ont été les solutions mises en place ?

Bruno Marie-Rose : Dans le cas du système d’information de ces JO à venir, nous avons opté pour une architecture basée sur des échanges de données très structurés, en utilisant des produits tels que Mulesoft. Cette architecture nous a permis de gagner beaucoup de temps dans la capacité à intégrer les produits, tout en anticipant les besoins qui n’étaient pas encore exprimés. C’était très important pour nous en termes d’organisation et de choix technologiques.

Avec l’un de nos partenaires, nous avons mis en place un ERP pour la gestion financière et celle des ressources humaines. Toute l’activité corporate est ainsi bien structurée. Nous avons également une activité CRM, basée sur Salesforce, qui structure aussi une bonne partie de notre activité digitale. Atos, l’un de nos grands partenaires, nous apporte tout son savoir-faire acquis lors des éditions précédentes des Jeux, dont de nombreuses applications qu’il a fait évoluer en fonction des spécificités que nous souhaitions pour Paris 2024, notamment sur le volet accessibilité.

Vous travaillez en collaboration avec des partenaires technologiques de premier plan tels qu’Atos, Intel, Deloitte, Samsung, Orange, Cisco, et Alibaba pour le cloud. Quelle est la nature des relations et des obligations que le COJOP entretient avec ces entreprises ?

Bruno Marie-Rose : Les sociétés que vous mentionnez sont des partenaires clés de la livraison des Jeux. Ce ne sont pas seulement des partenaires marketing. Nous les avons choisis pour leur savoir-faire dans des domaines spécifiques. Ils intègrent leur technologie dans notre système d’information, apportent leur expertise professionnelle à nos équipes…

Pour compléter notre paysage informatique, nous faisons aussi appel à des partenaires locaux, à des start-up. Les recruter a donné lieu à de nombreuses rencontres, discussions et démonstrations.

Ce qui est important, c’est que nous travaillons ensemble en mode « one team, one technology team », indépendamment de l’employeur de chacun, pour garantir une collaboration étroite et efficace. Cette approche, nous l’avons choisie et mise en œuvre dès le départ. Elle est essentielle pour assurer la réussite technologique des Jeux.


Bruno Marie-Rose, l'homme qui pilote l’IT des JO de Paris 2024

Parcours de Bruno Marie Rose

Depuis 2018 :
Chief information and technology officer du Comité d’organisation de Paris 2024

2016-2018 :
Sport, innovation and technology advisory chez Wagram Consulting

2010-2016 :
Head of project management office, puis global head of IS architecture governance & operating office chez Société Générale

2004-2010 :
Associate partner chez Talan

1999-2003 : 
Senior manager chez Valoris

1988-1999 :
Différents postes chez HP


FORMATION

Insa de Lyon (1988)


Comment assurez-vous la conformité aux critères de protection des données tout en collaborant avec des partenaires internationaux ?

Bruno Marie-Rose : La conformité avec les réglementations locales est une préoccupation importante lorsque l’on travaille avec des partenaires internationaux. Dans le cas d’Alibaba, nous avons veillé à ce qu’elles soient toutes respectées, conformément aux exigences du Comité Olympique. Nous nous sommes conformés à 100 % à la réglementation européenne en matière de gestion des données, ce qui a été validé par la Cnil et le gouvernement. Cela a nécessité de longues discussions et un travail important pour trouver une solution qui convienne à tous les partenaires. Mais aujourd’hui, nous sommes tous en ordre de marche pour livrer la technologie des Jeux.

"NOUS NOUS SOMMES CONFORMÉS À 100 % À LA RÉGLEMENTATION EUROPÉENNE EN MATIÈRE DE GESTION DES DONNÉES, CE QUI A ÉTÉ VALIDÉ PAR LA CNIL ET LE GOUVERNEMENT"

NOUS NOUS SOMMES CONFORMÉS À 100 % À LA RÉGLEMENTATION EUROPÉENNE EN MATIÈRE DE GESTION DES DONNÉES, CE QUI A ÉTÉ VALIDÉ PAR LA CNIL ET LE GOUVERNEMENT

Pouvez-vous nous donner des exemples concrets d’innovations technologiques qui sont implémentées pour les Jeux Olympiques et Paralympiques de Paris 2024 ?

Auparavant, les ventes de billets étaient découpées par zones géographiques. Pour Paris 2024, nous avons mis en place un système de billetterie mondial pour la première fois dans l’histoire des Jeux Olympiques. Nous avons travaillé en étroite collaboration avec nos fournisseurs et partenaires pour nous assurer que le système soit accessible dans le monde entier, avec des tests et des analyses approfondies. Aujourd’hui, nous avons un écran qui permet aux gens d’acheter des billets depuis n’importe où dans le monde.

Nous avons voulu également nous concentrer sur ce que nous appelons l’innovation « utile », pour trouver celles qui assureront la réussite des Jeux et répondront aux ambitions de Paris 2024. C’est pourquoi nous avons mis en place des partenariats avec des start-up pour, par exemple, améliorer l’accessibilité. Nous proposerons ainsi du commentaire audio dans les stades, ainsi que des tablettes haptiques qui permettront aux déficients visuels de suivre les mouvements de ballon. Nous avons également prévu d’utiliser la 5G privée pour véhiculer les images de télévision, ce qui sera particulièrement important pour des moments clés comme la cérémonie d’ouverture.

Ces technologies ne sont pas là pour créer des effets « waouh » en termes d’innovation de demain, mais plutôt pour avoir un impact immédiat sur notre capacité à mieux livrer l’événement. C’est du concret et de l’utile.

Après la clôture des Jeux Olympiques, vous allez embrayer avec les Jeux Paralympiques. Comment vous et vos équipes gérez-vous cette transition ?

Bruno Marie-Rose : Je peux vous assurer que les Jeux Paralympiques sont tout aussi importants en termes de technologie que les Jeux Olympiques. Nous déployons exactement les mêmes services pour les deux événements, mais il y a un vrai enjeu de gestion de la transition entre les deux.

Celle-ci nécessite une réinitialisation et une reconfiguration de certains systèmes, tels que les listes d’athlètes et les paramètres de chronométrage. Tout cela doit être planifié en amont pour garantir une transition en douceur.

"LES JEUX PARALYMPIQUES SONT TOUT AUSSI IMPORTANTS EN TERMES DE TECHNOLOGIE QUE LES JEUX OLYMPIQUES"

LES JEUX PARALYMPIQUES SONT TOUT AUSSI IMPORTANTS EN TERMES DE TECHNOLOGIE QUE LES JEUX OLYMPIQUES

En plus de cela, il y a aussi un aspect humain à prendre en compte. Après la cérémonie de clôture des Jeux Olympiques, il peut y avoir une sorte de décompression naturelle chez les membres de l’équipe, et il est donc nécessaire de les remobiliser pour les Jeux Paralympiques. Bien que cela puisse sembler difficile en raison de la fatigue et de l’adrénaline déjà utilisée, cela se passe généralement bien, car les Jeux Paralympiques offrent également de nouvelles opportunités pour des domaines technologiques particuliers et une ambiance différente.

En fait, nous avons parfois même la capacité d’aller un peu plus loin dans certains domaines technologiques pendant les Jeux Paralympiques car nous sommes plus à l’écoute et moins régis par des règles strictes imposées par les fédérations internationales lors des Jeux Olympiques.

En comparant votre expérience en tant qu’athlète et maintenant en tant que directeur de la technologie, diriez-vous que la préparation aux Jeux Olympiques est plus ou moins éprouvante que celle de les organiser ? Quelles similitudes et différences voyez-vous entre ces deux défis ?

Bruno Marie-Rose : En tant que sprinter, je n’aurais jamais pensé que je devrais faire du sprint sur une distance de marathon. Mais c’est exactement ce que j’ai dû réaliser. C’est un véritable défi de tenir la distance et de franchir la ligne d’arrivée.

Cependant, comme je l’ai mentionné précédemment, il y a des parallèles entre le monde sportif et le monde professionnel. Dans les deux cas, il s’agit de gérer des pics de forme. Chaque année depuis six ans, il y a toujours un moment capital dans l’année, que ce soit un voyage important à Tokyo ou des étapes de révision budgétaire. Il est essentiel de préparer les équipes pour ces événements majeurs, tout comme les sportifs se préparent pour leur compétition.

Il est aussi primordial de gérer les temps forts et les temps faibles. Comme pour un sportif, dans un temps faible, il est nécessaire de revenir aux fondamentaux. Dans le monde professionnel de la technologie, cela signifie se rapprocher des processus et des méthodes. Et quand on est dans un temps fort, c’est le moment de mettre un peu plus de créativité et d’énergie pour aller chercher ce petit plus qui fait la différence. 

Propos recueillis par Thierry Derouet / Photos : Maÿlis Devaux


Champion d’athlétisme, mais pas que…

Champion de France à 19 ans en 1984, Bruno Marie-Rose est sélectionné pour les Jeux de Los Angeles et atteint la finale du 4x100m. En 1987, il devient recordman mondial du 200m en salle. Se succèdent alors, sur 4x100m, une médaille de bronze aux Jeux de Séoul, une victoire et un record du monde à Split en 1990, et une deuxième place aux Championnats du monde de Tokyo en 1991.

Bruno Marie-Rose, l'homme qui pilote l’IT des JO de Paris 2024 : Champion d’athlétisme, mais pas que…

Il est alors chez Hewlett-Packard, après un diplôme d’ingénieur de l’Insa de Lyon obtenu en 1988, l’année de Séoul. Ayant basculé vers le conseil, il est approché en 2001 pour les Mondiaux de 2003 et devient directeur de la technologie du Comité d’organisation, avec déjà son lot d’innovations : SMS d’encouragement diffusés sur les écrans géants des stades, serveurs vocaux délivrant résultats et commentaires, photos finish sur mobile en temps réel… Il réalise ensuite des missions pour la Coupe du Monde de Rugby. En 2006, avec Stéphane Diagana, il monte la Ligue nationale d’athlétisme (LNA) et en prend la présidence de 2009 à 2018. Mi-2019, il est élevé au grade de chevalier de la Légion d’honneur.

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