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Commission de l’IA : un optimisme et une ambition à 5 milliards par an
Par Thierry Derouet, publié le 13 mars 2024
Tandis que les députés européens ont adopté, ce mercredi 13 mars, des règles pour encadrer les systèmes d’intelligence artificielle, la Commission de l’intelligence artificielle a remis au président de la République 25 recommandations pour faire de la France un acteur majeur de l’IA. Avec un gain de croissance estimé de 1 % par an.
Enfin un rapport qui dédiabolise l’IA et qui surtout apporte des réponses compréhensibles par tous ! Intitulé « IA : notre ambition pour la France », le rapport remis ce jour au président de la République par la Commission de l’intelligence artificielle, co-présidée par la présidente du conseil d’administration de l’ENS Anne Bouverot et l’économiste Philippe Aghion, a présenté 25 recommandations pour faire de la France un acteur majeur de la révolution technologique de l’IA.
Ce rapport, fruit de six mois de travail, de 25 séances de travail plénières et de 600 auditions, a également impliqué la consultation de 7 000 citoyens en ligne. Ce rapport répond clairement à des questions essentielles comme celle de savoir si l’IA nous concerne tous : « Comme utilisateurs, car nous utilisons déjà des services intégrant de l’IA dans notre quotidien. Et comme citoyens, car nous aurons à décider comment nous voulons utiliser ces technologies. Entre 1920 et 1930, la plupart des villes et pays occidentaux ont décidé de séparer les flux de piétons des voitures, afin d’éviter les accidents et de pouvoir se déplacer le plus vite possible en voiture. Cette décision a changé nos villes et notre quotidien pour un siècle au moins. Les multiples choix autour de l’IA nous concerneront tout autant. » Et apporte pas moins de 25 recommandations (voir liste à la fin).
Regarder ailleurs pour en tirer des enseignements
Ce rapport a également pour mérite d’avoir été pioché ici et là les bonnes idées des autres pays comme avec cet exemple de la Suède où la plateforme du plus grand site d’offres d’emploi en ligne de Suède gérée par l’équivalent suédois de France travail à évalué l’impact de recommandations d’emplois ciblés. Et d’en espérer qu’une telle mesure « conduirait à l’embauche d’un peu plus de 12 000 demandeurs d’emploi ». Au Japon, on y découvre que l’État subventionne l’utilisation des ressources de calcul pour soutenir le développement des modèles de base de l’IA générative comme le développement des centres de données en subventionnant une portion du coût avec des financements publics plus élevés en cas de localisation dans les zones rurales.
L’urgence de ne pas manquer la révolution de l’IA
Toutefois, le constat est là. Avec l’émergence de l’IA générative comme ChatGPT, la révolution de l’IA connaît une accélération sans précédent. La France, qui investit actuellement trois fois moins en IA que les États-Unis en proportion du PIB, risque de manquer cette révolution qui affecte l’ensemble des secteurs et activités. Et d’en conclure que pour avoir un investissement comparable à celui des États-Unis, il faudrait que la France investisse entre 8,4 et 10 Md $ par an, soit au moins entre 5,6 et 7,2 Md $ supplémentaires chaque année.
Des risques que nous pouvons gérer collectivement
L’IA suscite à la fois craintes et espoirs, notamment en ce qui concerne les emplois, l’environnement et les droits d’auteur. La Commission est optimiste quant à notre capacité à gérer ces risques, à condition d’exiger une transparence sur les impacts environnementaux et sociaux, de favoriser le dialogue social et de créer les conditions d’une appropriation collective, en France, en Europe et à l’international.
Un potentiel économique et social majeur
Selon l’analyse empirique réalisée par les experts de la Commission, l’IA peut augmenter le potentiel de croissance de la France en automatisant des tâches pour la production de biens et services, ce qui pourrait doubler la croissance économique annuelle du pays. Le déploiement rapide des outils d’IA en entreprise et dans le service public pourrait ainsi entraîner une hausse de 250 à 400 milliards d’euros du PIB à horizon 2030 ou 2035. L’IA n’a pas d’effet global négatif avéré sur l’emploi, car elle remplace des tâches et non des emplois, et permet aux entreprises d’être plus productives et compétitives.
Une mobilisation collective et massive, mais vite !
Pour tirer parti de cette révolution technologique et la mettre au service de nos besoins collectifs, la Commission de l’IA appelle enfin le gouvernement à mettre la main au portefeuille. Elle estime, que des investissements de 5 milliards d’euros par an pendant 5 ans, sont nécessaires pour assurer la maîtrise des risques et saisir les opportunités de l’IA, notamment en matière d’innovation technologique et industrielle, de déploiement de services pour les citoyens, de diffusion dans l’économie et d’appropriation collective, de formation et de recherche. Cette ambition est considérée comme par la commission comme « réaliste et atteignable étant donné les atouts que possèdent la France et l’Europe ». Reste à voir ce qu’il restera des conclusions de ce nouveau rapport.
7 recommandations clés et 25 recommandations
La Commission de l’intelligence artificielle propose sept recommandations clés pour permettre à la France de saisir les opportunités offertes par l’IA et d’en tirer pleinement profit. Ces recommandations incluent, la mise en place d’un plan de sensibilisation et de formation à l’échelle nationale, l’investissement massif dans les entreprises du numérique, la création d’un fonds « France & IA » de 10 milliards d’euros, la transformation de notre approche de la donnée personnelle, l’assurance du rayonnement de la culture française en permettant l’accès aux contenus culturels dans le respect des droits de propriété intellectuelle, l’expérimentation dans la recherche publique en IA pour en renforcer l’attractivité, et la structuration d’une initiative diplomatique visant la fondation d’une gouvernance mondiale de l’IA. Ces recommandations visent à soutenir l’écosystème français de l’IA, à remédier à la dépendance de l’Europe en matière de puissance de calcul dédiée à l’IA, à faciliter l’innovation tout en protégeant les données personnelles, et à assurer le rayonnement de la culture française dans le respect des droits de propriété intellectuelle.
Les 25 recommandations de la commission
Recommandation n° 1
Créer les conditions d’une appropriation collective de l’IA et de ses enjeux afin de définir collectivement les conditions dans lesquelles elle s’insère dans nos vies quotidiennes.
Recommandation n° 2
Investir dans l’observation, les études et la recherche sur les impacts des systèmes d’IA sur la quantité et la qualité de l’emploi.
Recommandation n° 3
Faire du dialogue social et professionnel un outil de co-construction des usages et de régulation des risques des systèmes d’IA.
Recommandation n° 4
Porter une stratégie de soutien à l’écosystème d’IA ouverte au niveau international en soutenant l’utilisation et le développement de systèmes d’IA ouverts et les capacités d’inspection et d’évaluation par des tiers.
Recommandation n° 5
Faire de la France un pionnier de l’IA pour la planète en renforçant la transparence environnementale, la recherche dans des modèles à faible impact, et l’utilisation de l’IA au service des transitions énergétiques et environnementales.
Recommandation n° 6
Généraliser le déploiement de l’IA dans toutes les formations d’enseignement supérieur et acculturer les élèves dans l’enseignement secondaire pour rendre accessibles et attractives les formations spécialisées.
Recommandation n° 7
Investir dans la formation professionnelle continue des actifs et les dispositifs de formation autour de l’IA.
Recommandation n° 8
Former les professions créatives à l’IA, dès les premières années de l’enseignement supérieur et en continu.
Recommandation n° 9
Renforcer la capacité technique et l’infrastructure du numérique public afin de définir et de passer à l’échelle une réelle transformation des services publics grâce au numérique et à l’IA, pour les agents et au service des usagers.
Recommandation n° 10
Faciliter la circulation des données, le partage de pratiques et l’évaluation pour tirer les bénéfices de l’IA dans les soins, améliorer l’offre et le quotidien des soignants.
Recommandation n° 11
Encourager l’utilisation individuelle, l’expérimentation à grande échelle et l’évaluation des outils d’IA pour renforcer le service public de l’éducation et améliorer le quotidien des équipes pédagogiques.
Recommandation n° 12
Investir massivement dans les entreprises du numérique et la transformation des entreprises pour soutenir l’écosystème français de l’IA et en faire l’un des premiers mondiaux.
Recommandation n° 13
Accélérer l’émergence d’une filière européenne de composants semi-conducteurs adaptés aux systèmes d’IA.
Recommandation n° 14
Faire de la France un pôle majeur de la puissance de calcul, à court comme à moyen terme.
Recommandation n° 15
Transformer notre approche de la donnée personnelle pour protéger tout en facilitant l’innovation au service de nos besoins.
Recommandation n° 16
Mettre en place une infrastructure technique favorisant la mise en relation entre les développeurs d’IA et les détenteurs de données culturelles patrimoniales.
Recommandation n° 17
Mettre en œuvre et évaluer les obligations de transparence prévues par le règlement européen sur l’IA en encourageant le développement de standards et d’une infrastructure adaptée.
Recommandation n° 18
Attirer et retenir des talents internationaux avec des compétences scientifiques, entrepreneuriales et managériales dans le domaine de l’IA.
Recommandation n° 19
Assumer le principe d’une « Exception IA » sous la forme d’une expérimentation dans la recherche publique pour en renforcer l’attractivité.
Recommandation n° 20
Inciter, faciliter et amplifier le recours aux outils d’IA dans l’économie française en favorisant l’usage de solutions européennes.
Recommandation n° 21
Faciliter l’appropriation et l’accélération des usages de l’IA dans la culture et les médias pour limiter la polarisation entre grands groupes et petits acteurs et lutter contre la désinformation.
Recommandation n° 22
Structurer une initiative diplomatique cohérente et concrète visant la fondation d’une gouvernance mondiale de l’IA.
Recommandation n° 23
Structurer dès maintenant un écosystème national ouvert de gouvernance de l’IA.
Recommandation n° 24
Doter la France et l’Europe d’un écosystème d’évaluation public et privé des systèmes d’IA au plus proche des usages et des derniers développements technologiques.
Recommandation n° 25
Assurer un suivi de l’évolution des concentrations de marché et mettre en place, rapidement, la réglementation nécessaire pour éviter les abus de position dominante.
Liste des 15 membres de la Commission de l’intelligence artificielle
• Gilles Babinet – Co-président, Conseil national du numérique
• Joëlle Barral – Directrice de la recherche en IA, Google DeepMind
• Alexandra Bensamoun – Professeure de droit, Université Paris-Saclay
• Nozha Boujemaa – VP Mondiale Innovation et Confiance de l’IA, Decathlon
• Bernard Charlès – Président du Conseil d’Administration, Dassault Systèmes
• Luc Julia – Directeur Scientifique & Expert IA, Renault
• Yann Le Cun – VP & Directeur de l’IA, Meta
• Arthur Mensch – Cofondateur & Directeur général, Mistral
• Cédric O – Conseiller fondateur, Mistral et ancien secrétaire d’Etat au numérique
• Isabelle Ryl – Directrice, PaRis Artificial Intelligence Research InstitutE (PRAIRIE, PSL)
• Franca Salis-Madinier – CFDT, membre du Comité Européen Économique et Social
• Martin Tisné – Directeur général, AI Collaborative, Groupe Omidyar
• Gaël Varoquaux – Directeur de recherche, Inria