Cloud
David Chassan (Outscale) : « Avancer avec une vision industrielle et sécurisée, sans céder à l’urgence artificielle »
Par Thierry Derouet, publié le 14 février 2025
Le marché du cloud souverain évolue rapidement. Au-delà des grands discours, des initiatives émergent, des feuilles de route se clarifient et des alliances se renforcent. Dassault Systèmes, par l’intermédiaire de sa filiale Outscale*, s’engage pleinement dans cette tendance, en collaboration avec des partenaires clés tels que NumSpot. Entretien avec David Chassan, Directeur Stratégie d’Outscale, qui détaille les défis et avancées du secteur.
Il y a encore peu de temps, le cloud souverain français semblait fragmenté et empreint de doutes réglementaires et stratégiques. Cependant, ces derniers temps, on observe une convergence des initiatives. L’adoption de SecNumCloud comme norme commune par l’ensemble des opérateurs français est l’un des signes les plus évidents de cette tendance. « La bonne nouvelle est que l’ensemble des opérateurs de cloud français se sont alignés sur SecNumCloud », se réjouit David Chassan. « Cela contribue à une uniformisation qui garantit une souveraineté cohérente. Il n’y a pas plusieurs niveaux de souveraineté, il n’y en a qu’une seule. »
Cette rationalisation est indispensable dans le contexte d’une compétition mondiale exacerbée. Par exemple, l’Allemagne a su simplifier ses procédures grâce à la norme ISO 27001, qui est largement reconnue. « Chez eux, c’est plus simple », note David Chassan.
Derrière cette certification, l’enjeu est aussi celui de la cybersécurité. L’ANSSI établit des normes strictes aux acteurs souhaitant obtenir le label SecNumCloud, garantissant un niveau de protection maximal contre les intrusions et compromissions de données. Selon David Chassan, « c’est un processus difficile, mais crucial pour accroître la crédibilité des entreprises et des institutions envers leur infrastructure cloud ».
NumSpot, une alliance public-privé stratégique
La consolidation du cloud souverain passe aussi par NumSpot, alliance réunissant Docaposte, la Banque des Territoires, Bouygues Télécom et Dassault Systèmes. Contrairement à ce que certaines personnes peuvent croire, NumSpot n’est pas un rival d’Outscale, mais plutôt un partenaire complémentaire. « On ne réinvente pas la roue : NumSpot repose sur le cloud Outscale », précise David Chassan. « C’est une coopération, pas une compétition. Nous répondons même à des appels d’offres ensemble. »
L’objectif de NumSpot est d’offrir un ensemble de services spécifiques aux secteurs publics et de la santé, avec des services adaptés à leurs exigences réglementaires et sécuritaires. « NumSpot complète les services existants et à venir d’Outscale pour faciliter l’adoption et garantir la conformité. C’est un besoin urgent, notamment pour certaines administrations qui veulent se défaire des solutions des hyperscalers américains, sans pour autant renoncer à la performance. »
L’IA entre souveraineté et pragmatisme
L’essor fulgurant de l’intelligence artificielle a profondément remodelé le paysage de la souveraineté numérique. La course aux GPU et les investissements massifs des GAFAM suscitent des inquiétudes, mais la France et l’Europe ne sont pas en reste. « Nous voyons des annonces à plusieurs milliards, avec des milliers de GPU déployés dans des centres de données. Mais sont-ils vraiment adaptés ? », interroge David Chassan.
Outscale ne se positionne pas sur l’entraînement des modèles, mais sur leur inférence en environnement sécurisé. « Nous ne faisons pas d’entraînement de modèles, ce n’est pas notre modèle économique », tranche-t-il. « L’enjeu pour nos clients, c’est d’exécuter un modèle de manière sécurisée sur leurs propres données, sans qu’elles soient mutualisées. »
C’est dans cet esprit qu’Outscale a construit un partenariat avec Mistral AI, acteur français majeur de l’IA générative. « Le modèle est déployé chez le client, dans sa propre stack. Rien ne sort. C’est une approche totalement isolée et sécurisée. » Cette approche garantit une immunité aux lois extraterritoriales, telles que le Cloud Act américain, évitant ainsi toute potentielle ingérence étrangère dans l’exploitation des données sensibles.
La normalisation, un enjeu européen
L’interopérabilité et la portabilité des services cloud sont un autre domaine où la France doit progresser. Le projet Gaia-X, initié pour créer un écosystème cloud européen interopérable, connaît un parcours en dents de scie. « Nous faisons partie des membres fondateurs de Gaia-X », souligne David Chassan. « Nous avons défini des labels communs, adoptés même par les hyperscalers américains. C’est une avancée. »
En outre, des efforts sont déployés en collaboration avec l’AFNOR et le European Committee for Standardization (CEN) et l’European Committee for Electrotechnical Standardization (CENELEC) pour établir des normes européennes formelles. « C’est un sujet complexe, où les intérêts américains et chinois ne sont pas toujours alignés avec la vision européenne. Il va falloir resserrer les boulons. »
Ce travail de normalisation s’étend également aux briques logicielles et aux protocoles de cybersécurité, afin de garantir une véritable interopérabilité entre les différentes solutions cloud du marché européen.
Une dynamique à long terme
Le chemin vers un cloud souverain et sécurisé est encore long. Mais les avancées sont réelles. « Nous sommes à un moment clé pour la souveraineté numérique en France et en Europe », conclut David Chassan. « Entre certifications, infrastructures cloud, IA et normalisation, la construction d’un écosystème robuste prend du temps. L’important est d’avancer avec une vision industrielle et sécurisée, sans céder à l’urgence artificielle que certains veulent imposer au marché. » Le message est clair : la souveraineté numérique ne s’obtient pas par décret, elle se développe graduellement, avec rigueur et pragmatisme. L’enjeu ne se limite pas à la technologie, il est aussi stratégique et géopolitique. Et sur ce terrain, la France et l’Europe ont encore des cartes à jouer.
* Une marque de Dassault Systèmes
