Newtech
Contrôler les machines par la pensée
Par Laurent Delattre, publié le 03 juillet 2024
Les interfaces neuronales qui nous permettent de piloter les machines par la pensée ne sont plus de la science-fiction. Les progrès sont désormais rapides et un marché potentiel est en train de s’ouvrir.
Mises à l’avant plan médiatique depuis qu’Elon Musk s’y intéresse avec sa deeptech NeuraLink, les interfaces neuronales aussi appelées ICM (interfaces cerveau-machines) ou BMI (Brain-Machine Interface) ne sont pas un domaine de recherche nouveau. Les premières expérimentations datent de la fin des années 60 (avec l’expérience d’Edmond Dewan capable de contrôler une ampoule par la pensée pour écrire en morse). Au début des années 70, l’université américaine de Los Angeles sous contrat avec l’armée américaine planche sur des ICM reliées au cerveau au travers de recherches menées sur des singes. Les premières expérimentations avancées sur les humains datent des années 90. Aujourd’hui, près de 3000 laboratoires dans le monde plancheraient sur le potentiel de ces interfaces au sein d’environ 150 acteurs, principalement des startups. La taille du marché mondial des interfaces cerveau-ordinateur est déjà estimée à près de 2 milliards de dollars en 2024 et devrait atteindre 3,25 milliards de dollars d’ici 2029 si l’on en croit l’étude récente de Mordor Intelligence.
Une meilleure compréhension de la structure du cerveau, des capteurs de nouvelle génération et l’introduction de l’IA générative contribuent à faire significativement progresser ce secteur de recherche. Il est vrai que la variété des applications qui vont de la réhabilitation médicale à l’amélioration des capacités humaines laisse présager un potentiel illimité.
Un écosystème en effervescence
Les projets et startups fleurissent. Kernel s’intéresse aux ICM (avec un casque de neuro-imagerie) pour traiter diverses conditions neurologiques, G.Tec et MindMaze planchent sur leur potentiel dans le domaine de la réhabilitation neurologique des personnes handicapées, EMOTIV développe des systèmes non invasifs pour contrôler les machines, NeuroSky explore leur potentiel dans le domaine de l’éducation et du bien-être, Compumedics Neuroscan et Natus étudient leurs applications dans le domaine du diagnostic des troubles neurologiques… Même l’écosystème open source s’y intéresse avec des acteurs comme OpenBCI ou encore Matrix (et son système de contrôle d’avatar par la pensée) par exemple. N’oublions pas les Français Bioserenity (acteur de la MedTech) et la startup marseillaise Inclusive Brains (connue pour avoir publié un tweet par la pensée).
Mais les progrès s’accélèrent. L’an dernier, deux équipes de recherche – celle de Jaimie Henderson et celle d’Edward Chang – ont présenté des interfaces cerveau-machine capables de convertir les signaux neuronaux en texte et en discours vocalisé par un avatar à la voix synthétique. Ces interfaces permettent de décrypter la parole à des vitesses respectives de 62 et 78 mots par minute (les conversations courantes tournent généralement autour de 150 mots par minute). Ces progrès sont évidemment un fantastique espoir pour tous les malades atteints de syndromes d’enfermement (locked-in), de paralysie faciale ou d’aphonie.
Des progrès prometteurs
Ces dernières semaines, deux autres annonces démontrent à nouveau les progrès rapides de ces technologies.
La première vient du célèbre MIT et consiste à connecter des prothèses (en l’occurrence une jambe bionique) au cerveau. Cette nouvelle interface neuronale permet de connecter un membre bionique aux terminaisons nerveuses de la cuisse, ce qui permet de contrôler le membre par le cerveau. Comme les chercheurs l’expliquent dans la revue Nature Medicine, cette innovation pourrait aider les personnes ayant subi une amputation de la jambe inférieure à ressentir leur prothèse comme faisant partie intégrante de leur corps. Les auteurs de l’étude ont comparé la mobilité de sept patients utilisant l’interface neuronale à celle de patients utilisant une prothèse classique. Les patients utilisant l’interface neuronale ont pu marcher 41 % plus vite et grimper des surfaces inclinées et des escaliers, tout en évitant les obstacles plus habilement et en ayant une meilleure stabilité. Ils ont également décrit ressentir la prothèse comme faisant vraiment partie de leur corps plutôt qu’un simple outil pour se déplacer.
La deuxième nous vient de NeuraLink, la très médiatisée braintech d’Elon Musk. Cette dernière a greffé un premier patient il y a quelque mois. Noland Arbaugh, un homme de 29 ans paralysé du cou vers le bas à la suite d’un accident de plongée ayant entraîné une liaison de la moelle épinière, progresse dans sa maîtrise de la puce « Telepathy ». S’il a rapidement été capable de déplacer une souris à l’écran d’un PC, il peut désormais réaliser des actions plus complexes et en multitâche. Typiquement, il peut désormais naviguer sur le Web et jouer à des jeux comme Civilisation VI et Mario Kart. Au point même de battre ses amis sur ces jeux vidéos.
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Un parcours encore semé d’embûches
Bien des progrès restent cependant à réaliser. Les équipes du MIT expliquent qu’il faudra encore au minimum deux ans pour industrialiser ses électrodes neuronales. Quant à NeuraLink, la deeptech vient de recevoir une autorisation pour un second essai clinique mais a dû finalement repousser ce second essai, le patient sélectionné présentant des conditions de santé inadaptées. Autre mauvaise nouvelle, la jeune pousse a aussi découvert que certaines électrodes commençaient à se détacher du cerveau – peut-être une réaction de l’organisme ou un défaut d’implantation – qui a obligé les ingénieurs à tout recalibrer.
La recherche doit donc encore progresser. Mais elle est suffisamment avancée aujourd’hui pour que plus personne ne doute du potentiel futur des ICM. Preuve en est, la recherche commence à quitter le strict domaine universitaire. Ainsi, la semaine dernière, la Chine a annoncé la création d’un comité national pour établir des normes en matière d’interfaces cerveau-machine notamment autour de l’encodage et le décodage de l’information cérébrale, la communication de données et la visualisation de données. Son initiative vise ouvertement à concurrencer les entreprises occidentales telles que Neuralink. Une décision qui doit interpeler la France et l’Europe alors que nos initiatives sont encore beaucoup centrées autour des laboratoires de recherche publics avec des initiatives comme NeuroSpin (du CEA), le cluster « Brain & Mind » ou encore le réseau C-Brains.
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