Une DSI à l'écoute, entretien avec Aline Bourdin, DSI de Vinci Construction Europe-Afrique.

Gouvernance

« Piloter une DSI internationale, c’est beaucoup d’agilité à nourrir par l’écoute »

Par François Jeanne, publié le 07 novembre 2022

Dans un groupe aussi vaste que Vinci, avec des pôles qui se déploient à l’international, gérer une DSI « couvrant » une trentaine de pays demande des qualités humaines certaines et un sens consommé de la nuance. Aline Bourdin relève ce défi depuis trois ans, à la recherche permanente de l’équilibre entre, d’une part, son rôle de porte-parole de la DSI centrale et de ses objectifs de mutualisation, et d’autre part, l’écoute des contraintes et des cultures de chacun. Un exercice où elle entend aussi démontrer au quotidien que la femme est bien plus que l’avenir de la DSI.

Comment s’organise la direction des systèmes d’information chez Vinci Construction et au-delà, dans le groupe ?

Le groupe Vinci est organisé en trois lignes de métiers, à savoir les concessions, l’énergie et la construction. Dans ce dernier métier, le pôle Vinci Construction représente 115 000 collaborateurs, répartis dans 1 300 business units, qui mènent environ 75 000 projets chaque année dans quatre principales activités : le bâtiment, le génie civil, les routes et les infrastructures.

L’organisation de Vinci Construction repose sur trois grands piliers : les grands projets, par exemple le Grand Paris Express ou l’aéroport de Santiago ; les réseaux de spécialités ; et les entreprises de proximité.

La Division Europe-Afrique, dont je suis la DSI, correspond à l’un de ces piliers, en l’occurrence les entreprises de proximité, sur la zone géographique qui inclut huit pays en Europe – Allemagne, Espagne, Pologne, République Tchèque, Slovaquie et les trois pays baltes, NDLR -, l’Afrique avec une vingtaine de pays, et les territoires ultramarins, aux Antilles ou en Polynésie par exemple. C’est un management matriciel avec un rattachement hiérarchique au directeur financier de la division, et fonctionnel au DSI de Vinci Construction (320 collaborateurs environ, NDLR). En ce qui concerne la DSI de la Division Europe Afrique, seuls trois collaborateurs sont en France, les 120 autres sont basés à l’international, au service des 25 000 utilisateurs.

Quelles sont les articulations avec la DSI du groupe ?

À mon niveau, je n’ai pas beaucoup de liens directs avec la DSI Groupe mis à part l’accès aux services communs du siège, l’archipel, et aux groupes de travail sur les usages du collaboratif. En revanche, l’interaction entre les DSI des divisions du pôle Vinci Construction est beaucoup plus structurante. Il y a d’ailleurs, depuis trois ans, un vrai mouvement de convergence soutenu par un programme de projets de transformation communs. Il faut également avouer que notre rapprochement avec Eurovia est une formidable opportunité, mais aussi une nécessité d’accélérer la fusion des SI, notamment sur les deux pays où les deux sociétés sont présentes : Pologne et République Tchèque.

Charge à nous de faire en sorte que, jusqu’en Ouganda ou à Mayotte, tout le monde ait ce poste déployé à l’identique avec ces mêmes composants.

Quel exemple de projet commun pourriez-vous nous décrire ?

C’est par exemple la convergence du master, c’est-à-dire le poste de travail des collaborateurs. Cela concerne le matériel bien sûr, mais aussi la façon de le déployer et la nature des composants que l’on y installe. Nous sommes en train d’installer le même espace de travail à partir d’un socle technique commun défini par la DSI de Vinci Construction. Charge à nous de faire en sorte que, jusqu’en Ouganda ou à Mayotte, tout le monde ait ce poste déployé à l’identique avec ces mêmes composants. Cela permet de mutualiser également les compétences autour de ces technologies, ce qui est rassurant, de simplifier les mises à jour, et de s’assurer que le poste de travail fonctionne correctement avec les applications du groupe.

Vous avez une imposante couverture internationale à faire vivre. Vous voyagez beaucoup de ce fait ?

Beaucoup moins qu’avant… Mais j’ai effectivement accepté ce poste qui demande des déplacements et permet de côtoyer des personnes avec des cultures différentes. La proximité est importante pour percevoir les attentes ou les difficultés rencontrées sur le terrain. C’est aussi plus facile de partager les informations manquantes. Plus d’une fois, cela a permis de débloquer des situations qui traînaient dans le temps.

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Vous êtes dans la position de la personne qui porte le message du groupe, qui fait autorité dans les filiales. Cela se passe toujours bien ?

Heureusement que notre gouvernance fait que les orientations sont décidées par les opérationnels lors de comités stratégiques. J’accompagne donc les métiers dans leur déclinaison sur les différents territoires. Cela permet de bien maîtriser l’impact et de remonter les contraintes locales. C’est un rôle important de courroie de transmission entre les équipes centrales et locales.

Participez-vous à des Codir ?

Je n’en suis pas membre. Chez Vinci Construction, les DSI sont très souvent rattachées à la direction administrative et financière des divisions. En revanche, je suis régulièrement invitée à y participer pour présenter l’actualité sur le système d’information. Cela me permet aussi d’en collecter puisque, lors de mon intervention, de nombreux sujets connexes sont abordés. Je trouve très efficace ce vecteur de communication, car il remet l’humain au centre des échanges.

“Je suis une DSI communicante. Se parler, informer, c’est primordial.”

Quelles qualités vous semblent-elles nécessaires pour animer une DSI internationale ?

La première qui me vient à l’esprit, c’est la disponibilité. Ne serait-ce que pour couvrir tout le créneau horaire. Nous avons douze heures de décalage avec la Polynésie vers l’Est et cinq heures avec la Guyane vers l’Ouest. Mes journées peuvent donc dans l’absolu commencer à 6 h et se terminer à minuit. J’essaye que les cas extrêmes ne se produisent pas dans la même journée, bien sûr. Mais il est certain qu’il faut de l’agilité et pouvoir s’adapter à toutes les configurations.

La seconde exigence est d’aller voir sur place. Je me déplace moins qu’avant mais encore souvent. Et dans tous les cas, je vais voir les collaborateurs de la DSI. Mais aussi tous les patrons. Cette proximité est importante. Un de mes anciens patrons disait qu’il faut savoir écouter les signaux faibles. Or on ne peut pas les détecter sans l’échange direct.

La dernière qualité importante, en liaison avec ce qui précède, c’est de savoir partager. Je suis une DSI communicante. D’ailleurs, je ne serais pas là à vous répondre sinon (sourires). Se parler, informer, c’est primordial. J’ai un Yammer en interne pour pousser de l’information dans les équipes et en externe, avec nos utilisateurs, j’essaye de faire de même. Parce qu’ainsi on peut expliquer les problèmes qui surviennent parfois, et rassurer sur notre mobilisation pour les résoudre. Un autre moyen de fédérer mis en œuvre au niveau de la DSI du pôle, ce sont nos IT Days. Il s’agit de deux jours complets où nous accueillons au siège des responsables IT de tous les pays. Cela permet de garder le contact d’une façon régulière, interactive, et que l’information circule dans les deux sens.

Parlons du rapprochement de Vinci Construction et d’Eurovia. Comment se traduit-il au niveau de votre DSI ?

Si je reprends le message du groupe lors de l’annonce en janvier 2021, ce rapprochement vise à renforcer les synergies sur des projets de toutes tailles. Les deux DSI des deux pôles sont particulièrement concernées. Elles ont d’ailleurs fusionné sous le nom de VCSI.

Quant au rapprochement des systèmes d’information, nous sommes pour ainsi dire en plein de dedans ! Ma division est l’une de celles qui connaît le plus fort impact, car certains des pays de ma zone d’action ont une forte implantation Eurovia qui m’amène à devoir gérer des versions mixtes de l’organisation. C’est le cas de la Pologne et de la République Tchèque. Un chantier important est donc de définir la roadmap infrastructure pour que les fondations soient solides. Dans la construction, c’est fondamental.

Et sur le plan des composants du système d’information ? Vous aviez les mêmes ERP par exemple ?

Pas du tout. Il y a SAP chez Eurovia et Sage chez Vinci Construction. Une montée de version SAP initialement prévue se poursuit et, en parallèle, le programme de convergence va permettre d’étudier la solution cible.

C’est le gros morceau de l’histoire ?

Bien sûr, mais ce n’est pas le seul. Cette année, nous allons déjà mener la fusion des tenants Microsoft. Et de manière générale, il faut que nous fassions converger ces univers, par exemple nos différents Active Directories. Il y a un gros état des lieux à réaliser d’une part et, de l’autre, la nécessité d’aller vite sur cette convergence, sans pour autant perturber le quotidien des utilisateurs.

“Nous avons donc brainstormé sur les mauvaises pratiques numériques, celles qui ne vont pas dans le sens de la sobriété numérique. “

Au-delà de cette ambitieuse convergence, quelles sont les innovations IT portées par la DSI auprès des métiers ? Qu’est-ce qui vous semble important aujourd’hui ?

Il y a, au niveau groupe, un centre de veille et de prospective qui s’appelle Leonard. Ce qu’ils font est très intéressant. Ils proposent énormément d’initiatives aux métiers, au travers d’un programme de soutien aux start-up et de motivation des collaborateurs pour entreprendre sur un certain nombre de thématiques. La data en est une, évidemment, avec l’IoT.

Il y a beaucoup à faire en collaborant avec eux, mais déjà nous déployons de l’IoT régulièrement, par exemple en Afrique, où nous avons énormément d’engins pour le terrassement à suivre grâce aux objets connectés. Il y a un an ou deux, nous avons travaillé sur un projet en Outre-mer qui concernait les grues de chantier. En captant des données sur leurs mouvements, nous améliorons leur maintenance et leurs bilans d’utilisation, y compris sur le plan environnemental. Il y a là un lien direct entre la data et l’économie du chantier.

Le secteur du BTP est l’un des plus grands émetteurs de gaz à effet de serre. Quelle est votre action sur ce terrain?

Vinci est un des grands acteurs économiques présents sur le sujet. Le groupe mobilise notamment chaque année ses collaborateurs pour imaginer des projets sur trois axes prioritaires, à savoir la réduction des émissions de carbone, l’optimisation des ressources grâce à l’économie circulaire, et la préservation des milieux naturels. Les projets sont présentés lors d’une journée de synthèse.

À mon niveau, j’ai organisé un workshop avec comme objectif que chacun se positionne sur un engagement personnel vis-à-vis de l’environnement. Nous avons donc brainstormé sur les mauvaises pratiques numériques, celles qui ne vont pas dans le sens de la sobriété numérique. Par exemple, la non-suppression des documents obsolètes. Une autre initiative a permis de récupérer de nombreux anciens postes de travail lors de notre emménagement au nouveau siège. Ils ont été donnés à une association. Toutes ces actions sont assez simples, mais leur accumulation finit par faire sens.

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À côté de la santé de la Planète, celle de vos fournisseurs vous préoccupe-t-elle ? Quel suivi en avez-vous, à votre niveau ou celui du groupe ?

Toutes les DSI s’inquiètent de la santé de leurs fournisseurs. Chez Vinci, un certain nombre de fournisseurs sont référencés par les acheteurs du groupe. Ce qui fait qu’à mon niveau, c’est une préoccupation de moins, et c’est assez confortable.

Il y a quand même des solutions choisies localement. Quand un métier détecte une solution et désire en faire l’acquisition, le premier réflexe de la DSI est de regarder la taille de la société, ses autres clients, ou encore les aspects sécurité de la solution et où sont hébergées les données.

À propos de sécurité, avez-vous beaucoup d’applications et d’infrastructures dans le cloud ?

Pas tant que ça. Nous y allons progressivement bien sûr, avec Salesforce par exemple pour le CRM, ou les sauvegardes hors site. Mais nous rencontrons des problèmes locaux importants. En Afrique par exemple, la qualité du réseau pose problème. Nous devons travailler le paramétrage pour que cela fonctionne, sinon il faudra revenir à nos bandes externalisées.

“Nelson Mandela disait qu’on ne perd jamais : soit on gagne, soit on apprend. Je suis très en phase avec cette idée.”

Face à toutes ces situations, le fait d’être une femme dans votre rôle, dans votre métier, vous aide-t-il ?

Dans 80 % des cas, sûrement, parce qu’on n’a pas du tout le même rapport avec les équipes et les clients métiers. Mais parfois, cela peut encore être un petit handicap, surtout dans les pays où la place de la femme au travail n’est pas encore acceptée.

Vous avez en tous cas le sens de la nuance et de la modération. Considérez-vous que, dans votre métier, il ne faut pas être péremptoire ?

Quitte à tomber dans le stéréotype, ne serait-ce pas une différence entre les hommes et les femmes ? Une de nos qualités est de savoir à la fois écouter et se remettre en cause.
Nelson Mandela disait qu’on ne perd jamais : soit on gagne, soit on apprend. Je suis très en phase avec cette idée.

Vous faites partie des – encore – rares femmes DSI, mais votre visibilité devient plus importante, grâce notamment aux réseaux sociaux, ou via l’initiative Femmes@Numériques. Vous vous sentez une vocation de porte-parole ?

Clairement oui. Au travers de l’association French Women CIO créée par Malika Mir en 2018, nous avons bien pour vocation d’affirmer cette existence, cette réalité des femmes DSI. La plupart des clubs de la profession sont encore très masculins, involontairement d’ailleurs et surtout parce qu’ils ne nous connaissent pas. Cette association est là pour améliorer cette visibilité, notamment en multipliant notre présence dans les événements de la profession, les tables rondes, etc.

Derrière ce retard dans la féminisation du métier, il y a sûrement le fait qu’une femme ne brigue un poste que lorsqu’elle sait qu’elle a 100 % des compétences requises. Il nous faut être sûres de nous, dans notre zone de confort. C’est le syndrome de la bonne élève, qui ne se voit dans un rôle que si elle le maîtrise.

C’est aussi pour cela que nous avons une mission auprès des jeunes femmes. L’association fait du mentoring, elle les accompagne pour qu’elles prennent plus de confiance lorsqu’elles accèdent à des responsabilités. Le message que nous voulons leur faire passer, c’est qu’il y a de plus en plus de femmes à des postes de DSI et que c’est formidable à vivre. Qu’elles doivent cesser de penser que ce sont des métiers réservés aux hommes. Et que nous sommes à l’aise dans ce rôle, sans nous renier. Finalement, tout cela pose de moins en moins de problèmes !

Propos recueillis par FRANÇOIS JEANNE
Photos MAŸLIS DEVAUX


Une gestion des talents IT qui joue la carte de la transversalité au sein du groupe

Face à la pénurie de talents IT, le groupe Vinci et Vinci Construction en particulier mettent en avant la richesse des parcours proposés. « L’équipe DSI, transverse et commune, compte environ 320 collaborateurs, avec presque 60 recrutements depuis le début de l’année. À cela s’ajoutent les ressources de proximité dans les divisions, dans tous les pays. La force d’un groupe comme Vinci est d’ouvrir des perspectives géographiques ou fonctionnelles. Un ingénieur système peut se diriger vers le réseau ; un collaborateur de Vinci Construction peut demander à être muté chez Vinci Energies ; un responsable IT en France peut partir au Canada ».

À l’image de ces trois exemples bien réels, Aline Bourdin peut compter sur les RH du groupe « qui sont de formidables vecteurs pour favoriser cette mobilité interne. En complément et pour les recrutements externes, il existe une page dédiée à VCSI sur le réseau LinkedIn avec un job teaser qui donne la parole aux collaborateurs et présente les bureaux de l’archipel et ses espaces de détente. Cette communication positive et dynamique est une façon de se faire connaître et d’attirer les talents IT ».


PARCOURS DE ALINE BOURDIN

Depuis 2019 :
DSI de Vinci Construction Network International, puis DSI de Vinci Construction Europe Afrique

2006-2019 :
DSI de Bouygues Énergie & Services

1995-2006 :
Ingénieur IT, puis administrateur de datacenter, puis manager de projet chez Bouygues Construction

1990-1995 :
Ingénieur (infrastructures réseau) chez Total, puis chez Shell

FORMATION
1990 : École Polytechnique Féminine

BÉNÉVOLAT
Membre du conseil d’administration de l’EPF


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