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Minggang Zhang (Huawei France) : «MetaERP, un projet de transformation interne d’une ampleur sans précédent»
Par Thierry Derouet, publié le 10 juillet 2023
Quand une expérience vécue (à propos d’un ERP) par Huawei démontre l’importance de l’autonomie technologique et l’obligation d’investir dans la R&D et l’innovation…
« Chaque jour, nous traitons 760.000 commandes clients, 210.000 factures et 15 millions d’écritures comptables. C’est le volume quotidien. » Minggang Zhang, directeur général adjoint de Huawei France, n’arrive pas à masquer son agacement quand il repense à Donald Trump qui en 2019 voyant la politique internationale comme une partie de poker menteur, avait interdit temporairement à la Chine et à certaines de ses entreprises dont Huawei d’accéder à des composants matériels ou logiciels.
Outre d’avoir interdit l’accès aux technologies d’ARM, d’Intel, d’AMD, de Google, d’Oracle ou de Microsoft, c’est l’ERP utilisé par Huawei qui devenait inopérant du jour au lendemain, un système, qui pendant plus de 20 ans avait soutenu l’expansion rapide de Huawei dans plus de 170 pays et d’opérations commerciales générant des centaines de milliards de dollars chaque année. Trois jours plus tard, machine arrière toute, de la part de l’administration Trump. Mais le coup de semonce a été terrible pour Huawei comme se remémore Minggang Zhang : « Huawei, comme toutes les entreprises, fonctionnait avec des systèmes américains et européens. Imaginez qu’un embargo soit soudainement imposé sur ces systèmes. C’est comme si on aspirait tout l’air de la pièce. »
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Le développement d’un ERP, un enjeu de transformation interne
La réponse de l’empire du Milieu a été à la hauteur de l’attaque. Huawei et la Chine cherchent dorénavant leur indépendance technologique. Huawei a lancé en 2019 le développement de MetaERP, un projet de transformation interne d’une ampleur sans précédent. Après trois ans d’efforts intensifs, impliquant des milliers de personnes et une collaboration étroite avec ses partenaires, Huawei a réussi à mettre en service MetaERP à grande échelle. Exit les grands noms du secteur, pour laisser la place à d’autres partenaires. Mais Chinois ce coup-ci. MetaERP a été développé en interne en utilisant d’autres systèmes Huawei tels que EulerOS et GaussDB, et intègre des technologies avancées telles que l’architecture cloud, l’architecture multilocataire basée sur les métadonnées et l’intelligence en temps réel.
Avoir toujours au moins deux fournisseurs
Le défi était de reprendre toutes les données de l’ancien système sans perturber le fonctionnement de l’entreprise. « Vous ne pouvez pas imaginer ce que cela coûterait d’arrêter tout le système pendant trois jours. Nous devions être capables de faire la bascule sans problème. C’est un projet extrêmement complexe et nos ingénieurs ont fait énormément d’efforts pour le réaliser en trois ans. C’était un travail acharné et beaucoup de sacrifices ont été faits. Mais au final, nous avons réussi. Non seulement nous avons réussi à opérer la bascule, mais nous avons également constaté que les performances ont bien progressé. La France bénéficie de notre ERP depuis avril dernier. Je me souviens que nous avons fait la bascule un week-end et que tout était terminé samedi après-midi. Nous avons continué à surveiller le fonctionnement du système tout en allant dîner le samedi soir. Vous pouvez imaginer à quel point cela a été un défi », nous raconte Minggang Zhang. Et de préciser concernant l’adaptation qu’ils ont démontré : « Notre système de résilience n’a pas été conçu pour contrer l’embargo américain, mais pour faire face à des catastrophes naturelles comme les tremblements de terre et les tsunamis. Grâce à ce système, nous avons toujours au moins deux fournisseurs pour chaque composant, situés le plus loin possible l’un de l’autre géographiquement. De plus, nous investissons énormément chaque année dans notre propre technologie. C’est ce qui nous a sauvés lorsque nous avons été mis sous embargo américain. Au lieu de nous replier, nous avons recruté encore plus de personnes et avons réussi à développer de nouvelles technologies. C’est ce qui nous a permis de survivre et de continuer à innover. »
50.000 personnes embauchés depuis 2019
En dépit de forts investissements dans l’humain avec l’embauche de 50 000 personnes depuis 2019 comme l’a rapporté notre interlocuteur, trois ans après ce qui a été un coup de tonnerre pour l’entreprise, relever l’ensemble des challenges que leur imposait cet embargo leur a permis de développer une nouvelle compétence : « Nous ne sommes pas un éditeur de logiciels, mais vous pouvez imaginer que dans tous les produits que nous avons développés, il y a une partie logicielle qui gère l’ensemble du matériel. Nous ne vendons pas de plateforme logicielle. C’est là que résident l’enjeu et le défi de Huawei. Il y a trois ans, des milliers d’ingénieurs ont commencé à travailler sur ce sujet et nous avons travaillé avec deux éditeurs chinois. C’est ainsi que nous avons finalement réussi à faire la migration et à faire fonctionner l’ensemble du système en avril de cette année. » Le nouveau système d’entreprise de Huawei est d’ores et déjà en place et s’occupe actuellement de l’ensemble des scénarios commerciaux du groupe et 80 % de son volume d’affaires.
L’autonomie technologique, une priorité
Ren Zhengfei, fondateur et PDG de Huawei, a révélé fin février avoir remplacé plus de 13.000 composants américains par des semi-conducteurs fabriqués en Chine et avoir repensé plus de 4.000 circuits imprimés pour ses appareils. Cette stratégie s’aligne avec la volonté de Xi Jinping, président de la Chine, pour qui l’autonomie technologique est une priorité. Bien que Huawei n’ait pas commenté une éventuelle commercialisation de MetaERP, sa technologie pourrait être revendue à l’avenir à des entreprises chinoises pour assurer la souveraineté de la Chine en matière de systèmes d’entreprise. Et Minggang Zhang de conclure : « Nous sommes maintenant plus forts et plus résilients grâce à cette épreuve. »
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IT for Business : « La technologie est devenue un enjeu ? »
Minggang Zhang : « En effet, les technologies sont devenues un enjeu majeur, particulièrement en raison des tensions géopolitiques. Auparavant, tout le monde, que ce soit les Chinois, les Européens, les Indiens ou les Américains, travaillait ensemble. Cependant, depuis l’embargo et la bataille technologique initiée par Donald Trump, et poursuivie par Joe Biden, la situation a changé. Les entreprises technologiques chinoises sont désormais interdites aux États-Unis. Cela a été une conséquence de notre mauvaise gestion des transferts technologiques. »
IT for Business : « Cette dépendance technologique c’est l’histoire d’autres pays comme la France. »
Minggang Zhang : « Il est vrai que certains pays ont perdu leur capacité de production et sont devenus dépendants d’autres pays, comme la Chine. Cependant, il y a eu des cas où des entreprises ou des acteurs ont quitté la Chine en raison de différences réglementaires ou d’autres raisons. Cela a pu entraîner des difficultés pour la Chine pendant un certain temps, mais elle a su s’adapter et développer ses propres entreprises technologiques, telles que Baidu (moteur de recherche) et des systèmes de navigation GPS. Aujourd’hui, la Chine est capable de rivaliser avec les États-Unis et d’offrir des technologies avancées dans différents domaines. »
IT for Business : « Le sujet actuel c’est aussi le besoin de rééquilibrer nos dépendances. »
Minggang Zhang : « La Chine a su répondre aux défis et développer ses propres capacités. Cela met en évidence l’importance de l’innovation, de la résilience et de la capacité à s’adapter aux changements économiques et technologiques. Il est donc crucial pour tous les pays de trouver un équilibre dans cette interdépendance et de développer leurs propres forces et capacités pour garantir leur compétitivité et leur résilience économiques. »
IT for Business : « Au fond repartir de zéro, parfois n’est-ce pas une opportunité ? »
Minggang Zhang : « En effet, les avancées technologiques, comme les réseaux sociaux tels que WeChat et TikTok, ont considérablement transformé notre façon de communiquer et de partager des informations. Certaines fonctionnalités de WeChat ont même été copiées par Facebook. Cela montre l’importance de l’innovation et de la capacité à repartir de zéro pour reconstruire quelque chose de mieux. »