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Fabrice Coquio (Digital Realty) : « À Marseille, on fait le tour du monde en deux secondes »

Par Thierry Derouet, publié le 31 octobre 2024

Dix ans après son arrivée à Marseille, Digital Realty célèbre la ville comme 7ᵉ hub mondial de données. À l’heure de l’extension avec un cinquième data center controversé, l’entreprise promet un engagement local renforcé et une réponse aux défis environnementaux – entre promesses de croissance et critiques sur l’impact écologique.

Dix ans après l’installation de son premier data center à Marseille, Digital Realty célèbre la transformation de la cité phocéenne en un hub d’échange de données mondial. Aujourd’hui, la ville occupe la septième place parmi les hubs mondiaux, une performance remarquable qui découle de son positionnement stratégique et des investissements massifs de Digital Realty pour répondre à la demande croissante en connectivité. Lors de cet événement marquant, Fabrice Coquio, président de Digital Realty France, a partagé sa vision avec passion, entre anecdotes personnelles et projections ambitieuses. Pour Fabrice Coquio, « il ne s’agit pas seulement d’installations high-tech, mais de bâtir une infrastructure durable pour l’avenir, en lien avec le territoire et ses habitants. »

Digital Realty, qui a acquis Interxion en 2020 pour former le leader mondial des data centers, veut évoluer avec les besoins de ses clients, notamment dans le domaine de l’intelligence artificielle et des services de calcul avancé.

Marseille, une « boîte de nuit » de la data entre trois continents

Depuis dix ans, Digital Realty s’appuie sur la situation géographique privilégiée de Marseille, qui relie trois continents. La ville est un carrefour naturel pour les données venant d’Europe, d’Afrique et d’Asie, permettant de connecter 57 pays à un rythme inégalé. « On peut dire sans exagérer que notre ville a aujourd’hui une place unique dans le monde numérique, » ajoute-t-il. Avec humour, il compare Marseille à une « boîte de nuit où tout le monde se retrouve » pour les flux de données : « comme dans une boîte bien animée, c’est là où il y a le plus de monde que l’on veut se retrouver ! »

Câbles sous-marins actifs et programmés en Méditerranée
(2024 -2027)
Câbles sous-marins actifs et programmés en Méditerranée
(2024 -2027)

Grâce aux 18 câbles sous-marins qui convergent vers la ville, Marseille est devenue un nœud central dans les échanges de données à l’échelle mondiale, en lien direct avec des villes comme Singapour, où les échanges de données s’effectuent en 115 millisecondes. L’expansion des infrastructures suit également l’évolution des technologies sous-marines. En seulement sept ans, la capacité des câbles a décuplé, passant de 24 térabits à 320 térabits. Ces nouvelles capacités permettent un flux de données encore plus important, renforçant ainsi la position stratégique de Marseille. C’est ce qui conduit Digital Realty à renforcer l’infrastructure existante tout en attirant d’importants investissements, transformant Marseille en une plaque tournante pour les géants du cloud et de l’IA. « Entre Paris et Marseille, on parle de neuf millisecondes. Imaginez ! C’est moins que le clignement d’un œil pour un aller-retour entre ces deux villes. À Singapour, la donnée fait le tour de la planète en deux secondes, » détaille Fabrice Coquio, donnant un aperçu de la puissance de cette infrastructure, qui devrait atteindre le 5e rang mondial d’ici peu.

La région méditerranéenne, avec Marseille en son centre, prend une importance croissante dans cette dynamique de l’IA. En créant un réseau d’échange de données reliant Barcelone, Rome, Athènes, et Marseille, Digital Realty envisage une intégration plus poussée de la Méditerranée dans le paysage numérique mondial. « L’avenir se construit autour de hubs interconnectés, avec Marseille comme leader incontestable, » affirme Fabrice Coquio. « Grâce à ses connexions, Marseille devient un modèle pour la nouvelle ère de la donnée. »

Un investissement local au service du territoire

Digital Realty n’a pas seulement transformé la ville en un hub de données ; il a aussi investi dans la communauté. Depuis 2014, le groupe a injecté plus de 400 millions d’euros dans ses infrastructures marseillaises. Les quatre premiers centres de Digital Realty (MRS1 à MRS4) ont vu le jour dans des bâtiments réhabilités, comme l’ancienne base sous-marine de la Seconde Guerre mondiale pour MRS3. Le cinquième centre, MRS5, est en préparation et représente à lui seul 300 millions d’euros d’investissement supplémentaires. Il sera installé sur l’emplacement d’un ancien silo à sucre désaffecté, situé dans le périmètre du Grand Port Maritime de Marseille. Ce site, abandonné depuis 2015, a été choisi suite à un appel à projets lancé par le port de Marseille. « Ce bâtiment offrira 40 % de capacité en plus pour répondre aux demandes exponentielles de nos clients, » annonce le président de Digital Realty.

L’engagement de l’entreprise ne se limite pas à ses installations, avec trois millions d’euros investis dans des projets culturels et locaux, incluant un partenariat avec le Mucem, et des actions en faveur de la préservation des herbiers de posidonie avec le Parc national des Calanques. « On ne peut pas venir dans une ville comme Marseille sans lui rendre quelque chose, » insiste Fabrice Coquio, rappelant l’importance de s’ancrer dans le territoire. « Conserver les ressources locales, c’est essentiel, car il ne s’agit pas seulement de consommer mais de redonner, que ce soit par des partenariats ou par l’engagement dans la communauté. »

Les retombées économiques sont elles aussi significatives. Digital Realty indique que ses activités actuelles à Marseille ont généré environ 500 emplois, répartis entre emplois directs et indirects. Avec le lancement de MRS5, l’entreprise prévoit de créer 200 nouveaux emplois supplémentaires, dont environ 50 emplois directs et 150 emplois indirects liés à ses partenaires techniques et de maintenance. « Chaque euro que nous investissons est multiplié par quatre grâce aux investissements de nos clients, » affirme Fabrice Coquio, soulignant le poids économique de l’infrastructure dans la région et la forte demande générée par le hub marseillais pour l’écosystème numérique et les services cloud.

MRS5 : un projet innovant sous le feu des critiques

Malgré ses retombées économiques positives, le nouveau data center MRS5 – s’étendant sur 12 000 m² et doté d’une puissance de 22 MW – suscite des critiques. Selon l’Agence de la transition écologique, il consommerait une quantité d’énergie équivalente à celle de 110 000 habitants. Bien que cette installation ambitieuse soit appelée à devenir le plus grand data center de Marseille à son ouverture en 2026, des élus et associations locales s’y opposent, accusant le projet de monopoliser des ressources naturelles au profit d’intérêts privés. Pour répondre aux critiques, Digital Realty a multiplié les efforts pour rendre MRS5 exemplaire sur le plan écologique, avec notamment la technologie dite de River Cooling. « Nous utilisons l’eau à moins de 14 °C des anciennes galeries minières de Gardanne qui n’est pas potable pour refroidir nos installations. C’est un système de refroidissement unique qui respecte les normes écologiques et réduit notre dépendance aux ressources énergétiques conventionnelles, » souligne Fabrice Coquio, en évoquant les avantages d’un tel système pour la région. « Et contrairement à ce que certains peuvent penser, nos data centers ne consomment pas d’eau. Une fois remplis, ils fonctionnent en boucle fermée, comme un réfrigérateur. »

L’entreprise a par ailleurs investi dans son propre poste de distribution, d’un coût de 23 millions d’euros, afin de garantir l’alimentation électrique de ses installations sans surcharger le réseau public. « Nous ne voulons pas nous imposer, mais plutôt apporter une solution responsable aux besoins croissants en énergie. On le sait, le défi pour les data centers n’est pas de produire de l’énergie, mais de la distribuer au bon endroit et au bon moment, » précise-t-il. « En France, nous sommes chanceux d’avoir une production d’énergie excédentaire, mais le raccordement reste un enjeu majeur pour l’avenir. »

Une infrastructure pensée sur le long terme

Avec la montée en puissance de l’intelligence artificielle et des applications de calcul intensif, les data centers sont appelés à jouer un rôle essentiel dans la nouvelle ère du numérique. Fabrice Coquio met en avant l’adaptabilité des data centers de Digital Realty face aux besoins futurs. « Les usages changent, et nous devons anticiper des demandes de calcul et de stockage toujours plus élevés. On ne peut pas imaginer qu’un data center reste identique au fil des ans. Il doit évoluer, » explique-t-il. Cette flexibilité est une priorité, car les infrastructures doivent être prêtes à accueillir des technologies et des machines encore inexistantes. Pour Digital Realty, chaque data center est une infrastructure pensée sur le long terme, avec une durée de vie opérationnelle d’au moins 30 ans. Cette vision impose d’adapter en permanence les installations aux dernières technologies, qu’il s’agisse de méthodes de refroidissement, d’optimisation de la consommation d’électricité ou d’intégration de machines plus denses et puissantes.

Une feuille de route environnementale ambitieuse

Pour répondre à ces nouveaux enjeux, Digital Realty a mis en place une feuille de route durable avec des engagements clairs. L’entreprise prévoit une réduction de 25 % des émissions de son écosystème d’ici cinq ans. « Nous n’avons pas d’autre choix que d’avancer avec des solutions bas carbone, que ce soit pour le refroidissement de nos installations ou pour le recyclage de nos matériaux de construction, » ajoute Fabrice Coquio. Le « River Cooling » en est un exemple marquant, mais ce n’est qu’une partie de la stratégie écologique de l’entreprise. Digital Realty travaille également sur le développement de circuits courts d’approvisionnement et de partenariats locaux pour minimiser son empreinte carbone.

Par ailleurs, la valorisation de la chaleur produite par les data centers de Digital Realty pourrait bientôt bénéficier à des infrastructures locales. Deux projets sont en cours à Marseille pour réutiliser cette énergie thermique, des initiatives qui témoignent de l’engagement de l’entreprise à s’intégrer dans le tissu local.

Une relation complexe avec la ville et ses opposants

Si Digital Realty cherche à s’ancrer durablement à Marseille, l’entreprise doit faire face à des mouvements d’opposition qui rappellent les tensions autour de l’usage de ressources naturelles pour les infrastructures numériques. Fabrice Coquio, lucide sur la complexité des relations avec les opposants, explique : « Il y a une certaine incompréhension envers les data centers. On nous perçoit parfois comme des consommateurs voraces d’énergie et d’eau, alors que notre impact est mesuré et contrôlé. » Les contestations autour de MRS5, soutenues par un festival de trois jours organisé par des opposants, mettent en lumière cette complexité.

Cependant, pour Fabrice Coquio, l’essentiel est de démontrer, par des actions concrètes, la contribution positive des data centers au développement local. « Les data centers créent des emplois, développent des compétences et apportent une valeur ajoutée à l’économie locale, même si nous pouvons faire mieux » rappelle-t-il, déterminé à poursuivre les efforts pour faire de Marseille un modèle de connectivité durable.


Damien Lucas (Scaleway) : « Pour nos clients, l’IA doit impérativement se déployer dans le cloud, faute de quoi son adoption sera ralentie. »

Alors que les besoins numériques explosent avec l’essor de l’intelligence artificielle, les autres acteurs du numérique, comme Scaleway et Orange Business, ajustent leurs stratégies pour allier innovation, souveraineté et responsabilité environnementale.

Avec des besoins croissants portés par l’IA et les nouvelles exigences de souveraineté numérique, Marseille se positionne en acteur clé du numérique. Lors d’une intervention conjointe, Damien Lucas, CEO de Scaleway, et Marc Fialon, Directeur Entreprises Grand Sud-Est d’Orange Business, ont détaillé les changements en cours, en soulignant les défis énergétiques et environnementaux ainsi que le rôle stratégique des data centers dans cette évolution.

Une transformation numérique renforcée par l’IA

La digitalisation est en pleine accélération, portée notamment par des applications de l’IA qui transforment les entreprises et les collectivités. Marc Fialon d’Orange Business explique : « Les entreprises comme les collectivités ressentent une pression énorme pour transformer leurs opérations et répondre aux attentes d’un environnement de travail hybride, d’une expérience client fluide et d’une efficacité opérationnelle accrue. » Cette transformation, amorcée avant la pandémie, a pris une nouvelle dimension avec la crise sanitaire, obligeant les organisations à se doter d’infrastructures adaptées aux usages numériques actuels.

Damien Lucas, CEO de Scaleway, ajoute : « Pour nos clients, l’IA doit impérativement se déployer dans le cloud, faute de quoi son adoption sera ralentie. » Les GPU, essentiels pour le traitement de l’IA, deviennent une ressource stratégique rare, et seul le cloud, avec ses infrastructures élastiques et évolutives, peut répondre à cette demande croissante.

Répondre à l’urgence environnementale et énergétique

Cette accélération numérique ne peut cependant ignorer l’urgence climatique. Les data centers, avec leur consommation énergétique élevée, sont au cœur du débat. Marc Fialon décrit les efforts déployés par Orange Business pour réduire l’empreinte carbone, notamment en optimisant les scopes 1 et 2 (émissions directes et indirectes), mais reconnaît que « le véritable défi réside dans le scope 3, qui représente 85 % des émissions de l’entreprise. » Orange a déjà mis en œuvre des solutions innovantes, comme au stade Orange Vélodrome de Marseille, où une technologie développée en partenariat avec Cisco permet de couper les équipements Wi-Fi en dehors des événements, réduisant ainsi de 50 % la consommation d’énergie.

Souveraineté et sécurité des données : un impératif stratégique

La question de la souveraineté est également cruciale dans cette transformation. « Il est impératif de mutualiser les ressources en GPU sur le sol européen pour assurer l’indépendance numérique de la région, » insiste Damien Lucas. La France, bien que dotée de certaines infrastructures, ne dispose pas encore de capacités suffisantes pour héberger et traiter les données sensibles de toutes ses entreprises. Cette situation conduit de nombreuses entreprises à externaliser certaines de leurs opérations, une tendance qui pourrait être inversée avec un investissement accru dans les infrastructures locales.


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