

Data / IA
Frustration IT & Shadow AI : une dangereuse spirale
Par Laurent Delattre, publié le 25 mars 2025
Alors que les entreprises sous-estiment l’ampleur de leur empreinte applicative, les collaborateurs s’enlisent dans des workflows fragmentés où l’IA non contrôlée devient une béquille officieuse. Un paradoxe émerge, « plus d’outils, moins d’efficacité », qui engendre une « frustration IT » qui favorise Shadow AI et Shadow IT, deux tendances qui ne font en réalité qu’amplifier le problème comme le montre une nouvelle étude WalkMe. Elle montre que le gouffre entre intentions stratégiques et expérience utilisateur alimente une inefficacité coûteuse.
Un nouveau rapport WalkMe sur les efforts de transformation numérique en 2025, The State of Digital Adoption 2025, met en exergue un phénomène bien connu mais rarement mesuré et étudié : la frustration IT. Cette frustration nait du cumul des inefficacités engendrées par des environnements numériques devenus trop complexes aussi bien en raison de l’accumulation d’outils et de données qu’en raison des contraintes de conformité et de cybersécurité. Cette frustration se mesure notamment au travers du temps et de l’énergie perdus par les collaborateurs à gérer des difficultés liées aux technologies, notamment lorsqu’ils doivent jongler entre de multiples applications disparates, mal intégrées et nécessitant des adaptations constantes.
Selon ce rapport, cette frustration se traduit concrètement par une perte annuelle moyenne de 36 jours ouvrables par employé, soit près de deux mois de jours travaillés chaque année, directement attribuable à ces problèmes technologiques.
Les racines de cette « frustration IT »
La complexité des environnements numériques modernes constitue un terreau fertile pour cette frustration. Les employés doivent souvent naviguer entre de multiples applications – parfois jusqu’à 10 différentes pour accomplir une seule tâche – générant des pertes d’efficacité dues aux constants changements de contexte. Ce chiffre éclaire dès lors l’importance que prendront très bientôt les « agents IA » dont le marketing des grands éditeurs américains nous rabâche les oreilles depuis quelques mois : ces agents visent en effet d’abord à fluidifier les processus en supprimant ces inefficacités grâce à des automatisations intelligentes.
Reste que les chiffres de l’étude WalkMe sont assez édifiants et illustrent l’ampleur du chantier :
* Selon l’étude, 64% des employés doivent utiliser plusieurs applications pour réaliser leur travail.
* Alors que les entreprises pensent utiliser 37 applications en moyenne, elles en utilisent réellement 625, dont 172 applications d’IA, selon les relevés des sondes WalkMe. Soit une sous-estimation de 1600% !
* Les grandes entreprises perdraient en moyenne 104 millions de dollars par an en raison de ces inefficacités numériques.

Impact économique et stratégique :
Selon l’étude Walkme, les conséquences financières de cette “frustration IT” sont loin d’être négligeables. Les 104 millions de dollars perdus annuellement par les grandes entreprises se répartissent entre :
* 43 millions de dollars en coûts stratégiques liés à la mauvaise visibilité et sous-utilisation des applications d’entreprise.
* 50 millions de dollars en coûts directs liés au temps perdu par les employés
* 11,35 millions de dollars en pertes d’investissement dues à des initiatives technologiques au ROI insuffisant
La situation est aggravée par un décalage persistant entre les perceptions des dirigeants et la réalité quotidienne des collaborateurs. “Alors que 78% des dirigeants expriment leur confiance dans leur approche de gestion du changement, l’expérience des employés raconte une histoire différente. Malgré 63% des employés déclarant utiliser l’IA générative dans leur travail, seuls 28% estiment avoir reçu une formation adéquate, et seulement 32% expriment leur confiance dans l’utilisation efficace des outils d’IA” écrivent les auteurs du rapport.
Tout ceci engendre non seulement une perte considérable de productivité, mais alimente également un phénomène redouté par tous les DSI et les RSSI : la prolifération massive du Shadow IT et du Shadow AI.
L’émergence du Shadow AI : évolution naturelle du Shadow IT
Face à cette frustration, les employés adoptent naturellement des stratégies de contournement en utilisant des applications non approuvées par leurs services informatiques. Ce Shadow IT n’est certes pas nouveau (il doit son existence aux solutions SaaS et aux apps mobiles) mais il prend désormais une nouvelle dimension avec l’apparition de la « Shadow AI », l’utilisation non contrôlée des assistants IA et autres outils dopés à l’IA générative.
Les employés sont de plus en plus nombreux à recourir à des solutions d’intelligence artificielle non officielles pour pallier les limitations des outils approuvés ou pour simplifier leurs flux de travail. Bien évidemment, cette tendance expose les entreprises à des risques significatifs en termes de sécurité, de conformité et de gouvernance des données. Sans même se rendre compte des risques liés à leurs agissements, beaucoup trop d’employés copient-collent des informations vers les IA conversationnelles, envoient du code informatique contenant d’éventuels « secrets » vers les assistants au codage et au débogage, envoient des éléments de stratégie confidentiels pour faire assembler automatiquement leur présentation par des outils comme Gamma.
Bien évidemment, l’étude de WalkMe est quelque peu orientée puisque cet éditeur – qui appartient à la galaxie SAP – édite une plateforme DAP (Digital Adoption Platform) pour aider les entreprises à maximiser l’adoption de leurs outils numériques en analysant notamment l’expérience collaborateur. Mais l’étude a le mérite de mettre en exergue l’ampleur du problème et de rappeler que le Shadow IT conduit notamment à la sous-utilisation des outils officiellement sponsorisés par la DSI.
À l’heure où l’IA est en train de réinventer l’expérience utilisateur de tous les logiciels et de métamorphoser non seulement bien des processus mais aussi bien des métiers, ce rapport est aussi une invitation pour les DSI à focaliser leur attention sur les taux d’adoption technologique dans leur entreprise, la modernité de l’environnement logiciel proposé au quotidien, la simplification de l’expérience que cet environnement engendre (ou pas), la nécessité de former vraiment les collaborateurs à l’usage de l’IA et à la cybersécurité.
Après tout, réduire Shadow IT et Shadow IA par une approche éclairée de l’expérience collaborateur c’est aussi réduire la frustration IT tout en maximisant le retour sur les investissements technologiques et en sécurisant l’environnement numérique. Une piqure de rappel qui ne peut certes pas faire de mal alors qu’avec l’IA toutes les entreprises entament une nouvelle phase de transformation numérique.

L’IA transforme aussi les plateformes d’adoption numérique (DAP)
WalkMe est l’éditeur d’une plateforme d’adoption numérique (DAP), un outil qui vise à guider les utilisateurs dans l’utilisation des outils numériques et l’adoption de la transformation numérique pour réduire les temps d’adaptation, diminuer les appels au support, atteindre les objectifs de productivité attendus.
L’IA a bien évidemment un rôle majeur à jouer ici et devrait rapidement transformer ces outils. Finie l’époque des aides statiques ! L’IA permet désormais aux DAP de comprendre les besoins en temps réel et d’adapter leur assistance. Demain, ces plateformes déploieront des réseaux d’agents intelligents capables d’anticiper les actions des utilisateurs et d’orchestrer leur environnement numérique.
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