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IBM & l’informatique quantique : à marche forcée…
Par Laurent Delattre, publié le 10 novembre 2022
IBM reste aligné sur son ambitieuse roadmap quantique. Le constructeur lance un nouveau processeur 433 Qubits et prépare déjà sa nouvelle génération de « Q Systems » …
IBM poursuit ses efforts et ses investissements dans l’univers quantique sans faiblir. Le constructeur est le seul à disposer d’une machine disponible « commercialement », propose dans son cloud le plus grand nombre de machines quantiques, et progresse avec une étonnante régularité sur l’ambitieuse roadmap dévoilée en 2020 et qui doit le conduire à des machines de plus de 1000 Qubits en 2024 et plus de 4000 qubits en 2025.
A l’occasion de l’IBM Quantum Summit 2022, le constructeur a ainsi fait deux annonces majeures : un nouveau processeur quantique 433 Qubits et une nouvelle machine le Q System Two.
Osprey, un saut quantique ? Pas si sûr…
On le sait, multiplier les Qubits est un défi : plus on utilise de qubits, plus les problèmes d’interactions et de perturbations se complexifient.
En 2021, IBM dévoilait son premier processeur de plus de 100 qubits, l’Eagle et ses 127 Qubits.
Un an plus tard, ses ingénieurs annoncent la finalisation du Osprey un processeur de 433 Qubits, trois fois plus de Qubits que sur l’Eagle ! Un coefficient multiplicateur plutôt surprenant qui marque un bond technique.
« Le nouveau processeur Osprey à 433 qubits nous rapproche du moment où les ordinateurs quantiques seront utilisés pour résoudre des problèmes auparavant insolubles », s’enthousiasme le Dr Darío Gil, vice-président senior d’IBM et directeur de la recherche. « En collaboration avec nos partenaires et clients du monde entier, nous ne cessons de développer et de faire progresser notre technologie quantique en matière d’intégration matérielle, logicielle et classique afin de relever les plus grands défis de notre époque. Ce travail s’avérera fondamental pour l’ère à venir du supercomputing quantique. »
Il faut toutefois tempérer ici l’enthousiasme d’IBM en rappelant que le constructeur met plusieurs mois voire années à fiabiliser le fonctionnement de ces processeurs quantiques. Pour preuve à sa sortie en 2021, le Eagle n’affichait qu’un volume quantique de 32 alors que le processeur précédent – le Falcon, pourtant seulement doté de 27 qubits – affichait lui un volume quantique de 128 après plus d’un an de fiabilisation.
Le processeur Osprey reprend la conception multicouches du Eagle mais avec trois fois plus de qubits embarqués.
En 2022, à force d’améliorations, le Falcon affiche même désormais un volume quantique de 512 et sa vitesse de traitement (CLOPS, Circuit Layer Operations Per Second) a – en deux ans – été multipliée par 10, passant de 1400 CLOPS à 15 000 CLOPS.
Si l’on se base sur les données du cloud quantique d’IBM, à date d’aujourd’hui (Novembre 2022) soit un après sa sortie, l’Eagle affiche un volume quantique de 64 seulement, preuve que plus les générations avancent plus IBM semble mettre de temps à les fiabiliser.
Pour l’instant, l’Osprey n’est pas encore présent sur le cloud IBM. Les informations techniques du processeur sur son Volume Quantique, ses taux d’erreurs sur les portes à 1 qubit et à 2 qubits et sur les erreurs de lecture sont encore inconnus. IBM ne les a pas dévoilés, mais il n’est pas exclu que le constructeur n’ait tout simplement pas encore réalisé de tests. Le Marketing a ses lois et elles sont plutôt incompatibles avec celles des labos de recherche.
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Reste que pour compenser les erreurs intrinsèques liées au manque de fidélité et à l’ultra-sensibilité des Qubits, IBM ne compte pas uniquement sur ses efforts de fiabilisation du matériel mais également sur le logiciel. IBM annonce ainsi une nouvelle version du Qiskit Runtime optimisée pour les processeurs Eagle et Osprey. Au moyen d’une API, les développeurs peuvent forcer un compromis : moins de vitesse pour plus de fiabilité.
La roadmap quantique d’IBM. Pour l’instant, le constructeur respecte plutôt les étapes de sa marche forcée vers une informatique quantique utile à l’horizon 2025.
La course aux qubits est une chose. La course à la fiabilisation des systèmes quantiques en est une autre. D’ailleurs, si IBM tient ses roadmaps, ses centres de recherches produiront non plus un processeur, mais deux, chacun jouant une course différente. Le premier processeur, dénommé Condor, sera le premier processeur IBM à franchir la barre des 1000 Qubits (avec 1.121 qubits au compteur). Le second processeur – qui pourrait au final être le plus prometteur et utile pour les actuels développeurs quantiques – adoptera une approche différente espérée comme beaucoup plus fiable et stable. Ainsi, le Heron n’embarquera que 133 qubits. Mais son Volume Quantique et ses performances CLOPS devraient être dès le départ bien supérieurs à ceux du Osprey annoncé cette semaine et ses 433 Qubits.
Un Q System Two modulaire
IBM avait été (si l’on fait exception de D-Wave et ses ordinateurs adiabatiques) le premier constructeur à proposer un ordinateur quantique « commercial » avec son Q System One introduit en 2019.
IBM a dévoilé un peu plus d’informations sur son successeur attendu en 2023. L’IBM Q System Two est conçu pour être modulaire et flexible en combinant plusieurs processeurs quantiques en un seul système mais aussi en permettant de combiner jusqu’à trois systèmes quantiques avec des technologies de communication quantique.
Alors, oui, il y a encore beaucoup de mystères dans ces annonces plus marketing que techniques. Et beaucoup trop de questions sont encore sans réponse. Mais elles démontrent une volonté d’IBM de s’accrocher à son ambitieuse roadmap et de chercher à faire avancer la recherche sur l’informatique quantique aussi bien du côté du matériel que du logiciel. On est encore très très loin d’avoir des machines vraiment utiles à qui l’on pourra confier la résolution des plus grands défis de l’humanité. Mais l’air de rien, l’informatique quantique progresse vite et fort, faisant avancer par la même occasion notre compréhension de la physique quantique. Et le moment où celle-ci commencera à être utilisée pour résoudre des problèmes concrets n’est peut-être plus si éloigné. Reste à savoir si c’est IBM qui concrétisera le premier ce moment, ou si cet honneur reviendra à un concurrent comme IonQ, Rigetti, Quantinuum ou les Français Pasqal et Alice&Bob… Pour l’instant, rien n’est joué.
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