Gouvernance
“Les pôles sont nécessaires de par leur rôle de catalyseur”
Par Sophia, publié le 25 août 2015
Jean-Luc Beylat
Président du pôle de compétitivité Systematic Paris–Région et de l’Association Française des Pôles de Compétitivité
Pour soutenir l’innovation, initiatives et structures se sont multipliées depuis quelques années. Elles visent souvent à mettre en relation start-up, grands comptes, labos et financeurs. Créés en 2005, les Pôles de compétitivité sont une composante majeure parmi ces organismes. Jean-Luc Beylat revient sur leur histoire, sur leurs actions, leurs résultats et sur leur relation avec les autres acteurs de ce domaine.
Vous êtes président du pôle de compétitivité Systematic Paris-Région et de l’Association Française des Pôles de Compétitivité. Quel est le rôle des Pôles et ce dernier a-t-il évolué ?
Jean-Luc Beylat : La mission des pôles reste depuis le départ de soutenir l’innovation. Par contre, leur action a largement évolué depuis leur création. Pour rappel, les premiers ont été lancés en 2005 suite à un rapport de Christian Blanc. Le constat était simple, il fallait mettre en oeuvre une véritable politique de clusters en France pour booster l’innovation. En d’autres termes, mettre en relation à l’échelle d’un territoire géographique des entreprises, petites ou grandes, des établissements d’enseignement supérieur et des organismes de recherche publics ou privés pour faciliter le développement de projets innovants. Placé sous la tutelle du ministère de l’Industrie, un fonds unique interministériel, le FUI, a financé ces projets. Pour la période 2005-2008, ce fonds était de 1,5 milliard d’euros. Pendant ces premières années, peu de PME frappaient à la porte des pôles. Le plus souvent, de grands comptes venaient, parfois avec leurs sous-traitants. Depuis, la situation a changé. Un nombre toujours plus important de start-up viennent bénéficier de nos actions. Parallèlement, pour répondre aux besoins actuels, les pôles ont largement étendus leurs actions jusqu’à intégrer de nouveaux métiers.
Pouvez-vous détailler ces évolutions ?
JLB : Soutenir l’innovation suppose d’aider les entreprises innovantes à se développer. Un développement qui ne passe pas seulement par l’attribution de subventions ou de prêts, mais prend de nombreuses autres formes. Il s’agit de les accompagner pour trouver les ressources humaines ad hoc, de les soutenir pour se développer à l’international ou sur d’autres marchés, ou encore de faciliter les levées de fonds quand le moment est venu. C’est seulement à la condition de réussir sur tous ces plans que les entreprises innovantes peuvent percer. Les pôles ont donc logiquement développé des compétences et des services d’accompagnement dans tous ces domaines. Exemple parmi d’autres, Systematic a créé et porté le « Pass Compétences », un dispositif de prêt de salarié. Ces derniers proviennent de grands groupes et sont détachés pendant une durée déterminée pour aider une petite structure à se développer dans le domaine administratif et financier, le business développement, l’export…. Un service qui s’inscrit dans une démarche plus globale. Le programme de soutien au développement des entreprises de Systematic peut les accompagner sur les cinq leviers clés, business, international, stratégie de développement, financement et ressources humaines.
Quels sont les résultats des pôles ?
JLB : Les pôles ont été créés dans une logique de cluster. En juillet 2005, 67 pôles sont labellisés par le Ciadt (Comité interministériel d’aménagement et de développement des territoires). En 2008, après deux nouvelles vagues de labellisations, 71 étaient actifs. Leur nombre est de 70 à ce jour. Un rôle qui leur a réussi au vu des résultats. Ils couvrent tous les domaines d’activité et sont répartis sur l’ensemble du territoire. En 10 ans, les pôles de compétitivité ont fédéré 50 % des entreprises innovantes françaises, la totalité des sociétés du CAC 40 et la totalité des structures publiques de recherche. Question chiffres, 1 526 projets ont été labellisés par les pôles et financés par le FUI depuis 2005, soit près de la moitié des dossiers soumis. L’ensemble représente 6,5 milliards d’euros de dépenses de R&D dont 2,5 milliards d’euros de dépenses publiques. Pour rester dans l’actualité, en 2014, la moitié des 1 000 projets arrivés à terme ont donné lieu à la commercialisation d’un nouveau produit ou service. Encore plus important, parmi les 9 700 entreprises membres des pôles, 80 % sont des PME innovantes. Pour ne parler que de Systematic, 600 PME et ETI adhèrent désormais à notre pôle. Un développement qui repose sans conteste sur les nouveaux métiers dont je parlais. Autre témoignage de l’efficacité de notre action, un grand nombre de structures labélisées French Tech sont passées par les pôles. Sur le plan économique, près des deux tiers des entreprises déclarent avoir créé des emplois du fait de leur adhésion aux pôles et encore plus indiquent avoir maintenu des postes. Un tiers des entreprises membres déclarent que leur adhésion leur a permis d’augmenter leur chiffre d’affaires et d’améliorer leur capacité à exporter. Des résultats qui se passent de commentaires. Ceci dit, toutes les entreprises n’ont pas besoin de passer par un pôle pour se développer. BlaBlacar en est un bon exemple.
Comment s’articule l’action des pôles par rapport aux autres structures publiques chargées de développer l’innovation ? Les nombreux dispositifs ne facilitent pas la lisibilité par les PME.
JLB : Les pôles n’ont pas vocation à remplacer les agences de développement, les accélérateurs et autres structures, mais à laisser ces acteurs faire leur travail. Les IRT (Instituts de recherche technologique), par exemple, sont un prolongement spécifique des pôles, un outil destiné à faire travailler dans des structures adaptées des chercheurs venant du public comme du privé. Au vu de la vitesse à laquelle le monde change, aucune entreprise n’a la réactivité suffisante pour suivre le mouvement. Et doit s’investir dans ce type d’organisation. D’autres structures plus vieillissantes existent. À l’heure des choix, les résultats parleront d’eux-mêmes. À mon sens, il n’existe pas vraiment de redondance entre les différents dispositifs. La valeur des pôles est de rassembler des acteurs et d’accompagner le développement des PME. Pas de remplacer tel ou tel acteur local. Ceci dit, il est vrai que l’ensemble manque de lisibilité et gagnerait à être clarifié.
Malgré tout, un certain recouvrement existe entre les différentes structures chargées de l’innovation. Par exemple, les pôles ne sont pas les seuls à accompagner les entreprises pour répondre à des projets ANR (Agence nationale de la recherche) ou européen du programme H2020 ? Qu’en pensez-vous ?
JLB : Il existe effectivement des mesures d’accompagnement similaires chez plusieurs acteurs. La rationalisation est possible. Au niveau des pôles, conscients de cette tendance, nous avons créé en 2014 l’Association Française des Pôles de Compétitivité. Cette association reste une structure légère et ne compte qu’un seul permanent. Elle réunit régulièrement des personnes de tous les pôles dans des commissions France, Europe et PME. Il s’agit de coordonner les actions des différents membres et de mutualiser si possible certaines actions. Nous travaillons en lien avec l’ANR. L’Association fournit des experts quand cette institution nous demande de contribuer à l’évaluation de ses appels à projet, ce qui évite une dispersion des efforts au sein de chaque pôle.
Quelles autres actions avez-vous initiées ou envisagez-vous pour le futur ? Que pensez-vous de la directive européenne qui autorise les marchés publics à passer des marchés de partenariat d’innovation ?
JLB : Aider l’innovation suppose également d’aider les grandes entreprises. L’acheteur d’une grande société a de nombreuses contraintes à respecter pour pouvoir investir dans de l’innovation. Nous essayons de nous mettre à sa place. Systematic a déjà organisé plusieurs soirées d’échanges avec des acheteurs de grands groupes. Des soirées qui connaissent un succès croissant. Il s’agit de les aider à changer de logique, à savoir passer de l’achat de service ou de produit à de l’achat d’innovation. Et d’acheter en fonction de cette innovation et pas en fonction de la taille de l’entreprise qui en est à l’origine. La directive européenne va dans le bon sens. Nous allons également améliorer notre rôle de guichet pour accéder aux projets ANR, H2020 ou FUI. Nous connaissons des taux de succès plutôt bons pour le FUI et l’ANR, moins pour les H2020. Pour ces projets, les taux de réussite restent très bas. Il s’agit dans ce cas de mieux sélectionner et conseiller. Toutes les entreprises innovantes n’ont ni les moyens ni la nécessité de répondre à des projets européens. Nous travaillons sur tous ces moyens pour optimiser notre mission.
Comment voyez-vous l’avenir des pôles notamment en ce qui concerne leur financement ?
JLB : Les pôles sont nécessaires de par leur rôle de catalyseur. Leur financement a évolué depuis leur création. Avec, de façon habituelle, un apport plus important du privé au fil du temps. Pour ne parler que de Systematic, 50 % de son budget est aujourd’hui d’origine publique, 50 % privé. Cette dernière source provient principalement des cotisations de ses quelque 800 adhérents. Nous comptons même désormais des investisseurs parmi ces derniers. Cette présence leur permet de mieux identifier les technologies et les entreprises émergentes. Plus largement, tous les adhérents étendent leur panorama notamment à travers le partage de roadmaps. En plus de ces rentrées, nous commercialisons quelques services dans des cas spécifiques et seulement quand l’accompagnement des entreprises devient individuel. Les actions collectives, les actions visant à la mise en relation ont vocation à rester gratuites. Et, plus largement, il ne s’agit en aucun cas de proposer des services qui pourraient déréguler un marché. À mon sens, il reste nécessaire d’être financé par plusieurs sources, publiques et privées, bien sûr, mais aussi par différentes sources pour la partie publique, afin d’éviter d’être instrumentalisé par telle ou telle organisation. En dehors du financement, des pistes d’amélioration sont étudiées. Côté monde académique, si des organismes comme le CEA ou l’Inria sont fortement impliqués, des progrès restent à faire pour impliquer pleinement de nombreux autres acteurs. Des actions dans la continuité de ce qui a été entrepris. Les pôles jouent un rôle central dans l’innovation et continueront à le jouer.
Propos recueillis par Patrick Brébion