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JO 2024 : Des applications pas tout à fait comme les autres

Par Alain Clapaud, publié le 23 juillet 2024

Les JO 2024 sont une formidable entreprise qui compte 13,5 millions de clients, les spectateurs sur site, et qui doit aussi gérer près de 15 000 athlètes et 45 000 volontaires lors des épreuves. Son système d’information marie des applications très spécialisées comme la billetterie, la logistique des Jeux, mais aussi les progiciels mis en œuvre par toute entreprise moderne.

Pendant deux fois deux semaines, les JO 2024 (Jeux Olympiques et Paralympiques) vont accueillir des millions de spectateurs sur les sites des compétitions sportives, ainsi que des athlètes, des délégations officielles, et plus de 26 000 personnes accréditées rien que pour les médias. C’est donc tout un portefeuille d’applications très spécialisées qui va être mis en œuvre, depuis la billetterie, la gestion des accrédités, la logistique des sites, jusqu’aux applications typiques d’une entreprise, avec son ERP, son CRM, sa gestion financière…

150 applications métiers spécifiques aux JO 2024

Partenaire des Jeux depuis 1992, Atos fournit au Comité d’organisation plus de 150 applications critiques. Beaucoup d’applications sont internes au fonctionnement de l’organisation, mais certaines sont très visibles. Le portail des bénévoles, par exemple, est une application mise à disposition du comité par Atos dans le cadre de la suite OMS (Olympic Management System). De même, le portail d’accréditation a été développé par Atos dans le contexte du contrat noué avec le Comité International Olympique (CIO), et est adapté à chaque Comité olympique selon ses besoins. En outre, les 4 milliards de téléspectateurs disposeront de l’affichage des résultats de chaque épreuve sur leur écran grâce à l’application ODS (Olympic Diffusion System) qui intègre les données issues des applications de timing et de scoring d’Omega, le chronométreur officiel des JO. « Il s’agit d’une suite applicative qui capture les temps des athlètes, les notes des juges, les résultats de matchs, et toutes les statistiques », décrit Christophe Thivet, directeur du programme et chief integrator officer chez Atos. « Ces données sont captées par des infrastructures déployées par Atos, enrichies de données additionnelles comme la météo, puis diffusées en local, dans un premier temps, à destination du commentator information system. » L’application est utilisée par tous les journalistes qui commentent en direct les compétitions depuis les tribunes. Les résultats sont aussi publiés vers l’extérieur via l’IBC (International broadcast center), qui alimente en particulier l’ensemble des médias.

Entre deux organisations de JO, Atos, qui joue à la fois le rôle d’éditeur et d’intégrateur pour les différents comités d’organisation, fait évoluer ces 150 applications. « Un projet classique commence quatre à cinq ans avant les Jeux par la formation du Comité Olympique. Les responsabilités de chaque acteur et de chaque partenaire sont alors bien définies, explique le responsable. Trois ans avant les Jeux, nous nous livrons à une “gap analysis” entre l’existant et les demandes spécifiques du Comité. Deux ans avant les Jeux, les développements correspondants s’achèvent. L’année avant les Jeux est traditionnellement une année intensive en matière de tests. 250 000 heures de tests ont été menées pour Paris 2024 et nous assurer du bon fonctionnement de nos applications. »

Christophe Thivet

Directeur du programme, chief integrator officer chez Atos

« Dans notre rôle d’intégrateur des Jeux, nous vivons la vie d’une DSI en accéléré. Nous avons commencé par un Comité d’organisation comparable à une start-up de 10 personnes. Aujourd’hui, il s’agit d’une entreprise de 3 000 à 4 000 collaborateurs, et le temps des Jeux, il s’agira d’une entreprise de 300 000 personnes si on ajoute les volontaires, la famille olympique, etc. Mi-septembre, à la fin des Jeux Paralympiques, on vivra le démantèlement de cette organisation. Toujours en accéléré. »

Si, fonctionnellement, il y a des constantes d’une olympiade à une autre, les applications délivrées aujourd’hui par Atos offrent une expérience utilisateur bien meilleure que celles de 1992. « Les sites web ont été refondus pour Paris 2024, en particulier le portail des volontaires, pour offrir une meilleure accessibilité. C’est un des gros enjeux de Paris 2024. Nous avons développé ce que l’on appelle le “smart assignment” afin de faciliter l’assignation des candidats aux bons postes. La campagne de recrutement de volontaires a été un vrai succès : le record du nombre de candidats a été battu, et ce moteur de règles a permis d’être plus efficace dans l’attribution des postes. »

La composante mobile est elle-aussi importante, et la version 2024 de l’application officielle Olympics sera bientôt proposée sur les app stores.

Un cloud hybride déployé spécialement pour l’occasion

La transition vers le cloud public est une évolution lourde du « SI industriel des Jeux ». Toutes les applications liées aux résultats tournent dans un cloud public, celui d’Alibaba Cloud, partenaire officiel de Paris 2024. Néanmoins, une architecture cloud hybride a été déployée pour des besoins particuliers. Certaines données considérées comme sensibles, comme les données d’identité des spectateurs, sont hébergées par Atos dont les systèmes sont interfacés à ceux des autorités. « Au-delà du fait que nous ayons migré nos applications vers une architecture cloud, nous avons revu ces dernières années la façon dont nous délivrons ces applications, précise Christophe Thivet. Nous avons basculé sur un mode de développement agile, avec une organisation qui repose sur trois piliers : d’une part une équipe relativement restreinte dans la ville hôte ; d’autre part, un centre de test à Madrid où sont répliquées les infrastructures qui seront déployées au moment des Jeux ; enfin, Atos dispose d’un centre d’expertise sur l’événementiel à Barcelone. » L’ESN a aussi la responsabilité du service desk des Jeux. L’équipe parisienne d’Atos va grossir progressivement pour atteindre un sommet au moment des Jeux. Plus de 1 000 personnes seront alors affectées à leur bon déroulement.

Pour les JO 2024, un back-office assez classique

Le back-office du Comité d’organisation des JO est certainement le seul volet de l’informatique des Jeux qui se rapproche de celui d’une entreprise traditionnelle. Le portefeuille des applications mises en œuvre est assez classique, avec un socle RH, un site de recrutement, un système de gestion de la paie, des achats, des ventes, une gestion financière comptable et analytique.

Contrairement aux applications très spécifiques aux Jeux fournies notamment par Atos, il n’y a que très peu d’héritage d’une édition à une autre sur tout ce volet, comme l’explique Emmanuel Brégand, manager du SI back-office de Paris 2024 : « Le CIO nous a communiqué quelques guidelines génériques, mais dans de nombreux domaines, on peut difficilement profiter de l’héritage des jeux précédents. Par exemple, on ne peut pas s’appuyer sur les process RH ou comptables mis en place lors des jeux de Tokyo où la législation et les normes comptables sont bien différentes. »

Emmanuel Brégand

Manager du SI back-office de Paris 2024

« Le déploiement de notre back-office s’est effectué sur un cycle de vie projet extrêmement rapide. Nous avons fait le choix d’un SI 100 % cloud. L’ensemble de ses briques sont consommées sous forme de services SaaS. Avec le recul, j’estime que cette approche est aujourd’hui transposable à une entreprise traditionnelle, car les acteurs du marché savent servir l’ensemble des processus d’une entreprise en mode SaaS. »

Très rapidement, un partenariat est noué avec DXC Technology pour couvrir la majeure partie de ce périmètre. « La vraie particularité de l’implémentation de ces logiciels par rapport à une structure classique, c’est la fenêtre temporelle dans laquelle nous avons dû la mener, explique Emmanuel Brégand. Entre juillet 2020 et juin 2025, nous devons concevoir, implémenter, exploiter et décommissionner ces solutions. Dans une entreprise traditionnelle, c’est pratiquement le temps pris pour sourcer des solutions, spécifier, assurer la conception et, pour les plus rapides, déployer un core business… » Lancé en septembre 2020, le projet d’intégration a vu une première mise en production des modules comptabilité, finances, achats et RH dès juin 2023. Le portail Rate Card à destination des partenaires et des médias a été déployé en février 2023, tandis qu’en juin de la même année étaient mises en place les interfaces de ticketing, hospitalité et logistique.

Un back-office 100 % SaaS

Le cœur du back-office des JO s’appuie ainsi sur un ERP en mode SaaS développé par DXC Technology. Comme Emmanuel Brégand, Antoine Roussel, responsable marketing et communication de DXC Technology en charge de l’activation du partenariat avec Paris 2024, souligne le côté éphémère de ce déploiement. Il pointe aussi un projet atypique si on le compare aux intégrations ERP classiques : « Le fait de partir d’une page blanche est totalement unique. Chez tous nos clients, nous devons migrer un existant, or ici ce n’était pas le cas. Il fallait construire les processus et, dans le même temps, les déployer et intégrer les nouveaux partenaires qui arrivaient tout au long du projet. » Ainsi, le module RH a dû prendre en compte de 50 à plus de 4 000 employés au fil de la montée en puissance du Comité d’organisation. Le portail a été amené à gérer 1,5 Md€ d’achats de biens et de services.

JO 2024. Nourdine Bihmane, DGA d’Atos en charge de Tech Foundations, et Tony Estanguet, président du Comité d’organisation, lors de l’inauguration du Centre des opérations technologiques début octobre 2023.
Nourdine Bihmane, DGA d’Atos en charge de Tech Foundations, et Tony Estanguet, président du Comité d’organisation, lors de l’inauguration du Centre des opérations technologiques début octobre 2023.

Quant à la gestion financière, elle doit exploiter un budget de 4,38 Md€. Emmanuel Brégand ajoute : « Nous ne pouvions pas mettre en place des outils pour appuyer des process déjà existants, car notre structure évolue en même temps que nous déployons les solutions. Les effectifs et les processus ciblés n’ont cessé de croître tout au long de l’implémentation, ce qui signifie que nous devons concevoir et mettre en place l’outillage avant même que les process ne soient complètement définis. Il faut alors mener la conception des process lors de l’intégration, voire même en anticipation avant même que ces processus ne soient utilisés, ou que les équipes métiers n’aient été complètement recrutées. »

Dans de telles conditions, impossible pour la DSI du Comité d’organisation de rester dans un rôle de pur maître d’œuvre IT. L’équipe d’Emmanuel Brégand a donc adopté un rôle hybride entre MOA et MOE avec les métiers. « Notre plus grand défi était d’embarquer l’ensemble des métiers sur des solutions alors que les processus n’étaient pas totalement définis. Cet embarquement devait se faire très rapidement et sur la durée car de nouveaux collaborateurs arrivaient très régulièrement. Nous avons notamment mis en place des packages de formations en ligne pour que ceux-ci puissent se former dès leur arrivée. »

L’éditeur s’est fortement impliqué aux côtés de l’équipe back-office. « Nos équipes ont travaillé de manière très étroite avec l’équipe d’Emmanuel Brégand, avec pour objectif d’exploiter au maximum les bonnes pratiques déjà modélisées dans nos solutions et de tirer parti de leur flexibilité pour s’adapter à l’évolution rapide de l’activité. Le fait que les JO soient un événement exceptionnel a engendré un véritable engouement dans les équipes. »

Un autre aspect clé dans cette implémentation concerne le volet reporting. « Un gros travail a été mené sur l’édition des rapports financiers et l’estimation des coûts de ces Jeux, explique Antoine Roussel. Beaucoup de parties prenantes participent à l’organisation des Jeux et bien évidemment un gros effort de transparence est demandé au Comité d’organisation. Un reporting des coûts humains et financiers associés à chaque épreuve a été élaboré, et on pourra connaître à la fin des Jeux le coût réel de chaque discipline. »

Quand trop d’intégration entrave la flexibilité

Logiquement, la règle numéro un de la conception de ce back-office était d’éviter au maximum les développements spécifiques, mais Emmanuel Brégand s’est aussi montré extrêmement prudent en termes d’intégration entre applications. Quelques intégrations logicielles ont bien été mises en place entre certaines solutions, notamment entre les achats et la finance, le Core RH et la paie, l’ERP et le WMS, mais le responsable n’a pas souhaité aller trop loin dans ces automatisations. « Nous cherchions avant tout à concentrer nos efforts sur les cas d’usage où il y a le plus de valeur. Quand bien même il existe des connecteurs natifs, qui dit intégration, dit mise en œuvre de règles de gestion stables dans le temps, avec des définitions précises de transcodification et de mapping des données. Or, tant que les processus et les master data ne sont pas définis, on ne peut déterminer précisément ces règles. En résumé, on ne peut automatiser que ce que l’on maîtrise déjà. » Difficile aussi, dans un contexte de délais extrêmement contraints, de figer les processus avec des intégrations, d’autant que chacune d’elle aurait dû être validée par les équipes d’architecture et de cybersécurité.

JO 2024 : Les collaborateurs d’Atos se mobilisent pendant les quatre ans de l’olympiade, et jusqu’à la période critique où ils seront 1 000 sur le pont rien qu’au service Desk.
Les collaborateurs d’Atos se mobilisent pendant les quatre ans de l’olympiade, et jusqu’à la période critique où ils seront 1 000 sur le pont rien qu’au service Desk.

Finalement, conserver certains traitements manuels dans les processus pouvait sembler contre-intuitif, mais c’est ce qui a apporté la souplesse nécessaire à l’élaboration et au fonctionnement d’un SI complexe, au spectre fonctionnel très large, et mouvant : « Nous devons intégrer plusieurs entités juridiques, plusieurs entités géographiques. Le fait de devoir faire des achats, de la vente, de la location de biens et services sur notre territoire et à l’international implique que nous devons gérer des problématiques de taxation, de déclaration d’échanges de biens, etc. Tous ces éléments font que l’intégration manuelle est souvent plus facile à mettre en œuvre que de chercher à réaliser des intégrations automatisées. » Pour le responsable, étant donné la durée de vie plutôt brève du système d’information des Jeux, plutôt que vouloir faire des traitements en masse avec de l’outillage et des développements spécifiques longs à mettre en place et qui auraient figé les processus, il était plus opportun de recourir à des intégrations basiques par fichiers et traiter la masse en tant que processus individuels légèrement adaptés.


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