Après la démission de Thierry Breton, la commission européenne pourrait se laisser influencer par les lobbies américains.

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La Commission européenne rebat les cartes de la souveraineté numérique

Par François Jeanne, publié le 16 octobre 2024

Saluée ironiquement par des responsables de X (ex-Twitter), la démission de Thierry Breton, il y a un mois jour pour jour, va sans doute au-delà des simples querelles de personnes au sein de la Commission européenne. Elle entérine aussi une autre vision des relations à venir entre l’Europe et les États-Unis.

L’ histoire nous le dira peut-être, d’ici les quelques années nécessaires à l’apaisement des passions et au déliage des langues des politiques. La démission de Thierry Breton, ex-commissaire chargé du marché intérieur, de la politique industrielle, du tourisme, du numérique, de l’audiovisuel, de la défense et de l’espace, aurait-elle pu être évitée ? Il était pourtant clairement candidat à sa propre succession. Et même si ses prises de positions incisives, notamment lors de joutes verbales qui l’avaient récemment opposé à Elon Musk, avaient pu indisposer la présidente reconduite de la Commission européenne Ursula Van der Leyen, son activité et les résultats obtenus depuis cinq ans balayaient beaucoup de réticences. En particulier concernant le numérique. Son bilan n’a en effet pas de quoi le faire rougir. On peut notamment mettre à son crédit les lancements du DMA (Digital Markets Act), celui du DSA (Digital Services Act) ou plus récemment, de l’IA Act. Par ailleurs, il a été un ardent défenseur de la reconquête industrielle sur notre continent, en lançant par exemple le Chip Act.

Les Américains se réjouissent

Le départ de Thierry Breton a redonné en tout cas des ailes à ceux qu’il avait pu contribuer à mettre sur le reculoir depuis cinq ans, à commencer par les grands acteurs principalement américains dans la sphère numérique.
Passons sur l’élégante déclaration de la malheureusement trop méconnue Linda Yaccarino, directrice générale de X (ex-Twitter), qui s’est réjouie publiquement de vivre « une belle journée pour la liberté d’expression ». Osons le dire, à la lecture des tweets de son patron Elon Musk, on a peur de l’idée qu’elle se fait de la beauté et de la liberté d’expression.

Plus sérieusement, il y a lieu de se questionner sur l’éclatement des anciennes responsabilités de Thierry Breton sur trois postes. Henna Virkkunen, nouvelle vice-présidente exécutive en charge de la Souveraineté numérique, de la Sécurité et de la Démocratie, récupère certes la partie digitale dans son entiereté, mais aura-t-elle autant de poids que son prédecesseur qui avait aussi la mainmise sur l’industrie ou l’espace par exemple ?
La nouvelle commissaire garde des objectifs élevés, avec la surveillance de la mise en place des deux textes clés de régulation de l’Internet, le DMA et le DSA, ou le soutien à des politiques de développement dans les domaines de l’informatique quantique, l’intelligence artificielle, le Cloud, les semi-conducteurs. De quoi assurer la « compétitivité de l’Europe » comme le proclame le slogan martelé par la nouvelle Commission ?

Surtout, il faudra regarder attentivement comment elle se positionne par rapport à des GAFAM qui, en arrière-plan, s’agitent et réclament sans discrétion une inflexion.

À peine plus soft que Meta ou X, BSA The Software Alliance (voir encadré) lui explique « qu’il faut mieux équilibrer les objectifs d’indépendance et de coopération mondiale ».

Autrement dit rompre avec certaines pratiques récentes ? La réponse ne viendra pas, ou alors bien enrobée : officiellement, BSA se réjouit, « alors que l’Europe continue de façonner son avenir numérique, de collaborer avec les nouveaux commissaires pour traduire ces idées en un cadre politique cohérent qui stimule la transformation numérique et la croissance économique ». Qu’en termes fleuris, ces choses-là sont dites…


Les lobbyistes ne lâchent rien, au contraire

L’association d’éditeurs BSA The Software Alliance a son siège aux USA, même si elle se dit représentante des intérêts des acteurs de tous pays.
Le lendemain de la nomination des 27 nouveaux commissaires par Ursula Van der Leyen, elle a adressé un message de bienvenue à Henna Virkkunen.
Sans un mot pour le travail accompli par Thierry Breton, elle souligne le besoin de politiques qui rendent possible la transformation digitale et améliore la compétitivité de l’économie européenne. Ce qui doit passer selon elle par la consolidation et la mise en œuvre des textes déjà existants, avant d’en imaginer d’autres…



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