Gouvernance

La Cour des comptes pointe le manque d’efficacité de la Dinum

Par Thierry Derouet, publié le 03 septembre 2024

Dans un rapport de 152 pages intitulé Le pilotage de la transformation numérique et de l’État par la Direction Interministérielle du NUMérique, la Cour des comptes analyse les exercices 2019 à 2023 de celle qui, depuis tant d’années, peine à prendre le rôle effectif de « DSI de l’État ». Et l’invite à s’affirmer dans son rôle. Mais en a-t-elle la mission comme les moyens ?

Pour la Cour des comptes, le constat est sans équivoque : la transformation numérique de l’État est un impératif absolu, mais elle requiert une stratégie limpide, une gouvernance rigoureuse et une coordination interministérielle sans faille. Pour mener à bien ce chantier, la Dinum doit affermir son rôle pour se montrer à la hauteur des défis numériques de notre époque. C’est ce que souligne avec insistance le rapport de la rue Cambon, qui ne manque pas de questionner certaines dépenses engagées, comme celles allouées aux start-up d’État ou à la suite numérique souveraine, tout en dénonçant un manque de cohérence directionnelle. Mais la Cour a-t-elle vraiment posé toutes les bonnes questions ?

Quelles sont donc les missions essentielles de la Dinum ?

La mission officielle de la Dinum, c’est d’être à la fois l’arbitre des décisions d’investissement en matière de dépenses informatiques de l’État et l’experte incontestée sur des sujets aussi cruciaux que l’ouverture des données publiques, la gestion du réseau interministériel, l’innovation numérique au sein des administrations et la sécurisation des grands projets numériques. Une ambition qui demanderait un positionnement clair. Pourtant, les sages le rappellent, la Dinum, souvent ballottée d’un ministère à l’autre, et parfois livrée à elle-même, ne se voit pas faciliter la tâche et peine à incarner pleinement son rôle de « DSI » de l’État.

En 2023, lors de son audit des grands projets numériques, la Dinum n’a pas hésité à exposer les nombreux dérapages des directions informatiques de l’État, mettant en lumière un glissement budgétaire moyen de 24 % et un retard calendaire moyen de 26 %. Cependant, malgré cet effort de transparence, la Dinum apparaît davantage comme le contrôleur des « trains en retard » que comme le véritable architecte de la modernisation de l’État. D’autant plus que tous les projets ne passent pas sous son regard, et que les rares avis défavorables qu’elle émet sur ceux qui dépassent les 9 M€ se traduisent rarement par un abandon. Face à ces dysfonctionnements, la Cour des comptes recommande d’ailleurs de lui confier le pouvoir de décision finale pour éviter les dérives, comme celles observées sur le projet Scribe, le logiciel de rédaction des procédures pénales voulu par le ministère de l’Intérieur.

Renforcement des moyens, oui mais

Malgré un renforcement de ses moyens, avec des effectifs de 225 ETP, la Dinum semble à peine capable de mettre en œuvre sa feuille de route 2023, intitulée Stratégie numérique au service de l’efficacité de l’action publique. Et si la Cour loue parfois son nouveau rôle de DRH de la filière numérique de l’État, elle ne cache pas son scepticisme sur les résultats à attendre de sa brigade d’intervention numérique et de ses 40 experts.

Elle invite également la Dinum à veiller avec une attention particulière à la résilience opérationnelle du réseau interministériel de l’État (RIE). Elle le juge encore « perfectible », car le moindre incident pourrait avoir un « impact immédiat sur la vie quotidienne », comme l’a démontré la coupure du réseau des systèmes d’information de la Police et de la Gendarmerie durant deux heures le 4 mars 2023. Enfin, la Cour s’interroge sur la pérennité des start-up d’État, tant sur leur fonctionnement que sur leur durabilité à long terme. En somme et à lire ce rapport, la Dinum devrait plutôt renforcer son autorité et son rôle d’innovateur pour devenir le moteur central de la modernisation numérique de l’État. La réussite de cette transformation sera en tout cas essentielle pour assurer des services publics plus efficaces, sûrs et accessibles.


Qui pilote la « dette technique de l’État ? »

La dette technique dans le secteur public, définie comme l’accumulation de produits technologiques obsolètes, pose un défi stratégique majeur souvent négligé. Par exemple, les ministères chargés des affaires sociales ont accumulé une dette significative en raison d’un sous-investissement chronique. Pour y remédier, un plan de lutte contre l’obsolescence a été mis en place, visant notamment à limiter les coûts de maintenance et à faciliter la migration vers le cloud. Cependant, la Dinum n’a pas encore pris les rênes de ce chantier crucial. La Cour des comptes souligne donc l’importance pour elle de se positionner en tant que pilote dans la mesure et la réduction de cette dette. Elle devrait élaborer une méthode permettant à chaque ministère d’évaluer sa situation et de produire des plans de résorption avec des trajectoires de financement claires. Un accompagnement stratégique de la Dinum pourrait ainsi éviter que des situations critiques comme celle du ministère de la Justice, où la dette technique reste majeure, ne se reproduisent.


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