Data / IA

La donnée, cible privilégiée des prédateurs

Par La rédaction, publié le 13 janvier 2016

Marc Watin-Augouard, général d’armée (2S), fondateur du Forum International de la Cybersécurité et directeur du centre de recherche de l’EOGN

 

Jamais sans doute l’humanité n’a connu, sous l’ef-fet de la transformation numérique, un boulever-sement aussi universel dans son application, aussi intense dans ses manifestations, aussi profond dans ses conséquences.

Les données sont les ressorts de la puissance et de la dynamique d’une métamorphose qui combine les applications de nombreuses innovations technologiques : le cloud computing, qui offre des capacités de stockage et de traitement jusqu’à aujourd’hui inégalées, mais soulèvent des questions de sécurité et de souveraineté ; le big data qui, associé aux algorithmes, permet de mieux comprendre la réalité du monde et de fav-riser l’analyse prédictive ; la réalité augmentée, qui superpose l’image virtuelle à la vision du monde réel et va accroître les capacités intellectuelles et physiques de l’Homme ; la robotique, qui pose la question de la relation entre l’homme et le robot doté d’intelligence artificielle, capable de s’adapter par l’auto-apprentissage ; l’internet des objets, qui va tout mesurer, et peut-être, finalement, décider à notre place.
À tout cela s’ajoute la convergence des nanotechnologies, des biotechnologies, de l’informatique et des sciences cognitives.
Le « secteur quaternaire », ou secteur numérique, celui qui émerge avec l’interconnexion mondiale des systèmes ayant recours au « tout numérique », offre une extraordinaire opportunité pour la criminalité et la délinquance.
La cybercriminalité frappe notamment la couche cognitive, celle des contenus, qui constitue le patrimoine informationnel porteur de valeur, de sens, source du savoir et donc du pouvoir. La cible principale des prédateurs est bien la donnée sous toutes ses formes. Elle permet de s’en prendre directement ou indirectement aux personnes, aux biens, aux services, aux systèmes de traitement automatisé de données. Cette donnée est visée pour ce qu’elle représente, parce qu’elle est une parcelle de la souveraineté, de l’influence, de la compétitivité économique ou parce qu’elle est une monnaie d’échange, un moyen de chantage ou, pire, un moyen de dominer les esprits. Aujourd’hui, la donnée n’est plus annexe, ni connexe : elle est désormais au cœur de l’écosystème du cyberespace. Elle est intimement liée à l’individu, auquel elle confère une identité numérique, à l’entreprise, dont elle constitue le patrimoine immatériel, à l’État qui accroît avec elle sa liberté d’action. Personnalité, compétitivité, souveraineté : telle pourrait être la trilogie servant de « devise » pour la donnée.
Hier fruit de l’action humaine, la donnée s’autonomise désormais sous l’influence des machines connectées, plus nombreuses, depuis 2008, que la population de la planète. Les objets « intelli-ents », sans échapper au dialogue avec les individus, deviennent des objets « bavards » qui communiquent entre eux, de machine à machine, malgré l’homme, créant ainsi des données et métadonnées, structurées ou non, qui ne se perdent pas, se transforment et, même, se reproduisent. Les algorithmes, la vitesse de calcul, la capacité de stockage sont les moteurs de leur fertilité.
Lorsqu’elle rencontre le big data, la donnée s’inscrit dans le temps de son créateur tout en le devançant par son pouvoir prédictif. La donnée est vivante, survivante, sauf si le « droit à l’oubli » la rend mortelle. Donnée kidnappée, donnée usurpée, donnée dénaturée, mais donnée libérée, au profit de la transformation numérique !
Trop « ouverte », la donnée peut conduire l’homme à l’état de zombie, d’esclave des colonisateurs du numérique. Trop « fermée », elle peut être un frein au progrès.
La juste voie est celle de l’équilibre qui garantit une divulgation maîtrisée. Cela passe assurément par une nouvelle conception du secret : secret de l’intimité de chaque être humain à l’heure de « l’exposition de soi », secret des affaires qui préserve la compétitivité, voire la survie des entreprises, secret de l’État, sans lequel il ne peut affirmer sa souveraineté et donc son indépendance. Le mot « secret » n’est guère à la mode, tant il est décrié par les partisans d’un nouveau totalitarisme : celui de la transparence. Choisissons alors pour le remplacer le « mystère » en ce qu’il a d’inaccessible, tout en révélant ce qui est juste nécessaire.

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