

Green IT
Le Cigref initie les DSI aux bienfaits de l’IT for Green
Par Laurent Delattre, publié le 18 mars 2025
Loin de se limiter à la réduction de son propre impact environnemental, l’IT peut aussi devenir un levier clé de la transition écologique. En optimisant les ressources, en innovant pour le pilotage environnemental et en favorisant la dématérialisation, le numérique permet aux organisations de mieux mesurer, contrôler et réduire leur empreinte carbone. Un guide du Cigref explore ce potentiel en mettant en évidence les leviers dont disposent les DSI à travers plusieurs retours d’expérience.
Le Cigref, décidément très prolifique en ce début d’année, s’attaque au délicat sujet du numérique responsable, d’une informatique écologiquement plus responsable et qui contribue activement à rendre toute l’entreprise plus écologiquement engagée, au travers d’un nouveau guide qui veut apporter quelques réponses concrètes et bonnes pratiques aux DSI.
Intitulé “IT for Green – Contributions des directions numériques aux enjeux RSE et de décarbonation des organisations” du Cigref, ce guide explore différentes pistes sur la manière dont les technologies de l’information peuvent contribuer positivement aux objectifs environnementaux des organisations et finalement tombe plutôt bien alors que de l’autre côté de l’Atlantique un gouvernement cherche à jeter aux oubliettes les efforts jusqu’ici consentis.
La grande originalité de ce rapport est de se focaliser non pas sur le « Green IT » (qui est focalisé sur les impacts négatifs de l’IT et qui vise à réduire l’empreinte écologique de l’IT, en optimisant leur efficacité énergétique et leur durée de vie par exemple) mais sur « l’IT for Green », autrement dit l’exploitation du potentiel du numérique pour promouvoir et étendre les pratiques durables au sein des organisations (et donc les impacts positifs de l’IT).
Définir l’IT for Green : au-delà du simple Green IT
Le rapport propose une définition claire de l’IT for Green comme « l’usage des technologies numériques pour réduire l’empreinte environnementale des activités humaines et économiques, en contribuant à la transition écologique de celles-ci. »
Cette approche repose sur trois piliers principaux :
- La substitution de processus physiques par des alternatives numériques moins polluantes
- L’optimisation des ressources grâce à des outils d’analyse et des capteurs intelligents
- L’innovation pour le pilotage environnemental
Pour les DSI, comprendre ces mécanismes est essentiel pour intégrer l’IT for Green à tous les niveaux de l’organisation : politique RSE, fonctionnement interne, métiers et opérations, et relations avec les clients et parties prenantes.
Les auteurs du rapport reconnaissent néanmoins « qu’une démarche IT for Green n’est recevable que si elle n’oublie pas les effets négatifs qui viennent en diminution des effets positifs » autrement dit qu’il faut soigner autant ses efforts « Green IT » que « IT for Green » alors que « l’empreinte environnementale de l’IT pourrait tripler d’ici 25 ans ». Ils expliquent cependant que « il nous est vite apparu que l’IT for Green comportait une grande variété d’effets, bien plus que le Green IT ».
Pour le Cigref, l’IT for Green doit dès à présent s’imposer comme un sujet d’actualité dans les agendas des DSI. « Les organisations vont devoir adapter leurs modèles d’affaire et de production dans un monde contraint en ressources et utiliser tous les moyens à leur disposition pour mesurer, piloter, améliorer et réduire leur empreinte » rappelle les auteurs. Cette nécessité est renforcée par les évolutions réglementaires, notamment la directive CSRD (Corporate Sustainability Reporting Directive) qui « va pousser à l’adoption de solutions numériques pour améliorer le reporting environnemental. »
Le grand défi de l’IT for Green : quelle méthodologie ?
Le manque de méthodologies intégrant toute la complexité des démarches IT for Green constitue aujourd’hui un gros handicap aux initiatives. Le ton est donné dès l’introduction : « Les chiffres sont contradictoires, les méthodes d’analyse diffèrent, certaines comportent des biais, et toutes les données ne sont pas forcément accessibles pour mener à bien une étude complète du rapport coût / bénéfice du numérique dans la transition écologique. De fait, les organisations participantes à ce groupe de travail portent collectivement le constat qu’elles sont encore, pour la plupart, dans une démarche d’identification des opportunités et défis de l’IT for Green, plutôt que de propositions stratégiques. »
Ce guide ne comble évidemment pas entièrement ce manque de méthodologie complète et officielle mais apporte quand même des retours d’expérience, des conseils et des premières pistes stratégiques pour avancer sur cette thématique.
Il évoque ainsi plusieurs méthodologies naissantes, dont celle de l’European Green Digital Coalition qui distingue trois types d’impacts à évaluer :
1 – Les impacts de premier ordre (liés directement à la solution numérique)
2 – Les impacts de second ordre (changements dans les processus)
3 – Les impacts d’ordre supérieur (effets rebonds et changements comportementaux)
Une façon de rappeler que finalement que tout démarche “IT for Green” doit reposer sur une mesure précise des effets positifs du numérique qui nécessite de prendre en compte les effets directs, indirects et les effets rebonds. Ces derniers représentent un risque particulier mais fondamental. Ils mettent en évidence toute la complexité méthodologique de l’IT for Green. L’exemple du télétravail illustre parfaitement cette complexité : « L’étude de l’ADEME de 2015, mise à jour en 2020, émet les conclusions suivantes : télétravailler 2,9 jours par semaine, pour un salarié français moyen a entraîné une baisse des émissions directes de 26% […] et une augmentation des émissions domestiques de 13% […], soit une baisse nette des émissions de 13%. Plus de la moitié des gains ont donc été effacés par la prise en compte des transferts d’impact » rappelent les auteurs de ce rapport.
Pour le Cigref, il devient urgent de disposer d’une méthodologie commune et rigoureuse pour objectiver les gains réels, notamment en ce qui concerne les impacts carbone et environnementaux. Dans le guide, plusieurs entreprises avouent leurs interrogations : « En l’absence de norme ou de méthodologie communément adoptée, il n’est pas évident de calculer simplement les émissions évitées » témoigne par exemple Julien Duclos, délégué RSE de GRTgaz.
Les leviers de l’IT for Green pour les DSI
Le rapport du Cigref structure les contributions possibles du numérique autour de six leviers d’action que les DSI peuvent mobiliser :
1. Mesurer
« Le numérique fournit naturellement de nombreux moyens de mesurer et mieux connaître les causes et les processus les plus émetteurs dans les différentes activités d’une organisation » rappelle le Cigref. Les DSI sont invités à déployer des solutions pour mesurer l’impact environnemental, collecter des données pour le bilan GES, ou encore monitorer la consommation électrique des infrastructures.
2. Piloter
Les outils numériques permettent le suivi des indicateurs environnementaux, l’automatisation des rapports réglementaires, et l’intégration de critères environnementaux dans la gestion de portefeuille de projets.
3. Simuler
Les simulations et jumeaux numériques peuvent aider à anticiper et optimiser les impacts, à condition que le gain carbone “net” soit démontré.
4. Innover
« L’innovation peut produire elle-même des solutions bas carbone, proportionnées au juste besoin de l’utilisateur final, et répondant à des critères de durabilité ou de circularité » rappellent les auteurs du rapport pour qui certaines démarches d’open innovation ou de challenges rassemblant l’ensemble des connaissances d’un écosystème diversifié peut produire des effets bénéfiques.
5. Documenter et outiller
Les outils numériques contribuent à améliorer la connaissance des impacts grâce à une analyse et une mise à disposition continue des données d’impact à divers interlocuteurs. Les outils de visualisation des données peuvent ensuite aider à communiquer efficacement sur les enjeux environnementaux auprès des décisionnaires et des équipes.
6. Réduire et améliorer
C’est bien là l’objectif ultime de toute approche “IT for Green” : réduire et améliorer l’empreinte globale des organisations. Ceci passe par le développement d’outils de mesure, la mise en place d’objectifs et d’indicateurs de suivi, le déploiement d’outils engendrant une déduction des émission, la mise en oeuvre d’applications d’écoconduite ou de gestion des équipements.
Vers une stratégie IT for Green structurée
Pour les DSI qui souhaitent développer une véritable stratégie IT for Green, le rapport du Cigref recommande dès lors quatre étapes clés :
1. Référencer et valoriser les initiatives existantes avec une gouvernance dédiée
2. Valoriser les données environnementales et les intégrer à la stratégie data
3. Embarquer et accompagner les équipes avec des sponsors dédiés et une communication active
4. Mettre en place des indicateurs de suivi et de performance
Le témoignage de Michelin illustre parfaitement le potentiel de ces leviers et d’une telle démarche IT for Green : « Le monitoring numérique des consommations d’énergie et d’eau en usine a généré un impact positif en équivalent CO2 de l’ordre de 6 pour 1 et une baisse de la consommation d’eau de plus de 30%… L’évaluation de l’impact global d’un service de digitalisation de flottes de poids lourd a montré un ratio encore plus favorable. En équivalent CO2, ce ratio dépasse 100 : le service a permis d’optimiser la consommation de carburant des véhicules grâce au suivi de la pression des pneumatiques et de la conduite des chauffeurs via des capteurs embarqués afin de promouvoir une conduite plus sobre » explique Julie Ribes, Sustainable Enterprise Architect, de Michelin.
Des retours d’expérience éclairants
Le rapport s’enrichit de nombreux retours d’expérience qui espèrent inspirer les DSI. Deux ont retenu notre attention.
La Caisse des Dépôts, par exemple, a développé une cartographie complète de ses solutions IT for Green (cf illustration ci dessous) et créé une feuille de route “Numérique et Environnement” qui combine Green IT et IT for Green. Le groupe a ainsi rassemblé l’ensemble des parties prenantes autour d’un cadre commun. Sa DGA, Catherine Mayenobe, précise ainsi que « le numérique, la tech, l’IA sont des forces qui peuvent et doivent être positives pour la transformation écologique ».

Les Laboratoires Pierre Fabre ont quant à eux développé un “Green Impact Index” qui évalue l’impact environnemental de leurs produits, avec un rôle crucial joué par l’IT : « L’IT est un contributeur essentiel à la réalisation de ce score. L’outil est intégré dans le Product Lifecycle Management (PLM) et évalue tous les produits en cours de développement » assure Christelle Kieny, Digital Acceleration Information System.
Un premier rapport qui en appelle d’autres
Le rapport conclut sur une note optimiste tout en appelant à la vigilance : « Les démarches IT for Green offrent une vision ambitieuse qui permettrait de tendre vers un usage raisonné du numérique, au service de l’environnement et des transitions énergétiques. […] Il convient de rester vigilant pour éviter certains biais méthodologiques qui peuvent fausser les démarches, et masquer des transferts d’impact ou des effets rebonds, parfois difficiles à identifier et à quantifier. »
Pour les DSI, une démarche IT for Green représente aussi une opportunité stratégique de contribuer significativement aux objectifs de décarbonation de leur organisation. Elle permet de valoriser le numérique non plus seulement comme un centre de coûts environnementaux, mais comme un véritable levier de la transition écologique. Complémentaire au Green IT, elle ne peut qu’aider les DSI à se positionner comme des partenaires clés de la stratégie RSE globale de l’entreprise.
Dans un contexte où la pression réglementaire et sociétale sur les questions environnementales prend une nouvelle tournure en Europe dans le contexte géopolitique actuel, la lecture de ce guide ne manquera pas d’intéresser et éclairer les DSI non seulement sur leur rôle pour orienter le numérique vers des impacts positifs tangibles et durables mais aussi sur les moyens à mettre en œuvre dès à présent – malgré l’absence de normes et méthodologies – pour y arriver.
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