Gouvernance
Le Cigref publie ses recommandations pour lutter contre l’obsolescence logicielle et matérielle
Par Marie Varandat, publié le 10 novembre 2021
Destiné aux entreprises, le rapport du Cigref liste les bonnes pratiques à adopter pour réduire l’empreinte environnementale du numérique. Des bonnes pratiques pleines de bon sens que les entreprises devraient déjà avoir appliquées depuis de nombreuses années…
Frugalité logicielle, indice de réparabilité, culture du reconditionnement et du recyclage… dans le cadre d’une task force pilotée par Olivia Bertout, digital CSR leader chez Adeo, le Cigref vient de publier un livrable destiné aux entreprises pour lutter contre l’obsolescence logicielle et matérielle.
Le document s’adresse principalement aux DSI et directions des achats, listant des bonnes pratiques à adopter pour réduire l’empreinte environnementale du numérique.
Des bonnes idées pas toujours simples à faire passer
Pour le Cigref, « les premiers gestes pour lutter contre l’obsolescence logicielle et matérielle consistent à définir une politique d’achat numérique responsable (permettant d’optimiser la gestion du parc informatique, d’allonger la durée de vie, favoriser le réemploi, etc.) et de s’interroger sur les pratiques des fournisseurs ».
Pour l’essentiel, le Cigref invite les entreprises à être vigilantes dans leurs choix de fournisseurs en s’assurant de leur politique « Carbone » et de leur attention sur les sujets clés que sont la réparabilité des équipements et l’écoconception des services, en traduisant les exigences règlementaires en clauses contractuelles, et en s’assurant dès l’appel d’offres du suivi de la fin de vie des matériels.
Côté obsolescence logicielle, il invite les entreprises à développer de vraies compétences en la matière, de proposer des formations en écoconception, d’établir des standards de conception qui favorisent la durabilité et la frugalité et enfin de travailler avec les éditeurs pour des supports de mise à jour allongés.
Côté obsolescence matérielle, le Cigref invite les entreprises à sensibiliser leurs collaborateurs aux enjeux afin de pouvoir leur proposer du reconditionné plutôt que du neuf, de développer le réemploi interne, d’éviter le suréquipement. Il les invite à systématiser la maintenance prédictive et à mesurer l’usage et le taux de remplacement des équipements.
Plus compliqué à concrétiser, le Cigref encourage les entreprises à développer l’exemplarité des managers (même s’il n’est jamais simple pour un DSI d’expliquer à son PDG que changer son iPhone presque neuf pour le tout dernier modèle n’est qu’un caprice). De façon beaucoup plus utopique encore, le Cigref aimerait voir les entreprises organiser des ateliers de réparation « Do It Yourself » et mettre en place des initiatives de « nudges » pour inciter les usagers à conserver leurs équipements.
En pratique, la plupart des recommandations énoncées dans le cadre de ce document portent sur l’impact environnemental d’une obsolescence mal contrôlée synonyme de perte prématurée de valeur d’usage et donc de perte économique. « La prise de conscience actuelle de l’impact environnemental du numérique force à questionner cette perte de valeur, dont une partie provient du renouvellement (trop) fréquent des matériels et des logiciels », constate Olivia Bertout en introduction. Des recettes bien connues des entreprises qui ont développé une sensibilité au développement durable.
Des entreprises largement sensibilisées
À défaut d’être philanthropique, cette sensibilité aux enjeux environnementaux est devenue une obligation réglementaire avec les lois NRE (2001) et Grenelle 2 (2018). Elles ont notamment imposé le « reporting extra financier » aussi connu sous le nom de RSE (Responsabilité sociétale des entreprises). Au-delà des aspects purement réglementaires, l’engagement RSE influe aussi sur la marque employeur et l’image de marque auprès des clients.
Dès lors, bon nombre d’entreprises ont déjà inclus des critères liés à l’empreinte environnementale du numérique dans leurs appels d’offres qui pèseraient pour 15 à 20% sur la décision d’achat. « Quand on répond à un appel d’offres, chaque pourcent compte. Car tous les participants sont généralement dans un mouchoir de poche. 20%, ça compte donc forcément beaucoup. D’autant qu’on constate une accélération depuis deux ans de l’intégration de la RSE dans les appels d’offres », souligne Véronique Di Benedetto Vice-Présidente France d’Econocom.
Les actions se multiplient partout
Du cloud plus propre que celui du voisin à la politique de recyclage pratiquée par un fabricant sans oublier processeurs et autres services économes en ressources, tout est pris en compte pour réduire son empreinte numérique et afficher un engagement environnemental exemplaire.
Parallèlement, beaucoup d’entreprises cherchent aussi à instaurer une nouvelle culture en interne, tel Econocom qui n’utilise plus que des ordinateurs de seconde main pour équiper ses collaborateurs. Lauréat du concours Challenge Sobriété Numérique 2021 Allianz, a mis en place une politique de formation de ses développeurs, les invitant à plus de sobriété dans la conception de leurs services numériques. Fournisseur d’énergie renouvelable, Teréga a, pour sa part, migré dans le cloud pour réduire son empreinte, adoptant à cette occasion la technologie serverless qui présente l’avantage de consommer des ressources uniquement quand le service est utilisé.
On pourrait continuer cette liste encore longtemps d’entreprises ayant engagé des actions en faveur de la réduction de leur empreinte environnementale du numérique. De fait, la plupart n’ont pas attendu les recommandations du Cigref pour mettre en place des stratégies, les recettes étant aujourd’hui connues.
Mais des équations encore difficiles à résoudre
Les entreprises sont d’autant plus volontaires que, ainsi que le rappelle Patrice Duboé, CTIO de Capgemini « être Green IT, c’est avant tout être économe et dans une certaine mesure, on revient simplement aux fondamentaux ». Dit autrement, la réduction de son empreinte numérique va généralement de pair avec des économies financières, ce qui explique aussi l’engouement des entreprises pour ces nouvelles pratiques green IT.
Reste que la plupart sont confrontées à des dilemmes complexes et à l’absence de standards et de normes permettant de mesurer concrètement et facilement l’impact d’une action. Typiquement, Teréga a dématérialisé ses processus pour réduire la consommation d’encre et de papier mais Laetitia Mahenc, RSE de Teréga, en charge du programme BE (Bilan Environnement) Positif de la société avoue ne pas savoir si « les économiques en papier et encre contrebalancent l’impact environnemental du stockage numérique et des traitements liés à la signature électronique. Nous l’espérons mais nous n’avons pas encore fait le calcul ».
Un certain manque d’ambition ?
De fait, il existe bien des calculateurs gratuits sur Internet pour mesurer l’empreinte carbone d’un service. Mais l’empreinte carbone n’est qu’une des composantes de l’empreinte environnementale du numérique. Des méthodes, telle l’ACV (analyse de cycle de vie), proposent une approche plus globale mais les données de référence manquent pour faire des mesures. Combien coute un flux de 10Mo en eau ? en ressources abiotiques ? en consommation d’énergie primaire ? Ainsi que le souligne Charlotte Kistler, chef de projet Web et Fabien Brunet, Tech lead dans l’équipe digitalisation des sinistres d’Allianz France « Mesurer l’impact de ses actions reste aujourd’hui encore le plus gros défi à relever par les entreprises. C’est pourquoi nous réfléchissons à l’idée d’incuber une start-up pour nous aider dans notre démarche ».
Dès lors, on pourra regretter de voir ici le Cigref trop se focaliser sur des recommandations parfois déjà largement appliquées par les entreprises et pas assez sur l’outillage pour les accompagner dans leur démarche.