Entretien avec Stéphane Marcel de InVivo Group Digital Factory

Gouvernance

Stéphane Marcel (InVivo) : « Le digital est un formidable levier pour relever les défis actuels de l’agriculture »

Par François Jeanne, publié le 21 février 2025

Ingénieur agronome de formation, entrepreneur dans les nouvelles technologies au service de l’agriculture, Stéphane Marcel est aujourd’hui CDO (chief digital officer) d’InVivo, dont il a en charge la transformation digitale depuis 2018. Avec un credo assumé : exécuter cette transformation digitale à travers une approche très pragmatique et itérative grâce au développement de produits et solutions numériques répondant aux enjeux des métiers du groupe et de la transition agroécologique. InVivo Digital Factory en est aujourd’hui le fer de lance.


Entretien avec Stéphane Marcel, Chief digital officer du Groupe InVivo


Présent dans 39 pays avec 15 400 collaborateurs, le Groupe InVivo est l’un des premiers groupes coopératifs agricoles et agroalimentaires européens, avec un chiffre d’affaires de 12,2 Md€, dont 49 % réalisés à l’international (CA au 30/06/2023). Il représente 165 coopératives sociétaires regroupant plus de la moitié des agriculteurs en France. Le groupe est structuré autour de quatre grands pôles d’activité. D’abord le pôle agriculture qui intègre toutes les activités de l’amont agricole (production de semences, fertilisation, protection des cultures, solutions numériques…) jusqu’à l’aval. L’acquisition de Soufflet Agriculture il y a deux ans, a permis de renforcer son positionnement comme moteur de la transition agricole et alimentaire.

Ensuite le négoce de grain pour la commercialisation des céréales françaises à travers le monde. Puis l’activité agroalimentaire qui comprend le malt, la filière blé et l’activité vin. L’acquisition de United Malt Group par son entité Soufflet Malt en a fait le numéro un mondial du secteur et doit lui permettre d’adresser la clientèle en croissance des brasseurs artisanaux et industriels, ainsi que les distillateurs du monde entier. Concernant la filière blé, sa filiale Episens intègre toute la chaîne de valeur, de la meunerie à la production de pain, viennoiseries et pâtisseries. Et côté vins, sa branche Cordier ambitionne de devenir un acteur incontournable des vins et spiritueux au niveau international après sa fusion avec le groupe coopératif viticole Vinadeis en 2021.

Enfin, les activités retail, logées dans la filiale Teract, englobent les enseignes Jardiland et Gamm Vert, qui ont initié leur virage digital vers l’omnicanal dès 2020, avec la création des deux sites e-commerce B to C, jardiland.com et gammvert.fr

Stéphane Marcel a rejoint InVivo en 2016 lors du rachat de son entreprise Maferme Neotic, spécialisée dans l’édition de solutions logicielles pour les professionnels du monde agricole. Rebaptisée Smag (Smart Agriculture) à la suite de nombreuses opérations de fusion et d’acquisition, l’entreprise est devenue leader sur le marché du farm management software (FMS). Une première étape dans un parcours entrepreneurial au cours duquel il a toujours proposé des solutions permettant aux agriculteurs d’utiliser des technologies de pointe comme les SIG ou encore des outils de pilotage de l’exploitation agricole. Après le rachat de Smag par InVivo, il a ensuite occupé plusieurs fonctions au sein du groupe avant de devenir en 2018 CDO, à la demande de Thierry Blandinières, le CEO d’InVivo, et de créer InVivo Digital Factory, bras armé de la transformation digitale du groupe.

Comment votre ADN coopératif influence-t-il votre approche des systèmes d’information et du digital ?

Il nous incite à adopter une approche pragmatique et collaborative. Les décisions d’investissement dans le digital sont prises en fonction de la valeur et des résultats qu’elles génèrent, tant d’un point de vue économique, environnemental ou sociétal. Quant à la co-construction, elle est au coeur de notre démarche. Un exemple concret : la plateforme e-procurement aladin.farm, unique en son genre dans l’univers coopératif agricole, est née d’un travail en commun avec neuf coopératives pilotes, membres du Conseil d’administration d’InVivo.

Vous dirigez la digital factory du groupe. Comment cohabite-t-elle avec sa DSI ?

Nous avons des rôles complémentaires. La DSI est essentielle pour assurer le fonctionnement quotidien de l’entreprise en gérant les systèmes critiques comme l’ERP et la BI. Elle garantit aussi la sécurité et la fiabilité des données.

Le rôle de notre digital factory est différent. Nous sommes plus proches d’un modèle d’éditeur, une software factory en quelque sorte, que de celui d’un prestataire de services numériques. InVivo Digital Factory est pilotée et managée « As a product ». Nous développons des produits digitaux pour transformer durablement toutes les business units du groupe. Notre méthodologie est donc différente : agilité, cycles de développement courts, stacks techniques modernes, nous permettent de développer à un rythme élevé. Nos expertises sont bien spécifiques et couvrent les domaines du product management, du e-commerce, du design, de l’IA et de la data.

Nous nous complétons en fait. Nous faisons certes en sorte de développer nos assets technologiques de façon agnostique, avec un niveau d’abstraction fort par rapport au système d’information, mais nous avons un sujet commun pour nos deux entités : la data, en quantité et qualité afin d’assurer la montée en puissance de nos différents systèmes.

Les décisions d’investissement dans le digital sont prises en fonction de la valeur et des résultats qu’elles génèrent

Vous auriez quelques exemples à nous donner ?

Nous travaillons sur trois axes principaux : l’excellence opérationnelle, qui nous a conduit par exemple à développer douze algorithmes de machine learning dans notre solution IA, pour optimiser les recettes de fabrication du malt dans nos usines et aider les malteurs à obtenir un produit de très bonne qualité avec de bons rendements de production.

Autre axe sur lequel nous surfons également : la création de nouveaux modèles économiques pour les métiers d’InVivo et la sécurisation de revenus récurrents au travers de nos solutions. J’en reviens à la plateforme aladin.farm, premier produit qui a été développé par notre factory en 2020 et qui pèse aujourd’hui plus de 500 M€. Elle a permis aux coopératives de déployer une stratégie omnicanale pour commercialiser leurs produits et services auprès de leurs agriculteurs. Elle leur facilite la mise en relation avec les agro-fournisseurs, propose un parcours d’achat complet et ouvre même de nouvelles sources de revenus grâce à la valorisation des données. aladin.farm est un exemple concret de la manière dont le digital peut transformer des modèles économiques traditionnels en serviciels et apporter de la valeur ajoutée à l’ensemble de la chaîne d’approvisionnement agricole.

Enfin, dernier axe, l’expérience utilisateur. Les plateformes e-commerce B to C Jardiland et Gamm Vert ont permis de réinventer l’expérience d’achat des consommateurs et agissent comme une extension de la zone de chalandise des magasins. On peut citer aussi Farmi, notre autre plateforme B to B qui propose à l’agriculteur client de Soufflet Agriculture, en France comme à l’international, une expérience digitale 360°, de la production, et du pilotage de leurs achats jusqu’à la vente de leurs récoltes.

Nous avons la chance de proposer un environnement qui allie le dynamisme d’une start-up à la solidité d’un grand groupe

Quelle taille fait votre équipe et comment est-elle organisée ?

La digital factory compte 120 personnes, avec un équilibre variable entre 60 % de collaborateurs internes et 40 % de consultants externes. Cela nous donne la flexibilité nécessaire pour ajuster nos ressources en fonction des projets. J’ai dans mes équipes beaucoup de digital natives qui raisonnent par les objectifs et les enjeux business. Cela permet une nouvelle approche dans les échanges avec les métiers. De ce fait, le recrutement est un enjeu crucial. Nous avons la chance de proposer un environnement qui allie le dynamisme d’une start-up à la solidité d’un grand groupe. De plus, nous travaillons sur des projets porteurs de sens, comme la transition écologique et l’alimentation durable, sujets de prédilection pour les nouvelles générations. Nous offrons également des conditions de travail flexibles, avec 60 % de télétravail, ce qui nous permet d’attirer des talents localisés un peu partout en France.

Nous sommes organisés en équipes produits, chacune composée d’un product manager, d’un product owner, d’un tech lead et de trois à six développeurs. Un head of product et un head of tech supervisent l’ensemble de nos projets. Nos équipes travaillent sur des roadmaps alignées, des objectifs clés et des résultats (OKR), toujours orientés business.

Les trois principaux produits sont notre plateforme B to B e-procurement, qui supporte aujourd’hui aladin.farm, Farmi, Episens et prochainement UMG pour la commercialisation du malt auprès des brasseurs ; notre plateforme B to C pour nos enseignes e-commerce Jardiland et Gamm Vert ; et enfin, une plateforme IA Industrie 4.0 pour optimiser nos processus industriels, notamment dans la transformation de l’orge en malt.

Avec ces trois lignes produits, je sers mes trois axes de transformation digitale : efficience industrielle, émergence de nouveaux modèles économiques, nouvelle expérience client omnicanal.

La vitesse d’adoption du digital reste lente en France, comparée à d’autres secteurs d’activité ou à d’autres pays. Cela s’explique par la nature même de l’agriculture où les cycles sont longs et les marges de manœuvre limitées.

Comment ces avancées sur le digital peuventelles contribuer à la transition agroécologique ?

La raison d’être d’InVivo est de favoriser la transition agricole et alimentaire vers des agrosystèmes résilients. En parallèle d’InVivo Digital Factory, nous avons aussi d’autres filiales dans le groupe comme beApi, spécialisée dans l’agriculture de précision. Mais nous intégrons également une démarche plus générale d’open innovation au travers d’autres entités comme InVivo Quest, Fermes Leader qui nous permet de sourcer, tester, expérimenter voire même industrialiser d’autres innovations technologiques externes au groupe. Bioline by InVivo travaille également sur une approche « 3e voie de l’agriculture », dont l’objectif est de construire une agriculture de résultat, mesurée, sans opposition des modes de culture biologique ou conventionnelle, pour atteindre des objectifs comme le zéro résidu de pesticides. Son événement au champ Openfield en est l’illustration concrète. Ce vaste champ expérimental qui mêle agronomie, agrofournitures et agroéquipements permet de tester, mesurer et démontrer la faisabilité d’une transition agroécologique tout en préservant la rentabilité des exploitations françaises.

Avec votre recul d’entrepreneur dans l’agtech, comment y jugez-vous le niveau d’adoption du digital aujourd’hui ?

L’agriculture française est à un tournant. Historiquement, le digital était souvent utilisé comme un appui pour gérer des aspects réglementaires. Aujourd’hui, les agriculteurs le perçoivent mieux comme un outil pour piloter leurs activités, améliorer leurs pratiques, anticiper les risques climatiques ou encore répondre aux attentes des consommateurs en matière de transparence.

La vitesse d’adoption reste cependant lente, comparée à d’autres secteurs d’activité ou à d’autres pays. Cela s’explique par la nature même de l’agriculture où les cycles sont longs et les marges de manoeuvre limitées. Il est utile sans doute, pour conforter le mouvement, d’accompagner davantage les agriculteurs dans cette transition, en leur proposant des aides financières ou des formations spécifiques et poussées pour digitaliser leur ferme.

Nous travaillons sur des assistants IA virtuels qui pourront accompagner les exploitants dans leurs prises de décision et simplifier leurs démarches administratives.

Comment voyez-vous l’avenir avec l’émergence de l’intelligence artificielle générative ?

Nous sommes au début d’une nouvelle révolution. L’IA générative va redistribuer les cartes dans de nombreux domaines. Chez InVivo, notre cellule innovation a identifié plus de cinquante cas d’usage. Dans le retail par exemple, nous l’utilisons pour enrichir et manager nos référentiels produits. Les résultats sont très encourageants et multiplient de façon significative notre productivité et la fiabilité de nos informations produits.

Côté agriculture, nous travaillons sur des assistants virtuels qui pourront accompagner les exploitants dans leurs prises de décision et simplifier les démarches administratives. Nous développons des IA capables de rendre plus facilement accessibles nos résultats d’essais variétaux, en répondant à des questions précises et en fournissant des recommandations personnalisées pour les prochaines campagnes culturales.

La démarche d’innovation digitale est donc vraiment présente dans le groupe. Les outils que nous développons contribuent à cette transition agroécologique, au même titre que l’innovation dans l’univers des semences ou le machinisme.

C’est un véritable credo, même s’il reste mesuré

Le digital n’est certes pas la solution unique, mais c’est un formidable levier pour relever les défis actuels de l’agriculture, qu’ils soient économiques, environnementaux ou sociétaux. Il ne s’agit pas d’imposer un modèle à l’agriculteur : il n’y a pas de dogme derrière nos outils pour lui dire qu’il produira davantage s’il utilise nos plateformes. L’idée est plutôt de dire : « Vous allez produire mieux. Et surtout, vous trouverez auprès de nous les outils qui supportent vos choix de transition. »

Propos recueillis par FRANÇOIS JEANNE / Photos MAŸLIS DEVAUX

Parcours de
Stéphane Marcel

Depuis 2018 :
Chief digital officer (CDO) d’InVivo et CEO d’InVivo Digital Factory

2019 à 2024 :
Directeur général de aladin.farm

2016 – 2018 :
Directeur général de la division digitale d’InVivo Agriculture (Smag, BeAPI, Studio Agrodigital, Fermes Leader, etc.)

2015 – 2022 :
CEO puis président de l’éditeur Smag

2012 – 2015 :
Directeur général de Maferme-Neotic

2001 – 2012 :
Création de Neotic (logiciels de gestion agricole)
— * —
FORMATION :
Ingénieur agronome, spécialisation Agrotic, Institut Agro Montpellier (2000)


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