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DSI masqués : ces revendeurs et distributeurs qui pilotent l’informatique des PME
Par Thierry Derouet, publié le 04 février 2025
La révolution du cloud et la multiplication des problématiques de cybersécurité ont propulsé grossistes et revendeurs au rang de véritables partenaires « DSI masqué » des TPE-PME. Dans l’ombre des géants du numérique, ces acteurs ont su négocier leur virage : loin de l’image caricaturale du « pousseur de boîtes », ils orchestrent aujourd’hui un pan non négligeable des dépenses IT.
C’est à la veille du salon IT Partners que nous avons rencontré Laurent Mitais, président du Syndicat des Grossistes Informatiques (SGI), pour en savoir davantage sur ces distributeurs et revendeurs qui endossent, pour de nombreuses petites structures, un rôle équivalent à celui de responsables informatiques. Dans ce paysage, le qualificatif de « grossiste » recouvre désormais des plateformes capables de proposer conseil, gestion des licences, expertise en cybersécurité et reverse logistique. Selon Laurent Mitais, ces entreprises ont évolué d’un modèle purement transactionnel (acheter, stocker et distribuer) vers des missions de plus en plus techniques, allant de la formation au conseil en architecture IT.
La bascule d’un modèle économique
Cette mue s’explique en partie par le passage du mode « boîte » à la fourniture de services à l’usage. Selon le président du SGI, tout a basculé quand Microsoft et d’autres acteurs du cloud (AWS, Google Cloud, Azure) ont introduit l’abonnement mensuel et le paiement à l’usage. Il ne s’agit plus de livrer un poste de travail et de s’arrêter là, mais d’établir une relation au long cours intégrant maintenance et formation. Tout le modèle économique a dû être repensé, y compris la rémunération des commerciaux et les investissements massifs dans des plateformes cloud avancées.
Face aux grandes entreprises pour lesquelles la DSI est une fonction stratégique déjà bien installée, la véritable révolution touche les millions de PME dépourvues de services informatiques internes. Toutes doivent pourtant composer avec des injonctions fortes : cybersécurité, facturation électronique, conformité (NIS2, CSRD) et quête de productivité. Selon Laurent Mitais, un boulanger, un petit industriel ou une collectivité locale ne peut mobiliser un DSI à temps complet et doit donc s’en remettre à des partenaires. Dans cette logique, le grossiste devient le coach technique du revendeur chargé d’accompagner la PME.
Nos DSI masqués orchestrent un arsenal de compétences
Ce dispositif implique la mise à disposition de ressources expertes, la multiplication de programmes de formation et de certifications, ainsi qu’une offre de conseil pouvant aller jusqu’au client final. Résultat : les distributeurs pallient l’absence de DSI dans des milliers de structures, car ils fournissent aux intégrateurs, revendeurs et fournisseurs de services managés l’arsenal indispensable pour répondre aux demandes de terrain.
La cybersécurité, souvent première source d’inquiétude pour les petites entreprises, illustre parfaitement la nouvelle donne. De l’antivirus géré à l’EDR, en passant par l’audit réseau ou la supervision à distance, tout requiert une intégration technique cohérente. Les grossistes, rompus à l’exercice, identifient d’éventuelles incompatibilités et veillent à ce que chaque brique logicielle ou matérielle s’intègre dans un dispositif global, loin de l’ancienne logique qui consistait à proposer une simple solution rouge ou bleue.
La reverse logistique, un élément de poids
On retrouve la même dynamique lors de salons et de roadshows. IT Partners est l’un de ces rendez-vous où le « pousseur de boîtes » a cédé la place à un conseiller technologique capable d’orchestrer une facturation à l’abonnement pour Office 365, tout en déployant un firewall de dernière génération. Dans le même temps, l’urgence environnementale impose de nouvelles pratiques. Il est désormais question de collecte et de reconditionnement de matériels en fin de vie, d’optimisation énergétique des data centers et de mise en place de filières de recyclage des matériaux rares. Selon le président du SGI, il y a vingt ans, nul ne parlait de reverse logistique ; aujourd’hui, récupérer des composants et prolonger leur durée de vie constitue une véritable opportunité.
Une crise économique évitable ?
Après la frénésie d’achats liée au télétravail et aux outils collaboratifs pendant la crise sanitaire, le marché IT a marqué une pause, freinée par l’inflation et une certaine retenue budgétaire de la part des entreprises. On observe un atterrissage qualifié de « flat » en 2024, qui déçoit un secteur habitué à la croissance mais reste plus enviable que dans nombre d’autres industries. Lauréats inattendus de ce contexte, les grands acteurs de la distribution informatique anticipent déjà le rebond : il y aura bientôt un renouvellement des parcs acquis en 2020-2021, la cybersécurité n’a jamais été aussi cruciale et l’IA commence à exiger de nouveaux investissements en stockage et en puissance de calcul.
Le modèle historique du grossiste, autrefois simple transporteur d’équipements, s’avère métamorphosé. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : avec 5,5 milliards d’euros de chiffre d’affaires cumulés pour les membres du SGI sur un marché total pouvant dépasser 10 milliards, la distribution informatique exerce un impact majeur, souvent méconnu. Nombre de revendeurs, de boutiques de services et d’ESN comptent sur ces plateformes pour trouver experts en architecture et en cybersécurité, gérer les abonnements SaaS ou mettre en place des solutions hybrides. Les TPE-PME, privées de DSI dédiée, profitent ainsi de ressources mutualisées sans même soupçonner l’identité de l’opérateur en coulisses.
Des DSI masqués en quête de retour de la croissance
Aux yeux de Laurent Mitais, le grossiste joue un rôle crucial de « DSI masqué », assurant dans l’ombre la bonne marche d’une informatique de plus en plus complexe et encadrée par une réglementation dense. Il considère que dans un pays où le tissu industriel repose en grande partie sur les PME, la distribution mutualise investissements humains, logistiques et technologiques au profit de milliers de revendeurs, et demeure incontournable pour diffuser l’IT jusque dans les plus petites entreprises. L’avenir de ce modèle dépendra en partie des orientations politiques et économiques, mais l’appétit pour la transition numérique et la productivité promet d’alimenter la croissance. Dans un tel contexte, grossistes et revendeurs resteront des partenaires indispensables, voire un DSI externalisé, pour la majorité des PME françaises.
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