Opinions

Les directeurs des données gagnent du terrain

Par Stéphane Demazure, publié le 01 mai 2014

Debra Logan
Vice-présidente Gartner Research

Le nombre de grandes entreprises comptant des directeurs des données (CDO, pour Chief data officers) a doublé entre 2012 et 2013. Mais même si 17 % des PDG affirment qu’ils auront mis en place ce rôle d’ici la fin de l’année, les directeurs des données ne sont pas représentés de manière égale dans toutes les industries et la description de leur poste n’est pas non plus uniforme. Se pose aussi la question du positionnement du DSI face à ce rôle.

 

Le phénomène a d’abord gagné, dans l’ordre, les secteurs de la banque, des administrations et de l’assurance. Suivent les services d’information et de la haute technologie, ainsi qu’une nouvelle vague dans les secteurs de l’énergie et des services publics, des produits pharmaceutiques et de la construction automobile. Bon nombre de ces industries ont des impératifs réglementaires stricts et des disciplines matures en matière de gestion des risques. En outre, elles comprennent l’importance des données dans la gestion de l’entreprise et la génération de rapports à l’attention des organismes de réglementation.

Il existe d’autres industries, telles que la vente au détail, où l’accent est mis sur l’utilisation des données en tant que moteur de croissance ou source de nouveaux revenus. Dans ces secteurs, nous voyons des responsables des données de niveau supérieur davantage axés sur les ventes et le marketing, l’innovation et la recherche et le développement. Les descriptions de postes, les rôles et responsabilités, les compétences et les connaissances, ainsi que les relations hiérarchiques sont très différents.

 

Un rôle nouveau et en pleine évolution

Derrière cette tendance à l’émergence du rôle de directeur des données, il y a notamment une reconnaissance croissante de la valeur des données en tant que ressource, ainsi que de leur propension à devenir un handicap. Gartner constate un manque troublant de leadership lorsqu’il s’agit de piloter l’innovation dans les processus, les services et les produits afin de tirer profit du big data. Pour tirer leur épingle du jeu, les entreprises doivent s’attaquer à cette crise des compétences. En outre, avec toutes ces précieuses données dans l’entité informatique, la cyber-sécurité sera une préoccupation de tous les instants à l’intérieur comme à l’extérieur de l’entreprise.

Face à l’émergence de nouvelles responsabilités liées aux produits, les gouvernements, partout dans le monde, seront aussi plus envahissants dans leur quête de sécurité. D’ici 2020, au moins un fabricant de produits grand public sera tenu responsable par un gouvernement national de failles de sécurité causées par ses produits. Les entreprises devront réagir et utiliser le big data pour prédire d’où viendront les menaces futures.

Mais cet afflux de données peut aussi être perçu, au contraire, comme une riche source de connaissances pour leurs propres activités, voire une ressource à monétiser.

Confrontés à la nouveauté de leur rôle, de nombreux directeurs des données ont créé ou devront créer eux-mêmes la description de leur poste. Pour la plupart des individus, la gestion des ressources en données ou en informations est un concept abstrait. L’estimation de la valeur d’un artefact d’informations donné ou d’un ensemble d’artefacts relève davantage d’un art que d’une science. Le contexte réglementaire et juridique qui encadre ce qui peut et ne peut pas être fait avec les données se compose de multiples juridictions, lesquelles sont souvent en conflit. Bien souvent, il n’y a pas de réglementations ou de lois qui peuvent être appliquées. Et lorsqu’elles existent, elles sont très générales et nécessitent une bonne dose d’interprétation. Il reviendra au directeur des données d’arriver à comprendre tous ces facteurs et d’autres encore, conjointement avec les professionnels de la conformité et du risque dans l’entreprise. La création de politiques relatives à la gouvernance des informations, l’une des tâches principales du CDO, est complexe sur le plan organisationnel et sensible sur le plan politique. Elle nécessitera l’interaction avec les responsables hiérarchiques, les ressources humaines, les dirigeants et les individus qui accompliront les tâches de gouvernance concrètes.

Il est important de rappeler que les directeurs des données ne sont pas «détenteurs» des données. Ils peuvent être responsables des processus clés relatifs aux données et être «en charge» de certaines données, par exemple les données maîtresses. C’est similaire au rôle du directeur financier, qui ne détient pas les ressources financières de l’entreprise, mais qui est détenteur de certains processus financiers, comme la consolidation et la trésorerie, et coordonne l’utilisation des capitaux à travers l’entreprise.

 

Un partenaire du DSI

La situation est en outre compliquée par la vue qu’ont les dirigeants de la fonction informatique. Certains sont d’avis que les tâches demandées au directeur des données devraient (et auraient dû) être assumées par les DSI existants et leur équipe.

Gartner soutient depuis longtemps que si l’infrastructure, les applications, le sourcing (approvisionnement) auprès des fournisseurs et de nombreuses autres responsabilités sont l’affaire du DSI, la gestion et l’utilisation des données relèvent de la responsabilité conjointe de l’entreprise et de l’entité informatique. L’entreprise assume la responsabilité principale, dans la mesure où elle crée les données, comprend leur valeur dans le contexte de ses propres processus métiers et peut déterminer comment les gérer et les utiliser au mieux.

La plupart des DSI actuels n’ont pas d’antécédents leur conférant une expertise en gestion des données et encore moins d’expérience dans la création de stratégies en matière d’informations. En outre, les DSI n’ont pas de réel contrôle sur les ressources en données de l’entreprise. Ceci est d’ailleurs facile à prouver. De nombreux clients de Gartner (notamment des professionnels de l’informatique, des responsables informatiques et des DSI) s’adressent à nous en quête de conseils pour réduire le coût du stockage des données, transférer des données vers le cloud computing, retirer des applications héritées et de nombreux autres projets qui impliquent de transférer des données, d’y appliquer une politique, voire de les supprimer.

Entre autres recommandations, nous leur conseillons d’éliminer toutes les données dont ils savent qu’elles sont redondantes, obsolètes, insignifiantes ou inaccessibles, puis de migrer, enrichir ou appliquer une politique au reste. Pourtant, même armés de ces informations, les DSI ont besoin d’une autorisation extérieure pour pouvoir supprimer des données, retirer des systèmes ou transférer des données vers le cloud computing. Quelle autre preuve faut-il que l’entité informatique ne «possède» pas les données ?

L’autorité sur les données sera donc placée entre les mains du directeur des données, qui sera un pair du DSI, un partenaire qui lui permettra de se concentrer sur la tâche qui l’occupe déjà plus qu’à plein temps.

 

Que doit faire un DSI pour devenir CDO ?

Les DSI sont en revanche bien placés pour aider à façonner le rôle du directeur des données, à définir son profil, à élaborer la structure organisationnelle qui sera développée sous sa responsabilité.

Mais pour prétendre jouer eux-mêmes ce rôle de directeur des données, ils doivent d’abord chercher à mettre en avant et à enrichir leurs compétences et connaissances dans plusieurs domaines clés, notamment la traduction en termes opérationnels de la gouvernance des données, la définition des objectifs métiers des programmes de gestion des informations et l’amélioration de leurs compétences relationnelles et de communication.

Ils doivent aussi réaliser que la responsabilité de la gestion de l’infrastructure informatique doit être transmise à quelqu’un d’autre qui deviendra leur homologue. Dans l’idéal, ils doivent également chercher un nouveau rattachement hiérarchique, que ce soit directement sous le PDG, un directeur des opérations ou un groupe à orientation juridique, comme le risque ou la conformité, le bureau des finances ou même le conseiller juridique.

Si le DSI siège au conseil d’administration et se charge de diriger la stratégie en matière d’informations, le rôle de directeur des données peut exister au même niveau, même si la charge de travail liée à l’infrastructure et à la stratégie peut être trop lourde à porter pour une seule personne.

Les prétendants à ce rôle doivent apprendre autant de choses que possible sur l’évaluation des informations, l’info-économie et les autres méthodes d’attribution de valeur aux informations, afin de pouvoir donner des arguments réfléchis pour étayer leurs décisions. Ils doivent aussi recruter des architectes des informations et des scientifiques des données et des informations, car les types de compétences et d’aptitudes dont ils disposent sont relativement différents de ceux traditionnellement recherchés dans l’informatique.

Dans l'actualité

Verified by MonsterInsights