DOSSIERS

Les ravages insoupçonnés de la pollution informatique

Par La rédaction, publié le 16 avril 2013

Utiliser chaque jour un ordinateur pour travailler n’est pas sans risque… pour la planète. Tour d’horizon des technos auxquelles sont accros les entreprises et qui alourdissent leur bilan carbone.

Imaginez que les grands constructeurs ne puissent bientôt plus fabriquer de smartphones… Un scénario inquiétant, mais pas si absurde. “ Les téléphones mobiles que nous distribuons contiennent jusqu’à 50 matériaux différents ”, explique Philippe Tuzzolino, directeur environnement chez Orange.

Or, certains de ces composants sont très utilisés par les industriels. Leur pénurie à court terme est envisageable : c’est notamment vrai pour le cuivre, dont nous pourrions manquer dès 2020. “ De tous les secteurs, celui de l’informatique est de loin le plus gourmand en ressources par unité de poids, précise Françoise Berthoud, ingénieur de recherche en informatique au CNRS. Elle consomme des métaux, de l’énergie, de l’eau, des produits chimiques… ”

La conception d’un ordinateur ou d’un téléphone, très polluante, a des répercussions sur l’environnement. “ Un ordinateur émet de 20 à 50 fois plus de CO2 lors de sa fabrication qu’au cours de son utilisation ”, ajoute Tristan Labaume, fondateur du cabinet de conseil Greenvision.

Tant mieux si cela fait baisser les émissions de CO2, même si ce n’est pas le premier but recherché. Les sommes en jeu sont énormes, surtout dans le secteur tertiaire. Chez Axa, le système d’information représentait 45 % de la consommation électrique du groupe en 2008. “ Grâce aux actions menées en matière d’informatique verte, ce pourcentage est tombé à 26 % ”, explique Pascal Buffard, président d’Axa Group Solutions.

La bataille se joue au niveau des postes de travail, des imprimantes et, bien sûr, des salles informatiques remplies de serveurs. Voire au niveau des logiciels. Tous les salariés ont un rôle à jouer, de la DSI au service achat en passant par les services généraux.

Un tiers des PC n’entre jamais en mode veille

Vos collaborateurs sont­ils nombreux à éteindre leur ordinateur en quittant leur bureau le soir ? Dans certaines entreprises, c’est interdit, afin que les services informatiques puissent procéder aux mises à jour pendant la nuit. Et puis on peut toujours compter sur la mise en veille automatique… Sauf que celle-ci n’est pas toujours opérationnelle.

Environ 35 % des postes de travail resteraient ainsi allumés la nuit et le week-end, selon l’éditeur Avob. Or le prix annuel en électricité d’un appareil tournant 24 h/24 peut être assimilé à sa puissance. Une station de travail de 150 watts fonctionnant en continu coûte environ 150 euros d’électricité par an, dont 24 sont gaspillés en moyenne. “ De nombreuses applications, comme Webex, les Google Apps ou les macros Excel, empêchent les ordinateurs de passer en mode d’économie d’énergie ”, explique Pierre Duchesne, PDG d’Avob.

Les parades existent pourtant. Des solutions comme Verdiem, exploitée notamment par TF1, permettent d’éteindre et de rallumer les PC à distance selon des profils d’utilisateurs prédéfinis. Certains PC s’allument tôt le matin avant l’arrivée des salariés. D’autres entrent en veille rapidement entre midi et 14 heures en cas d’inactivité. “ Nous avons gagné 63 % de consommation d’énergie sur 4 000 PC. Ce qui correspond à environ 20 euros par an et par PC et à 110 tonnes équivalent CO2 ”, résume Thierry Michalak, directeur adjoint bureautique et mobilité de TF1.

Au niveau du groupe Bouygues, les mesures adoptées (achat d’ordinateurs écolabellisés Epeat, gestion de l’énergie des PC, utilisation de portables parce qu’ils consomment moins que les fixes…) ont permis de réduire ses émissions de carbone de 1 300 tonnes entre 2010 et 2011. L’impact carbone des PC dépend aussi de leur localisation sur la planète. “ L’usage d’un ordinateur en France engendre moins de CO2. Car l’électricité provient en grande partie du nucléaire. Tandis qu’en Afrique du Sud ou en Chine, les centrales à charbon et pétrole sont nombreuses ”, rappelle Thierry Michalak.

Certes, l’industrie informatique essaie de coller aux préoccupations écologiques de ses clients. Ces dernières années, les constructeurs d’équipements électroniques ont beaucoup travaillé sur leur consommation. “ Mais malgré les gains réalisés, l’impact global des technologies numériques est en augmentation, car leur exploitation se généralise massivement ”, pondère Simon Mingay.

Le problème, c’est que le matériel lui-même est responsable de la moitié seulement des conséquences pour l’environnement. “ Les autres coupables sont l’encre et le papier ”, explique Yannick Le Guern, Senior Manager pour l’agence de conseil en environnement durable BIO Intelligence Service. En France, 32 milliards de pages imprimées sont oubliées sur l’imprimante ou jetées avant lecture (source : Snessi).

Comment limiter ce gaspillage ? En ajustant correctement les paramètres d’impression par défaut, une entreprise peut diviser par trois ses émissions de gaz à effet de serre, selon une étude de l’Ademe (Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie) et BIO Intelligence Service. Le mieux ? Noir et blanc, recto verso et deux pages par feuille pour tout le monde.

Diminuer de 10 % l’impression des courriels d’une société de 100 personnes aboutit à un gain de 5 tonnes équivalent CO2 sur un an, soit l’équivalent de cinq allers-retours Paris-New York en avion. Mais attention ! Imprimer se révèle parfois moins mauvais que de lire sur son ordinateur. S’il vous faut plus de quatre minutes pour consulter un document d’une page à l’écran, une lecture papier aura un impact plus faible sur le réchauffement climatique.

Même les courriels réchauffent la planète

Oui, courriels et visioconférences vous font parfois économiser un déplacement en avion. Mais cela pollue-t-il moins ? Pas si sûr. “ Certes, les émissions de CO2 sont inférieures, mais l’impact sur l’épuisement des ressources naturelles est paradoxalement plus important ”, explique Yannick Le Guern. Impossible de généraliser. C’est pourquoi les entreprises doivent demander à leur prestataire, en se basant sur leur activité, à partir de combien de déplacements évités l’installation d’une solution de téléprésence devient écologiquement intéressante.

“ Cette technologie donne l’image d’une industrie propre, presque virtuelle, mais c’est loin d’être le cas ”, explique Françoise Berthoud. Le nuage rend disponibles les logiciels 24 h/24. Les logiciels ainsi hébergés consomment des ressources en permanence, qu’ils soient utilisés par quelqu’un ou non. “ Afin d’optimiser les ressources consommées par les salles informatiques, les applications exploitées à 50 % ne devraient pas fonctionner tout le temps, estime Simon Mingay. Des technologies existent, permettant de se servir uniquement d’une partie des serveurs si nécessaire. ”

Même au niveau des postes des utilisateurs, il est possible de moduler la puissance selon l’application à faire tourner. Chez Webhelp, opérateur de centre d’appels, un programme appelé Avob gère ainsi les 8 000 PC des téléconseillers. “ Il adapte la puissance des processeurs en fonction des tâches effectuées sur les postes ”, explique Stéphane Rebert, directeur pôle avant-vente et projets techniques du groupe.

Car une suite bureautique n’a pas les mêmes besoins en énergie qu’un logiciel de CAO, par exemple. Les éditeurs ont eux-mêmes des progrès à faire. Deux logiciels comparables consomment, en effet, plus ou moins d’électricité selon la manière dont ils ont été programmés. L’écoconception de logiciels n’intéresse encore pas grand monde. Dommage, car, à titre d’exemple, une application Web optimisée divise potentiellement par cinq l’énergie engloutie par le poste client.

Presque toutes les grandes entreprises françaises exploitent des salles informatiques de cette taille. Environ 60 % de leur consommation électrique proviennent non pas des serveurs, mais de la climatisation. Les sociétés cherchent donc en premier lieu à jouer sur ce facteur. “ Chez l’un de nos clients du secteur de l’énergie, nous avons réussi à réduire de 20 % la consommation des datacenters en menant des modifications et des travaux mineurs, explique Tristan Labaume. Le montant des travaux a été amorti en un an. ”

Chez Orange, les salles étaient auparavant intégralement refroidies par le sol. Mais des systèmes ont été mis en place afin de réfrigérer les seuls équipements. Du coup, la température dans les centres de données est susceptible de monter jusqu’à 25°, ce qui réduit d’autant le recours à la climatisation.

“ On sait peu que la plupart des serveurs fonctionnent très bien à 30°, ajoute Tristan Labaume. Mais, par sécurité, les constructeurs indiquent des plages contractuelles de fonctionnement basses ”, ce qui limite les marges de manœuvre des clients. Et puis, à côté des salles informatiques existent quelquefois des salles réseau. Ces dernières consomment moins, mais exigent, elles aussi, le recours à la climatisation.

Là encore, des astuces existent. “ Nous nous servons des différences de température entre la nuit et le jour afin de refroidir les équipements. L’air chaud est ventilé après le coucher du soleil. Il n’y a alors plus besoin d’équipements traditionnels ”, se félicite Philippe Tuzzolino, d’Orange. Les mesures de bon sens de ce genre sont encore rares. Elles devront se multiplier si nous avons l’intention d’utiliser le high-tech encore longtemps.

Crédit photos : Bert Van Dijk, Tonx, Vinguard, Mammaoca2008 (Flickr)

200 % : la hausse depuis 30 ans de la consommation des métaux nécessaires aux industries technologiques.
25 % : l’augmentation de la production mondiale de papier à imprimer de 1990 à 2010.
Plus de 50 % des déchets électroniques finissent dans des décharges asiatiques non réglementées.
4 minutes : s’il faut plus de temps pour lire un document à l’écran, il est plus écologique de l’imprimer.

“ Métaux, énergie, eau, produits chimiques… A poids égal, les produits issus de l’industrie informatique sont les plus gourmands en ressources. ”
Françoise Berthoud, ingénieur de recherche en informatique au CNRS

Une société indienne détrône HP sur le podium des entreprises écolos

Une société inconnue déclarée entreprise high-tech la moins polluante par Greenpeace ? C’est ce qui s’est passé en nombre dernier. Wipro, une SSII indienne, est arrivée loin devant HP, Nokia, Acer, Dell et Apple. De nombreux critères entrent en ligne de compte dans le classement. Les démarches écoresponsables des entreprises sont notées en fonction de : l’élimination de substances chimiques toxiques ; l’utilisation de matériaux recyclés ; la réduction de la consommation d’énergie ; l’allongement de la durée de vie des équipements, etc. Société de services et non fabricant de matériel, Wipro partait avec un net avantage sur une partie des critères.

Conservez le plus longtemps possible vos équipements informatiques

Vos salariés veulent travailler sur des ordinateurs neufs et plus puissants ? Mieux vaut pourtant garder ceux qu’ils utilisent le plus longtemps possible. Plus un ordinateur sert dans le temps, moins son impact écologique est important. Pour augmenter sa durée de vie, les entreprises ont intérêt à négocier une extension de garantie. Certains constructeurs comme HP ou Dell proposent d’eux-mêmes de la passer de trois à cinq ans. Et quand le remplacement des machines devient inévitable, les sociétés doivent privilégier les équipements “ green ”. Certains services achats prennent ainsi déjà en compte des critères de développement durable, comme les écolabels des ordinateurs comparables aux labels bio, utilisés dans l’alimentation. A l’autre bout de la chaîne, il faut aussi organiser la collecte et le recyclage des équipements. “ Nous utilisons les services Veolia Propreté pour les déchets DEEE (déchets d’équipements électriques et électroniques – NDLR) ”, explique Didier Pawlak, DSI de Quintess. Pour 350 euros par tonne de matériel, un camion reprend au sein de l’entreprise les déchets électroniques et informatiques, qui sont démontés selon les normes en vigueur. Les matériaux rares sont alors récupérés. A condition que l’équipement en question soit démontable et que ses composants ne soient pas soudés. Mais le recyclage n’est pas la solution miracle. D’abord, les pertes sont inévitables. Une partie des métaux n’est pas récupérable à 100 %. Ensuite, le recyclage, tout comme la fabrication d’un équipement électronique, est source de pollution. Les batteries d’ordinateurs sont ainsi responsables de pollution au plomb, selon les auteurs de l’ouvrage Impacts écologiques des technologies de l’information et de la communication, du groupe Ecoinfo du CNRS, publié aux éditions EDP Sciences.

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