

Newtech
Microsoft Majorana 1 : révolution quantique ou simple coup marketing ?
Par Laurent Delattre, publié le 20 février 2025
Microsoft revient à la charge avec les fermions de Majorana et promet un bond en avant pour l’informatique quantique. Entre résultats expérimentaux intrigants et marketing bien rodé, son nouveau processeur “Majorana 1” soulève autant d’espoirs que de scepticisme.
Voilà 17 ans que Microsoft mise sur les fermions de Majorana, ses chercheurs étant convaincus depuis bientôt deux décennies que ces particules indétectées sont les meilleurs candidats pour la création de qubits destinés à des ordinateurs quantiques fiables.
Les fermions de Majorana sont des particules théorisées en 1937 par le physicien italien Ettore Majorana. Leur particularité réside dans le fait qu’elles sont leurs propres antiparticules. Cette propriété unique les distingue des fermions de Dirac, comme l’électron, qui ont des antiparticules distinctes.
Maintes fois, les chercheurs ont cru en détecter des traces sans jamais réellement mettre la main dessus. Et bien des expériences prétendant les avoir mis à jour ont été ensuite contredites. Il en est découlé un fort scepticisme, comme en témoigne un article Nature de 2021. Au point que Microsoft était un peu devenue la risée de l’écosystème quantique, le Don Quichotte du quantique poursuivant un mirage alors que, pendant ce temps, bien des labos produisaient des centaines de qubits tangibles et exploitables bien qu’à la fiabilité très fragile.
Alors, autant dire que l’annonce de Microsoft cette semaine d’un processeur « Majorana 1 » soulève bien des interrogations et des débats. Une fois encore, c’est devenu systématique dans l’écosystème quantique, le marketing américain s’est emparé d’une avancée scientifique pour en faire une surenchère. Et entre les déclarations du marketing, la réalité du papier scientifique publié dans Nature et les non-dits des équipes de recherche (pour préserver le suspens et la propriété intellectuelle), bien malin celui qui a des certitudes.
Enfin, la preuve scientifique ?
Ici l’avancé scientifique réside dans la publication le 19 février dans Nature d’un article très indigeste sur la mesure par interférométrie de la parité des fermions dans des dispositifs hybrides InAs-Al (nanofils d’arséniure d’indium-aluminium). Le papier montre comment réaliser des opérations de mesure de la parité des fermions et donc, dès lors, ouvre la voie à la création d’un qubit à base fermions de Majorana, ou pour être plus précis, à base de MZM (Majorana Zero Modes).
Cet article a de quoi passionner la recherche scientifique et déclencher toutes sortes d’expériences concurrentes pour vérifier la découverte.
Mais il soulève déjà bien des critiques. D’abord, sur le fond, l’article ne prouve toujours pas l’existence des qubits topologiques. Il décrit une série d’expériences sur un dispositif supraconducteur miniature (un nanofil d’arséniure d’indium) conduisant à la création de deux états particuliers appelés « quasi-particules de Majorana » à chaque extrémité du nanofil. Dans un supraconducteur, les électrons vont normalement par paires. Ici, les chercheurs ont ajouté un électron supplémentaire non apparié, créant un état excité. Cet électron se trouve dans un état “délocalisé”, c’est-à-dire qu’il est partagé entre les deux quasi-particules de Majorana. Les mesures suggèrent que le nanofil contient bien cet électron supplémentaire. Cependant, les auteurs précisent que ces résultats ne prouvent pas avec certitude la présence des deux quasi-particules de Majorana. Ils ne font que la suggérer ! « Au fur et à mesure que nous effectuons différents types de mesures, il deviendra plus difficile d’expliquer nos résultats avec des modèles non topologiques,” insiste néanmoins Chetan Nayak, l’un des chercheurs de Microsoft. « Il n’y aura peut-être pas un moment précis où tout le monde sera convaincu. Mais les explications non topologiques nécessiteront de plus en plus d’ajustements fins. »
Cependant, si ce dispositif fonctionne comme les chercheurs le pensent, il devient de facto la fondation d’un qubit topologique à base de MZMs. « Concrètement, nous avons construit un qubit et démontré qu’on peut non seulement mesurer la parité dans deux fils parallèles, mais aussi effectuer une mesure qui fait le pont entre ces deux fils, » déchiffre Chetan Nayak.
Et déjà un processeur aux grandes ambitions : Majorana 1
Reste qu’entre cette expérience et la création d’un véritable processeur quantique, il y a un gouffre. Et ce que le marketing Microsoft essaye aujourd’hui de nous faire croire, c’est que Microsoft a franchi ce gouffre entre la réalisation des expériences et la publication du papier dans Nature ! On comprend le scepticisme de certains !
L’équipe quantique de Microsoft a également publié un deuxième papier sur xArchiv qui définit une « roadmap » vers l’informatique quantique sans erreur à l’aide de maillage de qubits topologiques. Cette roadmap trace un chemin partant du qubit topologique de l’expérience évoquée ci-dessus, puis un dispositif à deux qubits avec mesures et fonction d’intrication, puis un dispositif à 8 qubits supportant les portes quantiques multi-qubit (portes de Clifford) et une détection native des erreurs. Enfin, la dernière étape de cette roadmap est la création d’une architecture Tetron de multiples qubits topologiques physiques formant deux qubits logiques à correction d’erreur.
Et Microsoft de présenter un magnifique processeur « Majorana 1 » qui doit servir de fondation à un prototype de machine quantique à base de qubits topologiques. De ce que l’on croit deviner entre les lignes, ce processeur Majorana 1 concrétiserait déjà la phase 3 de la roadmap Microsoft, à savoir la création d’un dispositif à 8 qubits topologiques.
Après tout, pourquoi pas. Mais Microsoft nous a déjà fait le coup plus d’une fois de nous présenter des « dispositifs » à base de qubits topologiques qui n’étaient que des maquettes non fonctionnelles.
Cette fois, le processeur existerait « pour de vrai ». Mais, en bons sceptiques que nous sommes, nous attendrons de voir une machine et des algorithmes s’exécutant dessus pour y croire avec des mesures classiques de temps de cohérence, de taux d’erreur, de fidélité des portes, de volume quantique, de CLOPS (Circuit Lauer Operations per Second). Autant d’informations typiquement données par les concurrents et que Microsoft ne fournit absolument pas ! Logique : Microsoft est probablement à des mois, voire des années, d’avoir un tel système opérationnel.
Ce qui ne l’empêche pas de prédire déjà que sa technologie ouvre la voie aux machines à million de Qubits. « Nous avons déjà placé 8 qubits topologiques sur une puce conçue pour en accueillir 1 million » affirme ainsi Chetan Nayak (on parle ici de qubits physiques, bien sûr). « Un ordinateur quantique d’un million de qubits n’est pas qu’une simple étape – c’est une porte d’entrée vers la résolution de certains des problèmes les plus difficiles au monde » conclut-il. Après tout, pourquoi pas ? Il n’est pas interdit de rêver…
À LIRE AUSSI :

À LIRE AUSSI :

À LIRE AUSSI :
