Gouvernance

Philippe Latombe : « Pourquoi, il nous faut un ministre du Numérique de plein exercice »

Par Thierry Derouet, publié le 19 juillet 2024

À l’occasion de la nomination du nouveau président de l’Assemblée nationale, Philippe Latombe, député Modem fraîchement réélu et réputé pour son franc-parler, a exposé sa vision d’un ministère du Numérique renforcé. Alors que la France traverse une période d’incertitude politique, le député milite pour une organisation claire et efficace du numérique au sein du gouvernement, en réponse aux défis et aux échecs des projets informatiques de l’État.

Les récentes élections législatives n’ayant pas permis l’émergence d’une majorité absolue, une période d’incertitude s’est installée jusqu’à la formation d’un nouveau gouvernement. Dans ce contexte, Numeum, syndicat et organisation professionnelle de l’écosystème numérique en France, plaide pour la création d’un ministère dédié au numérique. Selon eux, cette initiative serait « un signe fort de l’engagement de l’État à positionner la France en leader de l’innovation et du numérique ». Véronique Torner, présidente de Numeum, a insisté lors d’un entretien avec IT for Business sur l’importance de « relancer le débat avec les véritables enjeux pour notre pays ». Elle considère avec justesse que « nous avons une carte à jouer. Nous avons des talents, c’est une chance pour la France. »

Un ministère du numérique renforcé

Philippe Latombe, député Modem récemment réélu, partage cet avis et milite pour un ministère du Numérique renforcé. Cette idée n’est pas nouvelle : en 2022, lors de la réélection d’Emmanuel Macron, un collectif de plus de 80 élus, entrepreneurs, ingénieurs, développeurs, associatifs et acteurs du numérique, dont Gilles Babinet (CNNum), Alain Garnier (Jamespot), Michel Paulin (OVHCloud), Alexandre Zapolsky (Linagora) et Philippe Latombe, avaient co-signé un appel en ce sens.

Philippe Latombe, plus que jamais engagé dans cette ambition, est clair : « Nous devons accélérer la numérisation de l’économie pour rivaliser avec les États-Unis et la Chine. »

Les implications sociétales et économiques du numérique

Cependant, Véronique Torner met en garde contre la réduction du numérique à un simple sujet technique. Elle souligne l’importance des implications sociétales et économiques du numérique, notamment sur l’emploi. En tant que représentante d’une association regroupant plus de 2500 entreprises, elle rappelle « qu’un sixième des emplois créés en France en 2022 sont dans le secteur du numérique* ». Il est donc crucial que les politiques ne négligent pas cet aspect. De plus, elle insiste sur le lien étroit entre le numérique et la transition environnementale.

Une réflexion nécessaire pour l’avenir

Bien que les enjeux du numérique aient été largement ignorés dans les débats jusqu’à présent, Véronique Torner invite à réfléchir sur le fait que « demain, le numérique pourrait concerner 50% de nos emplois. »

Pour approfondir cette idée de ministère renforcé, nous avons eu un échange approfondi avec le député Philippe Latombe. Il a souligné certaines lacunes et dysfonctionnements de l’administration française rapportés jusque dans sa circonscription. Au cours de notre entretien, il a évoqué par exemple le projet de guichet unique des formalités d’entreprise confié par la DGE à l’INPI (Institut national de la propriété industrielle), qui s’est soldé par un échec cuisant : « Fin 2021, début 2022, nous avons tiré la sonnette d’alarme, le projet ne fonctionne pas. Le 2 janvier 2023, ils ont subi une attaque de type DDoS. Tout cela parce qu’ils avaient oublié de mettre un simple captcha pour éviter les bots. Résultat, on est revenu au papier. »

Les échecs des projets informatiques de l’état

Pour Philippe Latombe, les projets informatiques de l’État, qu’ils touchent le ministère de la Justice, de l’Intérieur ou des Armées, ont en partie été abandonnés ou ont échoué. « Le système de RH des Armées, qui a coûté 70 millions d’euros, n’a jamais fonctionné. La plateforme des données santé consomme 60 millions d’euros par an sans résultats tangibles. C’est une gabegie totale. »

Une organisation claire et efficace

Pour y remédier, selon lui, il faut une organisation claire et efficace : « Il nous faut un ministère du Numérique de plein exercice, avec une administration dédiée comme la DINUM, le centre interministériel de crise (CIC), et une partie de l’ANSSI. Le ministre doit impulser les grandes orientations et travailler avec les autres ministères. »

Philippe Latombe insiste sur la nécessité d’avoir un secrétaire d’État pour la cybersécurité et un autre pour la gestion de la filière numérique. « Le ministre doit être capable de discuter d’égal à égal avec ses homologues, » ajoute-t-il. « Le ministre doit impulser les grandes orientations à l’ensemble des ministères. Le problème aujourd’hui, c’est qu’il n’y a aucune mutualisation entre les ministères. Et c’est préjudiciable. »

Moderniser l’état et protéger les entreprises locales

Selon lui, la nouvelle Assemblée nationale doit servir d’avertissement. Les députés ne peuvent plus se contenter d’être une chambre d’enregistrement. Ils doivent travailler activement pour moderniser l’État. Philippe Latombe est cinglant et peut être excessif sur ce point : « Les ministres du Numérique se sont toujours fait bouffer par leur administration. Ils n’ont pas la compétence nécessaire pour moderniser notre État. »

Philippe Latombe met aussi en avant l’importance d’adopter des mesures similaires à celles des États-Unis pour protéger et soutenir les entreprises locales : « Comme je l’ai mentionné dans le rapport que j’ai remis, nous avons absolument besoin d’un ‘Small Business Act’ et d’un ‘Buy European Act’. Regardons l’exemple américain : avec leur plan de redressement lié à l’inflation, l’IRA, ce sont des milliards de dollars qui sont alloués à qui ? Uniquement à des entreprises américaines. Les entreprises européennes ne peuvent pas intégrer l’IRA. Il poursuit : « Il est absolument nécessaire que nous développions non pas une préférence nationale, mais une préférence communautaire, en déclarant que l’argent public de nos citoyens doit aller vers nos territoires, nos entreprises. C’est l’idée du ‘Buy European Act’, qui n’est pas à réserver qu’à la seule commande publique. »

Recrutement des talents et formation

Notre député évoque enfin le recrutement des talents et la formation des agents publics. Ils sont pour lui cruciaux : « Si on n’intègre pas le numérique comme une obligation de formation permanente et continue, on va droit dans le mur. »
Et d’espérer monter d’un cran dans notre organisation : « On ne pourra pas faire l’économie d’un ESN d’État, rattaché à ce ministère ». Et d’espérer que l’intelligence artificielle générative puisse jouer un rôle clé dans cette transformation.

Une ambition qui va trop loin ?

Bien que Philippe Latombe présente là des arguments solides en faveur d’un ministre du Numérique de plein exercice, certains pourraient considérer que sa vision pousse le trait parfois un peu loin. Certains trains arrivent fort heureusement à l’heure. Le débat reste donc ouvert sur la meilleure manière de moderniser l’État et de positionner la France comme un leader numérique mondial.

* Une erreur a été initialement publié dans cet article. Le numérique ne représente pas 1/6 des emplois en France mais 1/6 des emplois créés en France en 2022. Numeum apporte d’ailleurs des chiffres à rappeler pour alimenter ce débat. Le numérique représente plus de 670 000 emplois (673 343) en 2023. Et il est intéressant de noter que les créations nettes d’emplois en continue depuis 2010 dans le numérique, s’élèvent à près de 305 000. Enfin le schéma ci-dessous montre que notre pays a encore une marge de progression.

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