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Pour Marc Benioff, l’avenir appartient à ceux qui sauront manager les travailleurs numériques

Par Thierry Derouet, publié le 19 décembre 2024

Avec AgentForce 2.0, Salesforce propose une nouvelle vision du travail automatisé, élargissant son positionnement bien au-delà des traditionnels outils de CRM pour entrer dans une ère de “travail digital augmenté”.

En dévoilant AgentForce 2, une plateforme censée orchestrer des agents d’intelligence artificielle capables de collaborer entre eux et avec les humains dans un environnement professionnel, Marc Benioff ne fait pas dans la demi-mesure. Ce concept, que Benioff appelle « management des travailleurs digitaux », met l’accent sur une nouvelle ère du travail automatisé. Et d’affirmer que « Nous entrons dans une ère où chaque entreprise devra non seulement manager des humains, mais aussi des agents IA orchestrés pour optimiser les processus ». Et ces agents sont conçus pour automatiser des tâches complexes, allant de l’analyse des données clients à la gestion de la supply chain.

Clippy 2.0 : la pique contre Microsoft

Marc Benioff n’a pas manqué d’aiguiser ses flèches lors de cette présentation, décochant une attaque bien ciblée contre son rival Microsoft. Qualifiant Copilot, l’assistant IA intégré à Teams, de « Clippy 2.0 », il a déclaré avec assurance : « Copilot est une approche dépassée. Ce n’est rien de plus qu’un Clippy amélioré, incapable de répondre aux véritables besoins des entreprises modernes. » Une pique qui n’est pas sans rappeler l’iconique sortie de Larry Ellison, PDG d’Oracle, lorsqu’il avait qualifié Windows d’un « cochon maquillé ». Si ces critiques appuient la verve légendaire de Benioff, elles traduisent également une rivalité technologique aussi vive que stratégique.

Mais pourquoi cet acharnement soudain ? Peut-être parce que Microsoft, avec sa domination sur les suites bureautiques et son avancée rapide dans l’IA générative, commence à sérieusement bousculer Salesforce sur le terrain des entreprises. En dénonçant un prétendu manque d’innovation de Copilot, Benioff tente non seulement de défendre son territoire, mais aussi de détourner l’attention sur les limites potentielles d’AgentForce.

Des promesses chiffrées qui interrogent

Marc Benioff martèle un message central, qui résonne également chez d’autres géants comme IBM : l’IA doit apporter des preuves tangibles de sa valeur business. « Chez Salesforce, nous utilisons AgentForce à tous les niveaux de notre organisation. Cela nous a permis de réduire les tâches répétitives et de nous concentrer sur des initiatives stratégiques », affirme-t-il, insistant sur l’importance de devenir son propre client pour démontrer l’efficacité de ses solutions. L’IA est ainsi mise à contribution pour automatiser la gestion des leads, optimiser le service client et même rédiger des propositions commerciales.

Les chiffres avancés visent à appuyer cette démonstration. Benioff cite fièrement des résultats impressionnants, notamment chez plusieurs clients, qui auraient réduit de moitié les escalades nécessitant une intervention humaine dans leurs équipes de support client. « Avec AgentForce 2, nous avons atteint un taux de résolution de 83 % des requêtes clients, un chiffre qui montre que cette technologie est capable de véritablement transformer les processus de service client », explique-t-il. Et la simplicité d’adoption n’est pas en reste : certaines entreprises auraient intégré la solution en une semaine seulement, preuve, selon lui, de sa facilité d’implémentation.

Sous le capot : Slack, RAG et conformité stricte

Techniquement, AgentForce repose sur une orchestration fine entre les modèles d’IA générative et des workflows métiers automatisés. Ces agents ne se limitent pas à répondre à des commandes simples : ils analysent les données contextuelles, anticipent les besoins et prennent des décisions en fonction des objectifs définis par l’entreprise. Benioff explique : « Il ne s’agit pas seulement de copiloter, mais de déléguer. C’est une main-d’œuvre numérique qui s’étend et s’adapte à vos besoins. »

Cette plateforme bénéficie également de l’intégration avec le AgentForce Partner Network, un écosystème permettant aux entreprises d’enrichir leurs agents grâce à des compétences spécifiques fournies par des partenaires tiers. Parmi eux, Adecco, spécialisé dans les solutions de travail temporaires, salue l’initiative : « AgentForce représente une opportunité unique d’optimiser la gestion des talents numériques et humains. Cela nous permet de combiner flexibilité et performance » a déclaré un porte-parole de l’entreprise.

Les DSI face à un défi de transformation

Au-delà des promesses chiffrées, le défi majeur pour les DSI réside dans l’intégration des agents IA au sein des écosystèmes existants. AgentForce 2 s’appuie sur une orchestration complexe entre divers outils métiers et technologies cloud, nécessitant une refonte des workflows et un investissement significatif en formation. Comme le souligne un expert : « Intégrer des agents IA dans une entreprise, ce n’est pas simplement activer une licence logicielle. Cela demande de repenser en profondeur les processus opérationnels. »

Par ailleurs, Salesforce adopte un modèle économique basé sur un coût par interaction ou par agent activé. Une stratégie qui, bien que promettant flexibilité et scalabilité, pourrait se révéler risquée. Le risque d’une inflation des coûts, en cas d’usage intensif ou mal contrôlé, pourrait rendre cette solution économiquement fragile pour certaines entreprises. Une équation que les DSI devront résoudre avec soin pour aligner innovation et viabilité économique.

Le management des travailleurs digitaux : une compétence clé

Qu’en est-il du management des travailleurs digitaux, ces agents IA à la fois autonomes et collaboratifs ? Leur intégration exige une approche managériale aussi rigoureuse que celle appliquée aux équipes humaines. Marc Benioff résume l’enjeu : « Manager des travailleurs digitaux, c’est apprendre à orchestrer des systèmes d’IA qui prennent des décisions, interagissent entre eux, et apprennent en permanence. C’est une révolution du management. »

Cependant, cette disruption soulève des questions fondamentales. Comment garantir que ces agents restent alignés sur les objectifs stratégiques de l’entreprise ? Quels dispositifs doivent être mis en place pour éviter les biais et corriger les erreurs dans leurs décisions ? Et, au-delà des aspects techniques, quel impact cette automatisation aura-t-elle sur les emplois humains et les structures organisationnelles ? Ces interrogations, bien qu’inévitables, invitent à une réflexion profonde sur le futur du travail et des modèles de gouvernance. Salesforce entend accompagner cette transition en proposant des outils de formation dédiés.

Pour l’instant, le marché reste partagé entre scepticisme et curiosité. AgentForce pourrait bien devenir le test ultime, à la fois pour Salesforce et pour l’industrie émergente des agents autonomes.


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