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Pourquoi les licenciements se multiplient dans la Tech et les GAFAM
Par Laurent Delattre, publié le 20 janvier 2023
Cette semaine, Alphabet/Google d’un côté et Microsoft de l’autre ont annoncé se séparer respectivement de 6% et 5% de leur effectif mondial soit 22.000 noms d’employés supplémentaires à ajouter dans la longue liste des licenciements réalisés par les géants de la Tech ces derniers mois.
L’incertitude économique qui accompagne les crises économiques, géopolitiques et sociales actuelles a fini par impacter les géants de la Tech. En quelques semaines, les GAFAM et autres acteurs de la Tech ont licencié plus de 70.000 personnes : 11.000 chez Meta, 18.000 chez Amazon, 3.700 chez Twitter, 1.000 chez Shopify, autant chez Snap et Robinwood, 6.000 chez Tesla, 7.000 chez Salesforce, 2.000 chez Coinbase, 450 chez Netflix, et depuis cette semaine 10.000 chez Microsoft et 12.000 chez Alphabet (la maison mère de Google).
Après des années de croissance et d’embauches, les grands acteurs de la Tech tremblent et laissent filer leurs talents. Rien de surprenant, bien sûr. Mais un signe des temps. D’autant que tous les acteurs de la Tech avaient annoncé depuis plusieurs mois déjà des gels d’embauche.
De Google…
“I have some difficult news to share” (j’ai des annonces difficiles à partager) explique Sundar Pichai, CEO d’Alphabet et de Google en entame d’un courrier aux salariés du groupe cette semaine.
“Nous avons décidé de réduire nos effectifs d’environ 12 000 postes” explique-t-il. “Cela signifie que nous devons dire au revoir à des personnes incroyablement talentueuses que nous avons eu du mal à recruter et avec lesquelles nous avons aimé travailler… j’assume l’entière responsabilité des décisions qui nous ont conduits ici”.
Il explique ensuite une réalité qui s’impose à tous les acteurs de la Tech : “Au cours des deux dernières années, nous avons connu des périodes de croissance spectaculaire. Pour accompagner et alimenter cette croissance, nous avons embauché pour une réalité économique différente de celle que nous connaissons aujourd’hui… Nous avons entrepris un examen rigoureux des produits et des fonctions pour nous assurer que notre effectif et nos rôles sont alignés sur nos plus grandes priorités en tant qu’entreprise. Les rôles que nous éliminons reflètent le résultat de cet examen“.
Sundar tente de finir sur des notes positives en expliquant que “en tant qu’entreprise de près de 25 ans, nous sommes condamnés à traverser des cycles économiques difficiles. Ce sont des moments importants pour nous recentrer, réorganiser notre base de coûts et orienter nos talents et nos capitaux vers nos plus grandes priorités. Le fait d’être limité dans certains domaines nous permet de miser gros dans d’autres... Je reste optimiste quant à notre capacité à remplir notre mission, même dans les jours les plus difficiles. Aujourd’hui est certainement l’un d’entre eux.“
Une analyse de la situation qui semble désormais commune à tous les GAFAM, comme en témoigne les annonces similaires de Microsoft.
… à Microsoft
Satya Nadella a aussi confirmé cette semaine par un courrier à ses employés une rumeur qui courrait depuis plusieurs jours : Microsoft se sépare de 5% de sa Workforce mondiale, une annonce qui intervient une semaine avant l’annonce de ses résultats pour le second trimestre de son exercice fiscal 2023.
Selon certains analystes, il s’agit d’un réajustement logique après deux ans de pandémie pendant lesquels les géants de la Tech ont surembauché et surinvesti dans de nouveaux potentiels Business à haut risque. Avec la crise économique actuelle et un retour progressif à une forme de normalité pré-pandémique, explorer des pistes risquées n’est plus à l’ordre du jour.
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Dans sa déclaration règlementaire, Microsoft explique que ces licenciements sont une réponse « aux conditions macroéconomiques et à l’évolution des priorités des clients ».
Mais le rééquilibrage évoqué plus haut explique aussi largement cette décision. Durant les deux années pandémiques, le nombre d’employés de Microsoft a augmenté de 36% passant de 163000 employés en 2020 à 221.000 en 2022.
À l’occasion du meeting annuel du World Economic Forum cette semaine, Satya Nadella expliquait, « Très franchement, nous, dans le secteur de la technologie, devons aussi devenir efficaces, n’est-ce pas ? Ce n’est pas pour faire comme les autres. Mais nous devons nous aussi faire plus avec moins. Nous devons montrer nos propres gains de productivité avec nos propres technologies.“
Dans son courrier, Satya Nadella donne diverses explications à ces licenciements. Il explique notamment qu’après les accélérations des investissements en transformation numérique engendrées par la crise pandémique, les entreprises donnent aujourd’hui la priorité à l’optimisation de leurs dépenses numériques. « Nous voyons des organisations de tous les secteurs et de toutes les régions géographiques faire preuve de prudence, car certaines parties du monde sont en récession et d’autres en anticipent une », explique le CEO de Microsoft. Une petite phrase qui fait écho aux récentes inquiétudes de Wall Street sur un important ralentissement de la croissance des activités Clouds en 2023.
Satya explique également que « nous continuerons à investir dans des domaines stratégiques pour notre avenir, ce qui signifie que nous allouons notre capital et nos talents à des domaines de croissance durable et de compétitivité à long terme pour l’entreprise, tout en désinvestissant dans d’autres domaines. C’est le genre de choix difficiles que nous avons faits tout au long de nos 47 ans d’histoire pour rester une entreprise conséquente dans ce secteur qui ne pardonne pas à ceux qui ne s’adaptent pas aux changements de plateforme ».
Il ajoute « bien que nous éliminions des rôles dans certains domaines, nous continuerons à embaucher dans des domaines stratégiques clés » et souligne l’importance de construire une “nouvelle plateforme informatique” s’appuyant sur les progrès de l’intelligence artificielle.
Les licenciements semblent toucher toutes les branches de l’entreprise y compris Azure ou les studios de jeux vidéo.
Il faut dès lors s’attendre à une réorganisation et à des changements de cap stratégiques chez Microsoft. L’éditeur annonce d’ailleurs avoir ajouté une ligne de charge de 1,2 milliard de dollars à son compte de résultat Q2-2023 (qui sera publié la semaine prochaine) pour non seulement couvrir les coûts de ces licenciements mais aussi réduire les frais de location de bureaux et « opérer des changements dans le portfolio hardware ».
Cette dernière remarque soulève bien des interrogations. Le « Portfolio Hardware » de Microsoft comporte bien évidemment la gamme Surface (y compris le smartphone Surface Duo), les périphériques Microsoft Hardware (principalement souris, claviers et webcam), les consoles Xbox ainsi que les lunettes Hololens.
L’éditeur n’a pas détaillé les changements stratégiques envisagés sur ses productions matérielles. Mais l’annonce semble anticiper une restructuration de l’entreprise et quelques décisions difficiles peut-être autour des Hololens. On en sera probablement plus la semaine prochaine après l’annonce des résultats du deuxième trimestre fiscal 2023 (correspondant au quatrième trimestre calendaire 2022).
Cet article publié le 19 janvier a été mis à jour et retravaillé le 20 janvier après les annonces d’Alphabet et de 12.000 licenciements dans toutes les branches du groupe à commencer chez Google.
Forcément, les dents grincent
Pour rappel, au premier trimestre de son exercice fiscal 2023 Microsoft avait réalisé sa plus faible croissance depuis mars 2017 avec « seulement » 16% de croissance. Pour autant, le groupe avait réalisé un CA trimestriel de 50,1 milliards de dollars avec 17,1 milliards de dollars de bénéfices.
Pas d’annonces chez Apple… pas encore ?
Apple est la seule entreprise parmi les géants de la Tech à n’avoir toujours pas annoncé de licenciements même si l’entreprise a annoncé fin 2022 avoir fortement ralenti les embauches. Il n’y en aura peut être pas de départs forcés car de tous les GAFAM, la firme américaine est celle qui a vu le moins grossir (en pourcentage) sa Workforce, non seulement durant la pandémie mais depuis les années 2015. Ainsi, alors que ces deux dernières années l’effectif de Microsoft a grossi de 36%, celui d’Apple a évolué de moins de 15%.
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