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“Que les DSI viennent dans les écoles d’ingénieurs rencontrer leurs futurs collaborateurs”

Par François Jeanne, publié le 11 octobre 2024

Il est à la tête d’une des grandes écoles préparant ces futurs ingénieurs du numérique après lesquels les DSI continuent de courir. Le directeur de l’Epita ne croit pas que le nombre de diplômés de ces formations d’excellence pourra exploser ces prochaines années. Heureusement, les bachelors ou les collaborateurs reconvertis par les entreprises proposent des alternatives séduisantes.


Entretien avec Sylvain Goussot, Directeur général de l’Epita


Vous êtes arrivé à l’Epita en provenance de TF1. N’est-ce pas surprenant ?

J’ai toujours aimé découvrir de nouveaux secteurs de l’économie, des télécoms aux médias en passant par les jeux en ligne. En 2023, j’ai commencé à me demander quel autre univers pouvait m’intéresser. Et quand vous avez aussi l’envie de transmettre ce que l’on vous a appris, ce monde de l’enseignement supérieur est attirant. Je le connaissais bien pour l’avoir beaucoup fréquenté lorsque je dirigeais l’innovation de Bouygues Télécom. Et il y a une continuité car tous les secteurs que j’ai connus ont en commun leur forte composante technologique, leur orientation B to C, et leurs nombreux partenaires.

Qui est votre client final ici ? L’étudiant ou celui qui va le recruter ?

Nos partenaires sont les entreprises, les universités ou encore les laboratoires. Mais nous travaillons avant tout pour les étudiants. Pas seulement en leur apportant des compétences, mais bien pour leur permettre de se professionnaliser et de trouver un emploi. Et c’est un défi : l’Epita c’est 4 000 étudiants à date – dont 500 étudiants internationaux – avec environ 600 diplômés chaque année, parmi lesquels des bachelors et des alternants (voir encadré).

L’alternance justement, c’est un moyen d’accéder au diplôme d’ingénieur qui a le vent en poupe. Comment accompagnez-vous ce mouvement ?

Comme je vous le disais, l’Epita travaille pour ses étudiants et avec ses partenaires dans les entreprises. Quand les deux demandent de l’alternance, nous y répondons bien entendu. Cette année, nous avons ainsi doublé le nombre de recrutements sur cette population. Et c’est pareil sur notre bachelor en cybersécurité, dont la troisième année est en alternance. C’est donc une vraie croissance. Mais nous restons prudents. Des questions économiques de long terme ne dépendent pas de nous, mais bien des décisions du gouvernement concernant le niveau de financement de ces alternances via les aides aux entreprises.

Que deviennent vos diplômés ?

Nous regardons cela de près. L’insertion professionnelle de nos jeunes diplômés est très bonne, proche de 100 % à six mois, avec des salaires très élevés de l’ordre de 47 k€ à l’embauche pour le salaire brut annuel médian en France, primes comprises. C’est probablement parce que nous formons bien nos étudiants. C’est aussi parce que le secteur est en pleine demande.

Nos partenaires sont les entreprises, les universités ou encore les laboratoires. Mais nous travaillons avant tout pour les étudiants…

Et au-delà de cette première année, à 10 ans, voire à 30 ans ?

C’est moins suivi et ce n’est pas notre priorité : le rôle d’une école d’ingénieurs, c’est d’armer des étudiants pour qu’ils amorcent leur carrière au mieux. Est-ce qu’elle peut dire, je vous forme pour 30 ans, pour 20 ans, pour 10 ans dans le numérique ? Franchement, je ne le crois pas.

Ça ne veut pas dire qu’on n’est pas fier de ceux qui vont créer des start-up plus tard, devenir des DSI, des CIO. C’est un vrai plaisir de les rencontrer. Mais pour en arriver là, il aura fallu qu’ils complètent leur formation initiale, qu’ils fassent les bonnes rencontres, les bons choix.

Un ingénieur qui réussit sur le long terme, c’est un ingénieur qui va savoir assez rapidement communiquer, s’exposer aux autres, faire des impasses sur de la technicité. J’ai la chance de piloter une école où on peut faire passer ce message.

Mais la demande des entreprises ne porte-t-elle pas surtout sur la maîtrise de technologies sur lesquelles on a besoin de gens très vite opérationnels ?

Bien sûr. Ce que j’évoquais porte sur l’évolution et la progression dans une vie d’ingénieur. Mais à côté de cela, sa professionnalisation nécessite qu’on l’équipe techniquement. Cela passe par des apprentissages des langages informatiques, par des séquences pour apprendre en immersion et de manière interactive, des stages de développeur informatique ou encore de spécialisations en fin de cursus. Parce que le premier des besoins reste la compétence technique. Mais on leur apprend aussi à travailler en projet. C’est une demande récurrente de ceux qui les recruteront : la compréhension de leurs environnements techniques et leur capacité à s’insérer dans les projets des entreprises.

Nous écoutons beaucoup ces dernières, par exemple au travers de notre Conseil de perfectionnement où se côtoient une dizaine de très grands groupes et de grandes ESN. Elles viennent dialoguer autour de nos formations en place et des futures, nous parler de leurs besoins. La quinzaine de « majeures » que nous proposons à nos étudiants découlent notamment de cette compréhension des besoins des entreprises.

Dans ces spécialisations, il y en a des très demandées aujourd’hui : les candidats qui passent les oraux avant de nous rejoindre nous parlent beaucoup IA et cyber. Il y avait dans ce dernier domaine suffisamment de demandes pour justifier la création de notre bachelor, d’où ne sortiront pas des ingénieurs, mais des experts outils métiers de la cyber. Il y a aussi une majeure sur l’informatique quantique, qui est un vrai pari sur l’avenir. Ou une filière qui permet de faire de l’IA, mais appliquée à un métier comme dans notre majeure « santé et numérique ». Ce que les étudiants doivent entendre et comprendre, c’est que, quelle que soit la spécialisation qu’ils choisiront, il leur faudra être solides sur les bases de l’informatique.

Le Parcours de
Sylvain Goussot

Depuis fin 2023 :
Directeur général Epita

2020-2023 :
Au sein du Groupe TF1, directeur général de l’activité distribution et chief data officer

2012-2020 :
Pour Bouygues Telecom, successivement directeur adjoint stratégie haut débit, directeur data et innovation

2010-2012 :
Directeur développement international chez Betclic

2005-2010 :
Consultant senior pour Capgemini Telecom & Media Consulting

1998-2005 :
Chez Cegetel, responsable de projets puis CTO et enfin ingénieur réseau principal

FORMATION
Ingénieur diplômé de Polytechnique (1996) et Télécom Paris (1998)

La multiplication des spécialisations n’est-t-elle pas une réponse à des effets de mode dans la demande des entreprises, pour une demande de spécialistes qui risque d’être éphémère ?

Non. Nos formations s’installent dans la durée parce que côté entreprises, les transformations prennent du temps et l’adoption des technologies aussi. Bien sûr que les DSI savent qu’elles vont devoir utiliser l’IA générative, que leur PDG en a envie. Mais elles savent aussi que ce sera compliqué avec les data, pour choisir les bons outils, etc.

Non. Nos formations s’installent dans la durée parce que côté entreprises, les transformations prennent du temps et l’adoption des technologies aussi. Bien sûr que les DSI savent qu’elles vont devoir utiliser l’IA générative, que leur PDG en a envie. Mais elles savent aussi que ce sera compliqué avec les data, pour choisir les bons outils, etc.

Parmi ces futurs diplômés, quelle sera la place des femmes ?

Aujourd’hui, nous avons un taux d’étudiantes de 13 %. C’est trop faible même si nous sommes dans la moyenne des écoles du numérique et de l’informatique. Et ce n’est pas tenable, en fait, comme situation. Parce que le monde des entreprises a besoin de l’équilibre entre les hommes et les femmes. Il faut donc lutter contre cet état de fait.

L’Epita est une société à mission depuis 2021 avec l’égalité des chances dans ses objectifs statutaires. Alors nous agissons. Par exemple, en accordant des bourses spéciales aux étudiantes qui nous rejoignent, comme le trophée Excellencia ou Amazon Future Engineer. Nous soutenons aussi l’association Prologin, dont l’un des programmes, Girls can code, permet à des jeunes filles de faire des stages en informatique dès le collège, gratuitement. C’est important parce que la sociologie nous enseigne que les ruptures de genre, les stigmatisations, elles se font à partir du CM2. Il faut les combattre dès la sixième.

Nos formations s’installent dans la durée parce que côté entreprises, les transformations prennent du temps et l’adoption des technologies aussi

Combien ça coûte de se former à l’Epita ?

Face à des classes préparatoires qui restent assez élitistes, les écoles post-bac sont très fières de pouvoir s’ouvrir au plus grand nombre d’étudiants, quelle que soit leur classe sociale. En ce qui concerne la scolarité, il y a différents tarifs selon les années, mais la moyenne est entre 10 et 11 000 € par an. C’est un coût qui reste élevé, même s’il est moins cher que dans une école de management. Cela peut se financer par des prêts bancaires, avec des remboursements différés après la fin des études, et sans caution, ce qui traduit la confiance des banques dans ces formations. Il y a aussi la voie de l’apprentissage qui permet de devenir ingénieur avec un financement à zéro pour l’apprenant. Enfin, il y a les bourses classiques, celles du Crous par exemple, qui peuvent atteindre 6 300 € euros par an.

Nos lecteurs DSI se plaignent de ne pas trouver les talents dont ils ont besoin. N’y a-t-il pas, en sortie d’école, trop de diplômés qui rejoignent les ESN ?

Ils vont aussi dans les cabinets de conseil, qui viennent de passer devant les ESN en volume de recrutement ! Les deux représentent la majorité des premiers emplois de nos diplômés. Mais c’est leur choix et justement, ils en ont du choix. Ils ont beaucoup d’offres en début de carrière. Et travailler en ESN ou en conseil, c’est très intéressant pour un jeune qui n’a pas encore choisi un secteur d’activité. Il y a tout de même des entreprises qui parviennent à les séduire, surtout dans le domaine des technologies de l’information. Datadog est cette année le plus gros recruteur de notre promotion.

Les entreprises ont bien sûr raison de faire confiance aux ingénieurs, mais on ne pourra pas en fabriquer tant que ça

Ne faut-il pas baisser les exigences pour le niveau des ingénieurs, en comptant par exemple sur des IAG pour les seconder ?

Déjà, il faudrait beaucoup d’ingénieurs pour fabriquer ces IA génératives qui aideraient les ingénieurs. Mais au-delà de la boutade, le vrai sujet, c’est la trop grande focalisation sur ce titre.

Nous sommes d’accord, c’est une formation d’excellence. Mais il y en a d’autres comme les bachelors, les BUT [ex-DUT, NDLR]… Les entreprises ont bien sûr raison de faire confiance aux ingénieurs, mais on ne pourra pas en fabriquer tant que ça. Former un ingénieur c’est exigeant académiquement et ce n’est pas à la portée de tous. Heureusement, les écoles qui les forment ont aussi la capacité de tirer vers le haut d’autres profils.

J’ajouterais que les entreprises doivent aussi penser à leurs collaborateurs en interne. Les métiers changent, le numérique accélère tout, c’est vrai. Mais avec les nouvelles formes de formation continue, dont beaucoup en distanciel, si elles veulent se moderniser, elles ont cette solution de moderniser leurs équipes.

Que suggéreriez-vous à un DSI comme bonne résolution de rentrée dans ses relations avec une école comme la vôtre ?

Le plus important, ce serait déjà de venir nous voir. En personne et pas seulement en se reposant sur des campus managers venus des DRH. Un DSI a besoin d’aller voir ce qui se passe ailleurs. Qu’il aille chez ses grands partenaires bien sûr, chez Salesforce, Google ou Amazon, mais qu’il vienne aussi dans les écoles, dans les forums, dans les moments où nous les accueillons. C’est probablement là qu’il comprendra le mieux ce que sera sa DSI demain et avec quels profils il va travailler. Si vous n’allez pas voir dehors quand vous êtes DSI, vous ne vous transformerez pas. 

Propos recueillis par François Jeanne / Photos de Sébastien Mathé


Une offre de formation croissante, mais encore insuffisante ?

Les 600 diplômés annuels de l’Epita font partie des quelque 9 000 diplômés qui sortent de la vingtaine d’écoles d’ingénieurs post-bac pour la plupart spécialistes du numérique (formation en cinq ans), et donc des 45 600 nouveaux ingénieurs (Source CDEFI pour 2022).
L’Epita dispose de sept sites, dont trois en région parisienne et les autres à proximité de grands centres économiques, techniques et industriels (Lyon, Toulouse, Rennes et Strasbourg). Elle propose en sus des formations pour alternants, des formations continues. Et des bachelors, dont celui dédié à la cybersécurité sur le Campus Cyber à la Défense, opéré avec l’École polytechnique et le ministère des Armées, qui est le plus gros bachelor technique de France.



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