Gouvernance
« Repenser le numérique pour développer la culture »
Par Patrick Brébion, publié le 24 février 2022
Depuis 2019, le ministère de la Culture a initié un plan de transformation numérique avec un double objectif de remise à niveau et d’appui au secteur. Si la crise sanitaire a impacté les acteurs, elle a aussi boosté l’adoption de nouveaux usages culturels. La DSI prend en compte cette nouvelle donne dans le cadre d’une stratégie numérique culturelle.
Entretien avec ROMAIN DELASSUS, chef du service du numérique, ministère de la Culture
Le ministère de la Culture couvre un large spectre, du patrimoine à l’art vivant en passant par les musées. Quel est le rôle de la DSI dans ce contexte ?
Le ministère couvre effectivement des activités très diversifiées. Il est en charge du livre, des musées, de la valorisation du patrimoine, des archives, des arts vivants, des arts plastiques, du théâtre, de l’archéologie, du cinéma, des jardins et paysages… Sa mission a évolué dans le temps et l’hétérogénéité de son SI reflète cette évolution.
Le ministère compte environ 7 000 agents, dont la majeure partie travaille en région au sein des directions régionales des affaires culturelles, les Drac.
Jusqu’en 2019, la DSI comptait environ 60 agents en central et quelques autres, en général entre un et trois, dans chaque direction régionale, principalement en charge de la bureautique. À l’époque, le SI restait peu adapté au contexte, surtout sur le plan de la mobilité. Illustration la plus parlante, seuls 10 % des agents étaient équipés d’ordinateurs portables quand leur rôle, en particulier en région, suppose de nombreux déplacements.
Les enjeux de transformation étaient majeurs et, en novembre 2019, une mission m’a été confiée pour mettre en place une nouvelle entité transverse en charge de l’IT de gestion classique et de l’appui à la transformation numérique des politiques culturelles. Il ne s’agit plus seulement d’utiliser le numérique en tant qu’outil, pour faciliter la circulation des contenus culturels comme leur accès, mais de bâtir une stratégie numérique prenant en compte la mutation des usages et les enjeux économiques du secteur.
Comment avez-vous traversé la crise ?
Moment particulièrement difficile pour tous les acteurs, la crise a bien sûr ralenti plusieurs projets côté DSI. Mais, elle a aussi été parallèlement un facteur accélérateur pour de nouvelles pratiques tant en interne, les agents ont adopté le télétravail, qu’avec les acteurs du monde culturel, nos « métiers ».
Elle a été un révélateur de l’hétérogénéité du SI existant. Lors du premier confinement, le ministère nous a demandé de publier la liste des lieux culturels avec les informations de réouverture. L’absence de toute centralisation des informations a compliqué la tâche.
A contrario, la crise a boosté des initiatives visant à numériser certaines pratiques comme la visite de musées virtuels ; ce qu’a pu montrer le projet #CultureChezNous que nous avons conduit. L’utilisation massive du numérique avait déjà été initiée avec le Pass culture. Pour rappel, ce dernier a pour objectif d’encourager la rencontre entre les acteurs culturels et les utilisateurs, les jeunes en priorité. Il prend la forme d’une application permettant de découvrir et réserver des propositions culturelles de proximité et des offres numériques.
Au-delà de ces constats et projets, une question de fond s’est posée : repenser le numérique comme un outil d’appui, mais aussi comme une composante de la culture. Comme je l’ai souligné, nous travaillons sur la mise au point d’une stratégie numérique culturelle.
Où en êtes-vous aujourd’hui dans la transformation de l’IT ? Quels sont les grands projets en cours ?
Le Service du numérique compte aujourd’hui 100 collaborateurs. La centralisation en cours se traduira par la relocalisation des équipes, jusqu’ici implantées sur plusieurs sites.
Pour les infras, et comme le préconise la doctrine de l’État en la matière, nous nous reposons sur les datacenters des ministères régaliens, celui des Douanes et de la DGFIP.
Côté applications de gestion, les agents sont gérés par le SIRH RenoirRH et le SI financier est Chorus. Le Service du numérique prend en charge les autres applications. La migration sur Exchange et Outlook est aujourd’hui finalisée.
Aujourd’hui, trois familles de produits sont en cours. Environ 300 sites web sont en ligne, liés à des événements comme la Fête de la musique, les Journées du patrimoine… Nous les mettons à jour pour suivre la réglementation du RGPD ou le référentiel d’accessibilité. L’objectif est de rationnaliser et aussi de sécuriser cet existant pour le ramener au chiffre de 50 avec une usine à sites.
Une autre partie porte sur la dématérialisation de procédures administratives, encore souvent sur papier. Exemple, les collectivités demandent un avis aux Drac en cas de demande de travaux. Ce nombre de demandes, qui a connu une très forte progression pendant la crise, est de l’ordre de 400 à 500 000 par an. Cette procédure fait partie des 250 qui ont vocation à être digitalisées dès 2022 dans le cadre du plan de modernisation de l’État. Toutes les autres le seront à terme, comme par exemple l’autorisation d’exportation des biens culturels, les demandes de subventions et les appels à projet. Autre chantier en cours, nous travaillons sur les archives.
Quel est votre périmètre d’intervention sur les archives ? Comment vous répartissez-vous la tâche avec les Archives Nationales ? Et, plus globalement, comment travaillez-vous avec les grands établissements culturels comme la BnF et l’Opéra de Paris ?
Nous travaillons sur le sujet des archives collégialement avec les autres acteurs concernés, le ministère des Affaires Étrangères et celui des Armées. L’objectif est de construire un logiciel d’archivage numérique, ainsi qu’une version SaaS pour la gestion des archives intermédiaires dans le cadre du programme interministériel français d’archivage électronique Vitam.
Les développements open source, effectués en mode agile et avec le concours d’une communauté d’une centaine de partenaires, sont disponibles sous licence libre. À charge pour les acteurs privés de packager et proposer des versions commerciales. La V4 est aujourd’hui stabilisée.
De manière plus générale, les grands établissements culturels possèdent leurs propres équipes et gèrent leur SI. Au niveau technique, nous soutenons les organisations plus modestes comme les petits musées et les écoles d’art. Avec tous, grands établissements inclus, notre légitimité réside dans un appui à la transformation, dans la coordination et dans la recherche de la mutualisation, comme par exemple avec un outil de gestion de collections pour tous les musées ou encore, un système de billetterie.
Et en ce qui concerne votre mission d’appui à la politique culturelle, quelle forme prend-elle dans un contexte où les technologies évoluent très vite ?
La période de confinement a mis en exergue une tendance profonde. Les attentes, en particulier des jeunes générations, ont évolué et les usagers numériques constituent aujourd’hui un public à part entière.
Le numérique devient également un instrument clé pour la circulation des contenus culturels.
Autre point sensible, il est devenu un enjeu de souveraineté pour l’industrie culturelle en particulier, et la France en général.
Le numérique peut aussi servir d’outil de création.
Répondre à ces challenges en suivant l’évolution des technologies passe beaucoup par l’innovation. Nous sommes organisés simultanément en interne et en externe. Un laboratoire de start-up d’état (une contribution d’intrapreneurs) se concrétise déjà par des POC. Parallèlement, des projets associant des entreprises du numérique et des établissements culturels sont lancés. Aujourd’hui, trois appels à projet, pour le numérique dans l’art vivant, la billetterie et la valorisation du patrimoine ont été publiés.
Vous parliez des données. Quelles sont les spécificités dans le domaine culturel ?
Rappelons qu’en tant que chef du service du numérique, je suis aussi administrateur des données culturelles. Ce qui suppose de créer les conditions pour une meilleure circulation, diffusion et valorisation des contenus culturels dans le respect de la protection des données personnelles et du droit de propriété intellectuelle.
Les données culturelles méritent une attention particulière de par leurs spécificités. Économiquement, leur maîtrise constitue un élément clé pour l’activité, voire la survie, d’une part des industries culturelles. Dans ce contexte, notre rôle prend la forme d’un soutien pour permettre à ces acteurs de valoriser et exploiter ces données sur toute la chaîne de valeur. Autre particularité, elles sont souvent soumises au droit d’auteur. Là encore, il s’agit de fluidifier leurs usages et de favoriser la « découvrabilité » des contenus culturels.
Pour toutes ces raisons, notre feuille de route est centrée sur la circulation, la diffusion et la valorisation des données et contenus culturels : l’open data n’est qu’un moyen parmi d’autres. Il s’agit donc de repenser la donnée culturelle comme un enjeu majeur.
PARCOURS DE ROMAIN DELASSUS
Depuis 2018: ministère de la Culture
Depuis 2021, chef du service du numérique
2019-2021, sous-directeur des SI
2018-2019, responsable produit du Pass Culture
2017-2018: Direction Générale des Entreprises, conseiller auprès du DG
2016-2017: Conseil national du numérique, rapporteur général
2013-2016: Arcep, conseiller du président
FORMATION
2010-2013: École nationale supérieure des mines de Paris
2007-2010: École Polytechnique
Photos de Romain Delassus : Sébastien Mathé
Photo introduction : Nadiia_foto / Shutterstock
À lire également :
> « La culture du zéro défaut imprègne notre transformation »
> DAF et DSI : le tandem gagnant de la transformation numérique
> Hybridation agile : réussir la transformation culturelle des équipes métiers et IT
> « Allier l’humain et le numérique pour réussir sa transformation »
> Le Zoo de Beauval soigne son SI à l’hyperconvergence