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Sous la gare, la fibre : comment Connect Grand Paris invente le data center de proximité
Par Thierry Derouet, publié le 28 mars 2025
Sous la monumentale gare de Saint-Denis Pleyel, véritable carrefour de la ligne 14 prolongée et futur nœud d’interconnexion des lignes 15, 16, 17 et 18, s’étend un réseau invisible aux voyageurs : une matrice de fibres, de salles techniques et de connectivité de proximité. C’est là que Connect Grand Paris, filiale de RATP Connect, déploie une offre d’hébergement souveraine, au plus près des besoins des acteurs franciliens. Visite guidée, sous terre, à la découverte de ce « data center distribué » hors normes.
L’accès à la partie « infrastructure » de la gare de Saint-Denis Pleyel se fait loin du tumulte des quais. L’air se rafraîchit à mesure que l’on s’enfonce dans ce labyrinthe bétonné. « Nous sommes à environ vingt mètres sous la surface », précise Mathieu Portier, directeur de projet chez Connect Grand Paris. Derrière une porte technique, un couloir de câbles surgit : énergie, climatisation, fibre – tout est doublé pour sécuriser le fonctionnement. Dans la salle même, protégée par des cloisons coupe-feu et des systèmes de surveillance, se dressent de grandes baies métalliques flambant neuves. « On a prévu ici de 8 à 20 baies, chacune alimentée de façon redondée, refroidie via la centrale d’eau glacée de la gare, et raccordée en fibre optique depuis deux directions différentes. »
Le bruit de la climatisation est présent mais contenu. L’eau glacée qui circule dans les réseaux de la gare apporte un refroidissement efficace, limitant les risques de surchauffe pour les serveurs. « C’est un environnement souterrain, donc naturellement stable en température, mais si on coupait tout, on grimperait vite en degrés avec les équipements. D’où l’importance de ces boucles redondantes », poursuit Mathieu Portier.
Une offre Edge Hosting pensée dès la construction
Contrairement aux anciennes lignes de métro, conçues il y a des décennies, le Grand Paris Express intègre l’infrastructure numérique dans sa conception initiale. « Quand on construit une gare ou un tunnel, c’est le moment idéal pour poser de la fibre noire, prévoir des locaux télécom et anticiper les besoins des habitants et des entreprises à proximité », souligne Mathieu Portier.
De fait, ce modèle de “data center distribué” s’appuie sur pas moins de 71 sites : 65 gares et 6 centres d’exploitation, pour un total de près de 7 000 m² dédiés à l’hébergement. Chaque point dispose de sa propre salle sécurisée, reliée par un vaste réseau de fibre optique – 170 000 km annoncés à terme. Dans ces salles, Connect Grand Paris propose trois briques principales :
1. La fibre noire : louée aux opérateurs télécom, elle permet de créer des liens très haut débit, sans passage sur internet, assurant une latence minimale et une sécurité maximale.
2. Le Edge Hosting : des espaces d’hébergement en colocation, où l’on retrouve l’énergie, la climatisation, la protection anti-incendie, le contrôle d’accès, ainsi qu’une connectivité intégrée.
3. Les services activés : des offres d’interconnexion Ethernet (1 Gbit/s ou plus) pour les entreprises qui préfèrent un service clé en main plutôt que de la fibre brute.
« Nous ne sommes pas un hyperscaler à la Google ou Amazon, précise Mathieu Portier. Notre force, c’est la proximité. Au lieu de centraliser 10 000 m² dans une zone éloignée, on déploie des salles plus petites, chacune au cœur d’une gare, donc au plus près des quartiers et des acteurs locaux. »
Redondance, souveraineté et sécurité au cœur du dispositif
Le pari de Connect Grand Paris repose sur la résilience. Au niveau de la fibre, le réseau est posé en double : une fibre court le long de la voie 1, l’autre le long de la voie 2. Si un incident survient sur un tronçon, le trafic bascule automatiquement sur l’autre. Côté alimentation électrique, « chaque salle dispose de deux sources distinctes, raccordées à la distribution de la gare elle-même. Les gares du Grand Paris sont très exigeantes en termes de fiabilité pour faire rouler les trains, et nous bénéficions de cette robustesse électrique », précise Mathieu Portier.

Mathieu Portier, Directeur de Projet chez Connect Grand Paris : « Nous ne sommes pas un hyperscaler à la Google ou Amazon, précise Mathieu Portier. Notre force, c’est la proximité. Au lieu de centraliser 10 000 m² dans une zone éloignée, on déploie des salles plus petites, chacune au cœur d’une gare, donc au plus près des quartiers et des acteurs locaux. »
En matière de sécurité physique, ces locaux techniques sont logés dans des environnements traditionnellement fermés au public, sous la supervision permanente de systèmes de contrôle d’accès. « Ça fait plus de cent ans que la RATP gère des espaces souterrains complexes », rappelle-t-il.
Un modèle à la carte pour les collectivités et les PME
L’un des axes forts de l’offre Edge Hosting, c’est l’accompagnement des entreprises locales et des collectivités. Nombre d’organisations disposent encore d’une « petite salle serveur » peu sécurisée, parfois dans un placard. Un simple incident électrique ou une panne de climatisation peut être fatal. « Ici, nous leur offrons un espace baies ventilé et climatisé 24/7, avec la possibilité de venir physiquement intervenir sur leur matériel », explique le directeur de projet.
Cette proximité est cruciale. Là où un data center classique peut être à plusieurs dizaines de kilomètres, Connect Grand Paris propose un hébergement souvent à moins d’un kilomètre. De quoi répondre à des problématiques d’urgence, de latence et de commodité. « Nous encourageons les entreprises à sortir leurs équipements de leurs locaux, mais sans les envoyer à l’autre bout de la France ou dans le cloud public. C’est un cloud de proximité, en quelque sorte. »
Ce modèle de colocation séduit aussi les opérateurs télécom qui y voient un maillage très fin, permettant d’installer des routeurs, des répéteurs ou des switches pour mieux desservir l’Île-de-France. « Free Pro, Verizon, des opérateurs mobiles… Tous y gagnent, car on n’est jamais loin d’un point d’accès ou d’interconnexion », résume Mathieu Portier.
Des salles pensées pour la flexibilité et la montée en charge
Côté technique, chaque gare dispose en moyenne d’une centaine de mètres carrés dédiés à la colocation, divisés en baies : « On va de 1 à 5 kVA par baie, largement suffisant pour des serveurs d’entreprise, du stockage, du routeur. En revanche, on ne s’adresse pas à des gros besoins de calcul haute densité », détaille Mathieu Portier, qui compare volontiers l’ensemble à « un gros data center, mais réparti en 65 petits points ».
Dans certaines salles, Connect Grand Paris a déjà installé huit baies de démonstration et de réserve, destinées à accueillir les premiers clients. « On est très ouverts aux retours des entreprises : certaines veulent une baie profonde, d’autres un cloisonnement très strict ou un bloc d’alimentation spécifique. On ne fait pas du sur-mesure complet, mais on propose plusieurs formats. »
Une concession de 25 ans pour un projet de longue haleine
Ce réseau est conçu dans le cadre d’une concession de 25 ans signée avec la Société du Grand Paris. Connect Grand Paris doit rentabiliser ses investissements, mais « sans sacrifier la pérennité, ni la qualité de service ». Le montage public-privé implique une logique d’amortissement à long terme, où la Caisse des Dépôts et RATP Connect assurent la solidité financière. « Cela confère à l’ensemble un statut 100 % français, très rassurant pour les collectivités ou les services étatiques qui nous contactent. Nous ne sommes pas un fonds étranger », souligne encore Mathieu Portier.
« Nous avons déjà une cinquantaine de personnes dans l’équipe, et nous allons continuer à recruter », confie Mathieu Portier. Chefs de projet, commerciaux, ingénieurs télécom… tous œuvrent à la montée en puissance du dispositif. Notre objectif est de remplir les salles d’ici trois ans. Certaines gares sont déjà partiellement occupées ; dans d’autres, comme ici à Saint-Denis Pleyel, il reste de la place. »
Vers un “plug & play” du réseau francilien
Pour Mathieu Portier, l’offre Edge Hosting incarne une évolution naturelle du transport vers le numérique. « À la RATP, nous transportons des voyageurs depuis plus d’un siècle. Aujourd’hui, on transporte aussi des données, grâce à la fibre et à ces points de présence répartis dans toute l’Île-de-France. »
À terme, cette complémentarité pourrait profiter à d’autres acteurs nationaux comme la SNCF ou RTE, qui maîtrisent les grandes liaisons interrégionales mais ont besoin d’une connectivité locale au plus près des sites urbains. « Nos salles sont toutes prêtes à accueillir des équipements qui serviront de passerelles ou de boucles locales. Un opérateur arrivant de Marseille peut se raccorder directement, ici, pour dispatcher des services dans le nord de Paris, par exemple », explique-t-il.
Un “cloud de proximité” en pleine expansion
D’ici la fin de la décennie, alors que les lignes 15, 16, 17 et 18 monteront en puissance, les salles d’hébergement Connect Grand Paris deviendront autant de petits data centers mutualisés, desservant l’ensemble de la région capitale. Le concept d’edge prend alors tout son sens : plutôt que concentrer toute la capacité de calcul dans un seul site, la disperser pour réduire la latence et faciliter l’accès.
Les « entrailles » du Grand Paris Express ne se limitent donc plus au transport ferroviaire : elles hébergent aussi les fondations d’un écosystème numérique francilien, prêt à accompagner la transformation digitale des territoires et les enjeux d’interconnexion à l’échelle métropolitaine.
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