Gouvernance

« Travailler pour dix millions de Franciliens, c’est ce qui me fait me lever le matin ! »

Par Thierry Derouet, publié le 29 novembre 2024

Améliorer la qualité de vie des citoyens en renforçant l’offre de mobilités, c’est la mission d’Île-de-France Mobilités, ex-STIF. Hélène Brisset nous explique ici comment l’organisation publique bénéficie d’un environnement hautement technologique pour atteindre ses nombreux objectifs, parmi lesquels la prochaine ouverture progressive à la concurrence des lignes de bus.


Entretien avec Hélène Brisset Directrice du numérique d’Île-de-France Mobilités


Île-de-France Mobilités est bien plus qu’un simple organisme public chargé de la gestion des transports. C’est le cœur battant de la mobilité en l’Île-de-France, la région la plus dense et dynamique du monde après celle de Tokyo. Anciennement connu sous le nom de Syndicat des transports d’Île-de-France (STIF), Île-de-France Mobilités est devenu, au fil des années, l’architecte d’un réseau complexe et diversifié qui s’étend bien au-delà des lignes de métro ou des bus.

En tant qu’autorité organisatrice des transports, Île-de-France Mobilités ne se contente pas de coordonner les divers modes de transport de la région – du métro aux bus, en passant par les RER, les tramways, les vélos en libre-service et même le covoiturage. Elle orchestre également une multitude de projets d’innovation et d’amélioration continue, toujours avec pour objectif de fluidifier les déplacements quotidiens des millions de Franciliens et visiteurs. Ce vaste réseau est soutenu par un système d’information sophistiqué qui gère en temps réel les flux massifs de données générées par l’utilisation des transports publics.

Une vision stratégique

Hélène Brisset, figure incontournable du numérique dans le secteur public, occupe depuis mai 2022 le poste de directrice du numérique d’Île-de-France Mobilités, où elle pilote avec une vision stratégique la modernisation des systèmes d’information de l’organisme.

Hélène Brisset a précédemment occupé le poste de directrice du numérique – après celui de DSI – au sein des ministères des Solidarités et de la Santé, du Travail et des Sports, où elle a consacré six ans et demi à conseiller et à appuyer la transformation numérique des politiques publiques. Avant cela, elle avait déjà laissé son empreinte en tant que directrice de cabinet du secrétaire d’État au numérique.

Hélène Brisset a également occupé des postes de haute responsabilité à la Direction interministérielle du numérique et des systèmes d’information de l’État (Dinsic), où elle a piloté des projets stratégiques comme le Réseau interministériel de l’État (RIE). Cette riche expérience inclut aussi un passage à l’Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information (Anssi) en tant que sous-directrice des systèmes d’information sécurisés.

« L’information voyageurs en temps réel s’appuie sur des quantités colossales de données qui doivent être régulièrement mises à jour et analysées pour détecter les anomalies et améliorer le service. »

Quel est votre rôle en tant que DSI chez Île-de-France Mobilités ?

Nous sommes une autorité organisatrice des mobilités et notre mission est d’organiser le service public des transports en commun, qu’ils soient réguliers ou à la demande, dans toute la région Îlede- France. Notre objectif est de penser la mobilité de demain et de réaliser la révolution des transports en commun pour que le réseau francilien soit le plus moderne et le plus fiable au monde à horizon 2030, grâce à des nouvelles lignes, de nouveaux matériels roulants et de nouveaux modes de déplacement… Dans cette optique, la question du numérique est centrale, car elle aborde la simplification et la dématérialisation de la billettique, ce qui nous permet de réduire l’attente en gare et d’offrir un service de qualité, pour l’information voyageurs ou la sécurité, en particulier la cybersécurité.

Au sein d’Île-de-France Mobilités, mon rôle est de piloter et de superviser les SI qui soutiennent l’ensemble des missions de l’organisation, en collaboration avec des opérateurs comme le Transilien SNCF Voyageurs, la RATP, Keolis, Transdev, le groupement Lacroix & Savac, etc. Notre responsabilité principale est d’organiser et de coordonner tous les modes de transport pour rendre les déplacements aussi fluides que possible. Nous travaillons sur trois axes principaux : la conception et l’optimisation des transports, le développement de la relation voyageurs et la transformation des réseaux en vue de l’ouverture à la concurrence.

Comment le système d’information soutient-il les missions d’Île-de-France Mobilités ?

Le SI est essentiel pour la gestion des flux de voyageurs, la coordination des différents modes de transport et la gestion financière. Île-de-France Mobilités collecte les abonnements et les titres de transport, puis redistribue ces revenus aux opérateurs en fonction de la fréquentation des réseaux. C’est pour cela que nous demandons aux voyageurs de valider leur titre de transport à chaque passage.

Mais aujourd’hui, nous ne faisons pas que du financement. Nous sommes aussi responsables de l’organisation et de l’optimisation des réseaux de transport. Par exemple, nous participons activement à la création de nouvelles lignes de bus, à la refonte des lignes de la grande couronne, à l’extension des lignes de métro ainsi qu’à des projets innovants comme le Câble C1, première ligne de téléphérique destiné au transport public.

Île-de-France Mobilités joue donc un rôle dans la conception des projets de transport ?

Oui, bien sûr. Les nouvelles lignes du réseau francilien de métro, qui seront inaugurées à partir de fin 2025, font partie de notre champ d’action. Par exemple, nous avons repris l’exploitation de l’extension de la ligne 14 et nous serons également impliqués dans l’exploitation des futures lignes 15, 16, 17 et 18, une fois celles-ci construites. En complément de ce périmètre, pour chaque extension de ligne du métro historique (lignes 1 à 13), nous gérons les appels d’offres, où le numérique est évidemment un des paramètres et un des critères de choix.

Vous êtes aussi en contact direct avec l’usager ?

La relation avec nos usagers est multicanale par nature. Elle est présente en gare, en station, par téléphone aussi, et sur des applications numériques. Nous ne gérons pas uniquement toute la billettique des transports franciliens, mais aussi l’application Île-de-France Mobilités qui offre des informations aux voyageurs, agrégées sur tous les modes de transport, et permet la dématérialisation des titres sur Android, et depuis mai dernier sur iOS. Cette relation multicanale est une tendance de fond pour faciliter l’accès ; cela ne veut pas dire que tout sera numérique. Nous mettons également en place un numéro unifié, car même si nous avons un canal numérique, nous avons aussi besoin de pérenniser et de rationaliser le canal téléphonique. Aujourd’hui, il y a 106 numéros d’appel distincts pour les transports en Île-de-France.

« La relation avec nos usagers est multicanale par nature. Elle est présente en gare, en station, par téléphone aussi, et sur des applications numériques. »

Il y a donc aussi des enjeux de simplification à relever ?

Oui. Il est nécessaire de masquer la complexité du réseau pour les usagers, afin qu’ils n’aient qu’une seule porte d’entrée pour leurs demandes : renseignements, objets perdus, échanges sur le réseau, etc.. Pour cela, nous utilisons l’intelligence artificielle pour comprendre les demandes usagers, les traduire, puis les connecter au bon service client qui est géré par les opérateurs de transport. C’est un beau projet en cours de déploiement, avec une ouverture progressive au quatrième trimestre de cette année. Mais des périmètres, comme plusieurs lignes de bus en grande couronne, en bénéficient d’ores et déjà.

Nous sommes aussi impliqués dans la transformation des réseaux de transport des opérateurs. Nous travaillons en grand partenariat avec le Transilien SNCF Voyageurs et la RATP sur l’ouverture à la concurrence, ou du moins pour assurer que les réseaux évoluent et que le niveau de service reste optimal, quel que soit l’opérateur.

Votre organisation gère donc une multitude de systèmes et de données en temps réel ?

Nous avons plusieurs types de données, allant des informations voyageurs aux données de validation des titres, en passant par des données comptables et RH plus classiques. Toutes ces données sont essentielles pour assurer le bon fonctionnement des réseaux de transport. L’information voyageurs en temps réel, par exemple, s’appuie sur des quantités colossales de données qui doivent être régulièrement mises à jour et analysées pour détecter les anomalies et améliorer le service.

Nous opérons une plateforme régionale unique qui collecte l’ensemble des données des différents opérateurs de transport via des API. Avec quelques subtilités. Ainsi, plusieurs générations de normes définissent le format attendu pour indiquer par exemple le prochain passage. Depuis cette plateforme, nous pourrons transmettre les informations aux bornes d’information voyageurs, qui utilisent des technologies très hétérogènes. Certaines sont sur des réseaux mobiles modernes, d’autres encore en radio, via la Tour Eiffel. Il faut pouvoir parler à tout le monde sans tout transformer d’un coup. C’est un gros travail d’interopérabilité. Nous n’imposons pas un outil unique, mais des outils interopérables.

Il y a une dette technique assez conséquente ?

Il y a un patrimoine que nous voulons optimiser. Il y a bien sûr quelques sujets dont il faut s’occuper rapidement, et d’autres que nous laisserons évoluer naturellement et remplacerons progressivement. Certains des collecteurs fournis par les opérateurs sont dans des générations et des technologies parfois très différentes. Il y a un travail de fond pour optimiser la collecte et ce qui nous est remonté.

Vous gérez une grande volumétrie et une grande diversité de données, dont certaines parfois sensibles. C’est opéré nativement en mode cloud ?

Nous recherchons de la performance, de la scalabilité, typiquement sur de l’information voyageurs en temps réel. Si pour ce type de données, nous sommes nativement en mode cloud, ce n’est pas le cas pour l’ensemble des systèmes. Il faut être pragmatique et tenir compte de la sensibilité de la donnée.

Sur le plan de la cybersécurité, quelles sont les mesures que vous prenez pour sécuriser l’ensemble de vos systèmes ?

Nous effectuons des tests d’intrusion réguliers et surveillons activement les menaces potentielles. Nous avons également lancé un programme de bug bounty auprès d’hackers éthiques pour nous aider à détecter et corriger les failles. Tout cela nous permet de rester constamment vigilants et de renforcer nos systèmes.

« Nous opérons une plateforme régionale unique qui collecte l’ensemble des données des différents opérateurs de transport via des API. »

Vous mentionnez également l’importance de l’impact environnemental de vos projets numériques. Comment intégrez-vous cette préoccupation dans vos actions quotidiennes ?

Au-delà des nouveaux modes de transport plus écologiques, nous travaillons à réduire l’empreinte carbone de nos infrastructures numériques. Par exemple, nous avons réalisé des modélisations pour optimiser nos ressources et minimiser la consommation d’énergie, que ce soit en termes de stockage ou de traitement des données. Nous utilisons des pratiques de codage responsables et optimisons l’utilisation de notre cloud pour limiter l’impact environnemental.

Il y a aussi l’importance de l’open data. Pouvezvous expliquer pourquoi cela reste un enjeu crucial pour Île-de-France Mobilités ?

Nous mettons à disposition un grand nombre de jeux de données via notre plateforme PRIM, ce qui permet à des tiers de réutiliser ces informations pour créer des services innovants. Par exemple, des applications peuvent exploiter nos données pour proposer des solutions de mobilité adaptées aux besoins des usagers. Le principal défi est de garantir que les données soient à jour et correctes.

Pour relever tous ces challenges, comment est organisée votre équipe ?

Nous sommes aujourd’hui encore une petite équipe d’environ 50 personnes, en forte croissance depuis mon arrivée il y a deux ans. À ce moment là, nous étions 20, donc c’est un peu plus raisonnable maintenant.

Et vous travaillez, j’imagine, avec des ESN en soutien ?

Oui, il y a plusieurs partenariats industriels sur certains sujets structurants, notamment pour l’application Île-de-France Mobilités, qui est notre navire amiral et qui tire aussi toute la plateforme de collecte des données en temps réel, notamment pour l’information voyageurs. Ce qui est important pour moi, c’est que nous puissions piloter toutes les fonctions critiques et avancer, car l’écosystème est riche.

« L’ouverture à la concurrence est un enjeu central pour nous. Notre rôle est de garantir que les nouveaux opérateurs puissent entrer en scène sans affecter la qualité du service. »

Est-ce compliqué pour vous d’attirer des talents ?

Nous recherchons des profils variés, incluant des experts en cybersécurité, des développeurs, des spécialistes en données, ainsi que des profils ayant une forte affinité avec la transformation numérique. La diversité est clé pour nous, car elle apporte des perspectives différentes et complémentaires, cruciales dans un environnement aussi complexe. Le recrutement dans le domaine du SI est toujours un défi, surtout pour une organisation publique. Cependant, l’impact des projets que nous menons est un atout majeur pour attirer les talents.

Parmi ces projets, vous avez évoqué une transformation majeure avec l’ouverture à la concurrence progressive des lignes de bus. Comment abordez-vous ce changement ?

L’ouverture à la concurrence est un enjeu central. Notre rôle est de garantir que les nouveaux opérateurs puissent entrer en scène sans que cela affecte la qualité du service. Cela implique de rendre les systèmes d’information, comme ceux des bus par exemple, interopérables et performants, quel que soit l’opérateur. Par exemple, nous devons nous assurer que les SAE – les systèmes d’aide à l’exploitation qui gèrent les informations voyageurs et la localisation des bus – fonctionnent de la même manière pour tous.

Vous avez quitté un ministère pour une drôle d’aventure ?

J’avais envoyé ma candidature dans le métro. C’était un bon signal, je trouve pour rejoindre l’aventure d’Île-deFrance Mobilités. 


Propos recueillis par THIERRY DEROUET / Photos VINCENT TULLY


Les Jeux Olympiques et Paralympiques en héritage

Quel est votre bilan de l’accompagnement des JO 2024 ? Et quel héritage en retenir ?

L’application Transport Public Paris 2024, déployée spécifiquement par Île-de-France Mobilités à destination des spectateurs des Jeux Olympiques et Paralympiques, pour la recherche d’itinéraires vers les sites olympiques et l’acquisition de titres de transport, a été téléchargée plus de 1,1 M de fois. Elle s’appuie très directement sur les infrastructures existantes et sur l’application Île de France Mobilités.
Les briques de traduction automatique, ouvertes pour les JOP, sont également déployées sur notre application et notre site institutionnel. C’est une IA qui a opéré cette traduction. Cela a préalablement requis des ajustements. En allemand, quand nous avons entraîné le mot « rafraîchissement », l’IA nous proposait plutôt une bière !
D’ici la fin de l’année, l’intelligence artificielle va aussi concerner d’autres sujets, directement liés à l’application Îlede- France Mobilités. Le renforcement des capacités et de la cyber, accéléré pour les JOP, constitue bien sûr aussi un acquis. Presque tous les travaux numériques réalisés participent donc directement de cet héritage, soit en enrichissement pérenne des fonctionnalités, soit en renforcement de la résilience des services.

Parcours de
Hélène Brisset

Depuis Mai 2022 :
Directrice du numérique pour Île-de-France Mobilités

2020 – 2022 :
Directrice du numérique pour les ministères des Solidarités et de la Santé, du Travail, et des Sports

2017 – 2020 :
Directrice des SI pour les ministères des Solidarités et de la Santé, du Travail, et des Sports

Mais 2017 – Août 2017 :
Directrice de cabinet du secrétaire d’État au numérique

2016 – 2017 :
Directrice des SI pour les ministères en charge des Affaires sociales

2015 – 2016 :
Adjointe du directeur interministériel du numérique et des SI de l’État pour la Direction interministérielle du numérique et du système d’information et de communication de l’État (DINSIC)

2013 – 2015 :
Chef du service à compétence nationale « Réseau Interministériel de l’État » ‒ Direction interministérielle des systèmes d’information et de communication

2011 – 2012 :
Directeur de programme – Réseau Interministériel de l’État

2009 – 2011 :
Sous-directrice des systèmes d’information sécurisés – ANSSI

FORMATION
Ingénieur École Polytechnique (1995)
et Télécom Paris


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