Cloud

Une fois dans le cloud, peut-on en redescendre ?

Par La rédaction, publié le 18 septembre 2013

Mettre ses données dans le cloud est simple. Mais les en retirer, ou changer de prestataire, se révèle plus compliqué. En effet, aucun éditeur ne prévoit ce cas.

Il y a deux ans, Laurant Weill, le PDG de Visiware, éditeur de jeux vidéo interactifs pour la télévision, a migré une grande partie de ses données de production dans le cloud d’Amazon. “ Aujourd’hui, nous pourrions assez facilement changer de fournisseur, car nous savons quels sont les éléments concernés ”, affirme-t-il. En revanche, la situation pourrait bientôt se compliquer. “ L’offre cloud d’Amazon ne cesse de s’enrichir de services que nous utilisons sans bien savoir comment cela marche. D’ici à quelques années, nous serons peut-être prisonniers du géant américain ”, confie Laurant Weill.

Qu’on se le dise : rien n’oblige un éditeur à restituer les données qu’il héberge lorsque vous résiliez votre abonnement à son offre de logiciel en ligne (Saas, pour Software as a Service). La plupart des acteurs du secteur ne prévoient rien dans ce cas. “ La complexité juridique colle mal avec l’univers des logiciels en mode Saas. Car l’intérêt du cloud, c’est la facilité avec laquelle on souscrit un service ”, résume Jérôme Jelocha, DSI d’ePressPack (solutions de communication).

Parcours du combattant. Avant de se tourner vers l’offre de Google, Jérôme Jelocha a demandé à la branche française comment il pourrait, le cas échéant, récupérer ses précieuses données. Mais cette décision est prise aux Etats-Unis. La filiale européenne a finalement accepté de le mettre en relation avec une SSII française qui, lui a-t-on assuré, s’occuperait de tout. Il a ainsi pu passer un contrat avec cette entreprise disposant de liens directs avec Google aux Etats-Unis. Ce parcours du combattant a retardé de quatre mois la mise en place du service dont avait besoin le DSI et a majoré le prix de l’abonnement à l’application Saas “ de quelques pour-cent ”, précise-t-il.

Autre difficulté : personne ne sait exactement quel accord formaliser, avec quel prestataire et pour quel service cloud. “ Les avocats apprennent sur le tas ; aucune bonne pratique n’a encore été actée par la jurisprudence ”, avertit Arnaud Lefrançois, directeur du service achats du groupe industriel Exxelia, qui planche sur ces questions avec les professeurs de droit de HEC. Les problèmes sont nombreux. Certains acteurs du cloud mentionnent dès le départ, sur leur site Web, qu’ils ne peuvent être tenus responsables en cas de perte d’informations ; c’est le cas d’IBM avec son offre Smartcloud. Faut-il les obliger à payer des pénalités lorsqu’ils ne sont pas en mesure de restituer les données ? “ L’important n’est pas de toucher des indemnités, mais d’avoir quelqu’un qui s’engage à fournir une assistance ”, martèle Jérôme Jelocha.

Deux logiques s’affrontent. Celle des éditeurs, qui veulent multiplier les clients et les garder captifs. Et celle des utilisateurs, qui souhaitent pouvoir récupérer leurs données afin de les placer, le cas échéant, chez quelqu’un d’autre, pour des raisons de coût ou d’évolution de la structure de l’entreprise. De fait, passer d’une solution cloud à une autre n’a rien d’une sinécure. “ Microsoft, Google et Salesforce verrouillent leurs technologies car ils veulent s’imposer comme des standards. Quant aux autres applications en mode Saas, elles ne sont pas interopérables, ce qui bloque toute possibilité de transfert. Ce manque de standardisation est, à court terme, un réel handicap pour les entreprises ”, s’indigne Ghislaine Maghroudi, responsable e-marketing chez l’intégrateur Insight France.

Artisanat. Aujourd’hui, la méthode préconisée pour un tel transfert consiste à rapatrier sur ses propres serveurs toutes les données stockées chez un fournisseur, pour ensuite les télécharger dans le sens inverse vers un autre prestataire. Un peu comme si l’on devait se balader avec une valise de billets lorsqu’on change de banque. Un bel anachronisme. D’autant que cette opération manuelle immobilise l’activité de l’entreprise pendant plus d’une journée dès que la quantité des informations à copier pèse plus de 2 gigaoctets.

“ Le transfert de 800 comptes de messagerie électronique du cloud de Microsoft vers celui de Google a nécessité quatre mois ”, s’insurge Jérôme Jelocha. Sans compter qu’il faut alors interdire aux collaborateurs, partenaires et clients toute activité liée au cloud, afin de ne pas risquer de perdre des données en route. En effet, les enregistrements, les prises de commandes, les modifications ou les ajouts effectués durant cette migration risqueraient de ne pas être pris en compte lors de la copie.

Ce processus prend encore davantage de temps lorsque l’on doit adapter les informations pour les rendre exploitables par un autre service Saas. Passe encore pour les documents bureautiques qui souffriront, au pire, de quelques dégradations dans leur mise en page. Mais les autres applications en ligne, Salesforce compris, restituent à leurs propriétaires des données brutes. C’est-à-dire que chaque information est séparée par une virgule, sans qu’on sache s’il s’agit d’un suivi de clientèle, d’un bilan comptable, d’une facture ou du dossier RH d’un collaborateur. Ghislaine Maghroudi milite pour qu’une clause de transférabilité soit ajoutée aux contrats. Pas facile, quand on sait il n’existe aucun standard dans le cloud auquel se raccrocher pour simplifier l’opération.

Réflexion au sommet. Mais la Commission européenne y pense. L’Etsi (European Telecommunications Standards Institute) se mobilise depuis septembre pour définir des conditions qui assureront l’interopérabilité et la portabilité entre applications Saas. Son groupe de travail, baptisé Cloud Standard Coordination, est censé présenter ses premiers résultats en juin prochain. Parmi les standards qu’étudie l’Etsi figure le format XML, une norme de présentation des données au sein des fichiers.

“ Le problème, c’est qu’il n’existe pas deux progiciels de gestion en mode Saas exploitant les informations de la même façon ”, déplore Christophe Chapet, DSI de l’office immobilier Nantes Habitat. La plupart des vieux briscards de l’informatique demeurent sceptiques. “ Imaginer de standardiser le Saas ? On a déjà demandé pendant des décennies aux fournisseurs de logiciels classiques de le faire pour leurs offres et ce n’est jamais arrivé ”, s’enflamme Antoine de Kerviler, le directeur des systèmes d’information de Corsair International.

Selon Justin Ziegler, DSI de Priceminister, lui aussi songeur, les fournisseurs vont proposer des standards de façade : “ Ce sera comme à l’époque des bases de données, soi-disant toutes au format SQL. Leur compatibilité était en réalité très limitée ”, lance-t-il. En l’occurrence, l’harmonisation n’avait abouti qu’à mettre au point des applications fonctionnant de la même manière. Mais passer d’une base à une autre supposait de consacrer des semaines à convertir toutes les données. Quand il ne fallait pas carrément les ressaisir à la main.

Avec le cloud, personne n’a encore véritablement été confronté au problème. Justin Ziegler s’en remet à sa bonne étoile : “ On trouvera bien une boîte de programmeurs spécialisée dans le développement d’outils ad hoc pour récupérer nos billes ! ” Un optimisme qui, jusqu’ici, lui a plutôt réussi.

Crédit photo : L’Ecume des jours, film de Michel Gondry (Studio Canal)

Jérôme Jelocha (ePressPack) : “ Je paie un intermédiaire pour être certain de pouvoir récupérer mes données "

“ J’ai choisi de faire appel à une société de services qui se charge de garantir l’accès à mes données par contrat. C’est un surcoût, mais ma tranquillité est à ce prix. Aucun éditeur d’applications Saas (Software as a Service) ne propose ce type de prestation. Aujourd’hui, le problème du cloud est qu’il est aux mains de grands acteurs américains et que le pouvoir de décision se trouve aux Etats-Unis. Difficile, pour un utilisateur français, de plaider seul sa cause auprès d’eux. Je n’ai pas confiance dans les engagements standardisés écrits en petits caractères sur les pages Web des prestataires. Je veux travailler avec un vrai maître d’œuvre. ”

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