Cloud
Vers la fin des frais de rapatriement du cloud ? Not so fast, my dear client…
Par Laurent Delattre, publié le 07 mars 2024
Après Google le mois dernier, c’est à AWS d’annoncer la suppression des frais de rapatriements depuis le Cloud. Des annonces qui ne sont pas aussi formidables qu’il n’y parait lorsque l’on plonge dans leurs conditions d’application. De toute façon, dans la vie, changer d’avis n’est jamais totalement gratuit !
Depuis fort longtemps, les Clouds européens vocifèrent contre toutes sortes de pratiques des clouds américains qui rendraient plus complexes et plus coûteuses toute migration d’un cloud vers un autre. L’un des piliers fondateurs du projet Gaia-X n’était-il pas d’ailleurs la possibilité de rapatrier aisément ses actifs et de pouvoir migrer tout aussi aisément d’un cloud à l’autre ?
Une réduction des dépendances technologiques par ailleurs prônée à la fois par la future loi SREN (Sécuriser et Réguler l’Espace Numérique) et par le Data Act européen entré en vigueur le 11 janvier 2024 (mais applicable qu’à partir de septembre 2025). Ces textes cherchent en effet à imposer le respect de normes d’interopérabilité et de portabilité des actifs confiés à un hébergeur cloud tout en obligeant ces opérateurs Cloud à fournir des API pour assurer l’effectivité des droits à la portabilité et l’interopérabilité. Avec également une volonté d’essayer de réduire autant que possible la facture de la récupération des données qui, de nos jours, peuvent aisément se chiffrer en To voire en Po de données ! Le Data Act n’impose pas la gratuité des frais d’egress mais impose que ces frais ne soient pas supérieurs aux coûts endurés par le fournisseur pour le transfert des données ! Il n’évoque pas d’ailleurs pas comment rapatrier des Pétaoctets de données simplement et à bas coût !
Sur le fond, ces textes dénoncent à la fois les pratiques commerciales de « Lock-In » des grands opérateurs mais aussi les contraintes opérationnelles : développer pour un cloud se traduit toujours et irrémédiablement par l’utilisation des services propres à ce cloud et qui n’ont pas forcément d’existence chez la concurrence. Il en résulte dès lors une difficulté technique à migrer. Mais l’idée est que pour un certain nombre de services fondamentaux et universels comme le stockage BLOB, l’authentification, la configuration de VMs et Containers, il soit toujours possible d’aisément migrer.
Google prend les devants
Histoire de prendre de l’avance sur ces réglementations imminentes (l’annonce a été publiée le lendemain de l’entrée en vigueur du Data Act même s’il n’est applicable qu’en 2025) mais aussi histoire de mettre un peu plus de pression sur Microsoft (dont les pratiques commerciales sur le cloud sont ouvertement dénoncées par Google et par AWS qui ont lancé des plaintes auprès de la FTC américaine, de la CMA britannique et de la Commission européenne), Google avait annoncé le mois dernier la suppression des frais d’égress autrement dit des frais de rapatriement des données. « À partir d’aujourd’hui, les clients Google Cloud qui souhaitent cesser d’utiliser Google Cloud et migrer leurs données vers un autre fournisseur de cloud et/ou sur site, peuvent bénéficier d’un transfert de données réseau gratuit pour migrer leurs données hors de Google Cloud. Cette mesure s’applique à tous les clients dans le monde entier » écrivait ainsi Amit Zavery, GM/VP Google Cloud le 12 janvier dernier.
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Ce que le blog d’Amit Zavery n’explique pas, c’est que cette mesure « applicable à tous les clients » est en réalité restreinte par une multitude de conditions. Le diable se niche toujours dans les détails. Concrètement, les charges de transferts de données au travers de l’enceinte Google Cloud demeurent actives pour toutes les activités normales, bien évidemment. La suppression des frais n’est applicable qu’aux clients qui quittent véritable Google Cloud. Elle ne s’applique cependant qu’aux clients du « Premium Tier Network Service », autrement dit aux clients qui ont adopté le réseau fibre privé de Google et non à ceux du « Standard Tier » (qui exploite le réseau internet des fournisseurs). En outre, cette suppression des frais n’est applicable qu’aux services BigQuery, Cloud BigTable, Cloud SQL, Cloud Storage, Datastore, Filestore, Spanner et Persistent Disk. Elle n’est pas applicable aux autres services et notamment à tous les services tiers hébergés sur Google Cloud.
Enfin, pour en bénéficier, il faut remplir une demande de 15 pages et affronter les inévitables coups de fil du support et des commerciaux de Google Cloud… On n’a rien sans rien…
AWS emboite le pas
Cette semaine c’est AWS qui rejoint le mouvement. « Vous nous avez régulièrement dit que l’une des principales raisons d’adopter Amazon Web Services (AWS) était le large choix de services que nous offrons, vous permettant d’innover, de construire, de déployer et de surveiller vos workloads… Nous pensons que ce large choix doit inclure celui de migrer vos données vers un autre fournisseur cloud ou sur site. C’est pourquoi, à partir d’aujourd’hui, nous renonçons aux frais de transfert de données vers l’internet (DTO) lorsque vous souhaitez migrer en dehors d’AWS » explique ainsi Sébastien Stormacq dans un billet de blog.
Au passage, AWS estime que de toute façon 90% des clients n’ont déjà aucun coût de transfert parce que les régions AWS offrent toutes 100 Go par mois de transferts gratuits vers l’Internet sur Amazon EC2, S3, Application Load Balancer notamment (et 1 To/mois sur CloudFront).
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Reste que si on a plus de 100 Go à exfiltrer d’AWS, il faudra passer – comme sur Google Cloud – par le remplissage d’une demande spéciale et un contact avec le support AWS. Le cloud d’Amazon précise par ailleurs que « nous examinerons les demandes au niveau du compte AWS. Une fois la demande approuvée, nous fournirons des crédits pour les données migrées. Nous n’exigeons pas que vous fermiez votre compte ou que vous modifiiez votre relation avec AWS de quelque manière que ce soit. Vous pouvez revenir à tout moment. Bien entendu, nous exercerons une surveillance accrue si le même compte AWS demande plusieurs fois à bénéficier de DTO gratuits ».
Pour rappel, le coût normal d’une sortie de donnée d’AWS vers Internet est facturé 0,09 dollar par Go pour les 10 premiers To (soit environ 90 € les 10 To transférés), avec un tarif dégressif jusqu’à 0,05$ par Go pour plus de 150 To.
Microsoft sait déjà qu’elle devra en faire autant
Bien évidemment, on s’attend à une réponse imminente d’Azure sur ses pratiques en matière de tarification de sortie (qui varient de 0,02$ à 0,08$ par Go selon les régions et volumes) dans un cadre équivalent de bascule vers un autre cloud ou du on-premises.
Brad Smith a d’ailleurs déjà évoqué le sujet dans les « 11 principes d’accès à l’IA » publiés à l’occasion du MWC 2024 à Barcelone. Dans le principe n°7, « Nous permettons aux clients utilisant Microsoft Azure de passer à un autre fournisseur de services Cloud en leur permettant d’exporter et de transférer facilement leurs données », il précise « Nous reconnaissons que différents pays envisagent ou ont adopté des lois limitant la mesure dans laquelle nous pouvons répercuter les coûts d’une telle exportation ou d’un tel transfert. Nous nous conformerons à ces lois. »
Que l’on parle d’Azure, de Google Cloud ou d’AWS, il est important de souligner ici que les “cadeaux” annoncés ou anticipés ne concernent que les frais de transferts de données, autrement dit les frais de bande passante. Mais il ne faut pas perdre de vue que pour réaliser de tels transferts il faudra bien souvent aussi faire tourner des “services” ou du “compute” qui seront bien évidemment facturés normalement.
Bien sûr, le Data Act n’imposant pas la gratuité mais simplement la répercussion directe des coûts sans surcharge, Microsoft n’est pas tenue de totalement suivre Google et AWS. Mais on voit très mal Azure se démarquer aussi négativement surtout que toutes ces annonces, on le voit bien, sont d’abord et avant tout des opérations de « Comm »…
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