Le retour d'Elastic à l'open source marque-t-il le retour de l'open source?

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Vers un retour de l’open source, le vrai ?

Par Laurent Delattre, publié le 11 septembre 2024

L’annonce aussi soudaine et inattendue du retour des licences open source d’Elastic secoue les communautés et les écosystèmes. Est-ce le début d’une nouvelle vague ou l’aveu d’échec de la tendance aux licences BSL ?

Sur le papier, l’open source n’a jamais été aussi populaire et autant au cœur des infrastructures des entreprises. Selon le dernier rapport GitNux, 78% des entreprises utilisent des logiciels en open source dans leurs opérations quotidiennes et 96% des logiciels du marché s’appuient sur au moins un composant en open source. Même le grand épouvantail Microsoft a plus de 1200 projets publiés en open source (dont .NET, VS Code, PowerToys, TypeScript, Windows Terminal, PowerShell, Windows Calculator, Winget, CNTK, les modèles Phi, etc.).

Et pourtant. Le monde de l’open source, malgré son rôle crucial dans l’innovation technologique, traverse des turbulences depuis quelques années et plus précisément depuis l’adoption massive du cloud public et l’expansion des hyperscalers américains.

Nombre d’éditeurs qui avaient autrefois bâti leur succès sur des modèles open source ont progressivement adopté des licences restrictives, s’éloignant des principes de liberté et de transparence. Cette situation a laissé place à un certain malaise au sein des communautés.

L’annonce la semaine dernière du retour d’Elastic, l’éditeur d’Elasticsearch et de Kibana, a dans l’univers open source en réintroduisant la licence AGPL approuvée par l’Open Source Initiative (OSI), marque-t-il une nouvelle phase dans l’évolution de l’écosystème open source ?

L’open source : philosophie et principes fondateurs

Au cœur de l’open source se trouvent des principes immuables : la collaboration, la contribution, la transparence, et l’échange libre de connaissances au sein de communautés actives. L’open source est avant tout une philosophie même si bien des DSI et des entreprises y voient d’abord un modèle économique avantageux et un moyen de garder la main sur l’avenir technologique de leur entreprise. Cette philosophie édicte qu’un le code source doit être accessible, modifiable et redistribuable par tous mais aussi que tous ceux qui en profitent sont priés de collaborer activement à son évolution.

Cette approche permet de créer des communautés dynamiques où développeurs et entreprises collaborent pour améliorer des logiciels tout en partageant les bénéfices de ces améliorations. En théorie, l’open source favorise l’innovation collective et l’adoption massive, tout en limitant les risques liés aux solutions propriétaires fermées.


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Startups et éditeurs : le virage vers les licences BSL

Reste que depuis l’avènement des hyperscalers et des services managés du Cloud public, ces principes fondateurs ont été mis à mal.

Face à une exploitation intensive de leurs travaux sans retour équitable et rémunérateur, certaines entreprises de l’écosystème open source ont pris leurs distances avec ces principes en adoptant des licences plus restrictives comme la BSL (Business Source License). Anaconda, Elastic, MongoDB, Redis Labs, Confluent, et Cockroach Labs ont ces dernières années, ces derniers mois, modifié leurs licences pour adopter des licences BSL afin de limiter l’exploitation commerciale de leurs solutions par des tiers, tout en restant “source-available”.

Officiellement, ces décisions ont été motivées par la nécessité de protéger leurs revenus face à la concurrence des géants du cloud comme AWS, Google Cloud ou Microsoft Azure. Ces derniers, et tout particulièrement AWS (avec Valkey en lieu et place d’ElastiCache et OpenSearch à la place d’ElasticSearch), ont réagi en lançant leurs propres versions commerciales des mêmes logiciels, concurrençant directement les éditeurs d’origine.

Officieusement, certains notent que ces startups ont initialement utilisé un modèle open source pour bénéficier de ses avantages en termes de croissance rapide, d’adoption par les développeurs et de construction d’une communauté mais ont ensuite, sous la pression pour générer des revenus et devenir rentables, chercher à restreindre les licences et accélérer artificiellement leur croissance économique trahissant au moins en partie leur engagement envers les communautés.

Ces mouvements ont suscité bien des controverses et des interrogations sur l’avenir de l’open source. Ils ont aussi entraîné une multiplication de forks engendrant une regrettable fragmentation de certaines communautés.

Retour d’Elastic à l’open source : symptomatique d’une tendance ?

Dans une volteface inattendue, Elastic, l’éditeur derrière le populaire moteur de recherche et d’analyse Elasticsearch et son tableau de bord de visualisation Kibana, a annoncé un retour à une licence open source AGPL. « Nous n’avons jamais cessé de croire en l’open source chez Elastic » affirme Shay Banon, fondateur et directeur technique d’Elastic. Elastic annonce ainsi ajouter l’AGPL [GNU Affero General Public License] comme une autre option de licence à côté de l’ELv2 [Elastic License 2.0] et du SSPL [Server Side Public License].


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Elastic avait abandonné la licence open source, il y a trois ans, en dénonçant la concurrence déloyale d’AWS, qui proposait des services Elasticsearch sous son propre nom sans contribuer directement au développement du projet. Depuis, AWS a développé son propre fork, OpenSearch. Et selon Shay Banon, tel était bien l’objectif de la décision d’Elastic à l’époque : en créant un fork d’ElasticSearch (OpenSearch) pour proposer sa propre offre, AWS n’influence plus directement la communauté ElasticSearch et joue plus clairement et plus honnêtement les règles de l’open source.

Ça, c’est bien entendu la version officielle. En pratique, Ash Kulkarni, le CEO d’Elastic reconnaissait aussi cet été en annonçant les résultats de son premier trimestre fiscal (qui terminait en juillet 2024) « un début d’année plus lent que prévu » qu’il attribuait à « un changement de segmentation ». Ce retour pourrait donc aussi masquer un besoin de restaurer la confiance des communautés et rassurer les entreprises clientes pour retrouver du dynamisme.

Car nul ne peut nier qu’il s’est instauré ces derniers mois dans les communautés, comme dans les DSI, une forme de lassitude face à cette tendance des jeunes pousses de l’open source à soudainement restreindre l’accès aux logiciels autrefois libres.

Vers de nouveaux visages de l’open source ?

Le retour d’Elastic à l’open source met une nouvelle fois en lumière la grande question de ces dernières années : « l’open source doit-il se réinventer pour survivre dans un monde dominé par les géants du cloud ? »
La réponse se trouve dans une redéfinition des relations entre les éditeurs, les contributeurs et les géants du cloud. Ces derniers n’étant pas nécessairement aussi néfastes à l’open source que certains le prétendent. AWS semble avoir tiré des leçons de ses conflits avec Elastic et Redis notamment, ses forks étant finalement pas si mal alignés avec la philosophie « Customer Obsession » qui régit tout le groupe Amazon. Google a maintes fois montré son attrait (très stratégique) pour l’open source ne serait-ce qu’en ouvrant les codes de Kubernetes, Knative, Istio sans oublier bien sûr KubeFlow et TensorFlow, ceci même si l’éditeur a aussi parfois traîné la patte à confier les commandes au CNCF.

Le retour d’Elastic dans l’univers open source est peut-être annonciateur de nouveaux équilibres et d’un apaisement des relations entre communautés et hyperscalers. Il traduit aussi une plus grande complexité des écosystèmes, Elastic et ses clients devant désormais jongler entre les licences AGPL, SSPL et ELv2.

La survie et l’évolution de l’open source dépendront de la capacité des acteurs à trouver un équilibre entre ouverture, innovation et viabilité économique sans trahir la philosophie de transparence et de collaboration qui protège les intérêts des développeurs et des entreprises à long terme.

Reste à savoir si l’étonnant revirement d’Elastic inspirera une vague de retours aux sources chez les éditeurs qui ont fait des choix similaires ces dernières années ? Il démontre que l’open source n’est nullement en déclin. Certes, il est en transformation. Et le cloud n’est plus le seul moteur de cette transformation. L’IA générative et la publication en open source des modèles (au-delà de la simple publication des poids) invitent aujourd’hui cette transformation à se poursuivre.


Quelques Chiffres du rapport GITNUX Report 2024

+ 96% des codes informatiques contiennent des composants open source

+ 92% des dirigeants estiment que l’open source joue jeu égal voire surpasse l’offre propriétaire

+ 90% des dirigeants IT sont favorables et sensibilisés à l’open source

+ 78% des entreprises utilisent des logiciels open source dans leur arsenal applicatif

+ 70% des entreprises prévoient d’accentuer leur utilisation de logiciels open source

+ 60% des organisations comptent sur l’open source pour moderniser leur infrastructure IT

+ 33% des développeurs contribuent à des projets open source

+ 66,84 milliards de dollars, c’est le marché des services open source prévu en 2026

+ 60 milliards de dollars, c’est le montant économisé dans le monde par les Business qui ont opté pour l’open source

+ Linux anime 100% du TOP 500 des HPC

+ WordPress anime 41,4% des sites Web.



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